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6 juillet 2015 1 06 /07 /juillet /2015 06:30

Arrivé au terme de mon aventure, je m’aperçois qu’il est un mot que je n’ai guère employé, c’est celui de décence. J’ai eu tort. Nos contemporains manquent de décence. Le dépit qu’ils me causent vient en partie de cela.

Dans le jeu de la séduction, une impudeur contrôlée est un atout majeur de la femme : un décolleté un peu trop profond, une jupe un peu trop remontée… aimantent le regard de l’homme. La séductrice montre en cachant, cache en montrant. Nous nous laissons prendre à son jeu. Elle gagne à tous les coups. C’est troublant et c’est charmant.

L’indécence dont je veux parler est d’un autre ordre. Elle passe outre les codes, se moque des limites. Elle touche les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux. Le triomphe du tee-shirt en est un signe, ce vulgaire maillot de corps dans lequel tout homme qui se respecte aurait honte que son voisin le surprenne. Les jeunes l’ont adopté parce qu’il exalte le corps. Sous l’influence de la mode gay, il s’est fait de plus en plus moulant et échancré. Les vieux le portent par oubli d’eux-mêmes.

L’indignité vestimentaire de nos aînés, qui culmine aux beaux jours, est, pour moi, un motif de chagrin. Le mot n’est pas trop fort. Je me passerais volontiers du naturalisme qu’ils m’imposent. Leurs marcels, chemisettes, pantacourts et autres sandales dévoilent des corps déformés, des chairs ramollies, des peaux marbrées et amincies. Les ravages du temps sont connus. Point besoin qu’ils nous en fassent l’atroce réclame. Quand je les vois ainsi, je comprends l’irrespect qu’ils suscitent chez les jeunes : parce qu’ils l’ont bien cherché.

La décence va contre deux diktats actuels : être soi-même et se sentir à l’aise. Les défauts ne se cachent plus. Par exemple, j’ai noté que, sur nos plages, les femmes obèses (dont le nombre a considérablement grossi) avaient tendance à délaisser le maillot une pièce pour le bikini. Par une curieuse inversion des valeurs, les défauts deviennent des étendards et participent de cette obligatoire et stupide « fierté » d’être soi complaisamment relayée par les médias. Pourtant, les raisons d’être fier de soi sont exceptionnelles ; quiconque se livre au salutaire exercice de l’introspection lucide le sait bien. « Soyez-vous-même » - mais qui croyons-nous que nous sommes pour faire de l’accomplissement de notre petite personne le but de notre vie ?

Sous prétexte de confort, on va dehors comme on est chez soi. On oublie que s’habiller est un acte social ; qu’on ne s’habille pas que pour soi, qu’il faut le faire en pensant aussi aux autres. L’extériorisation du laisser-aller domestique contribue à enlaidir notre cadre de vie commun. S’habiller décemment oblige. Les efforts à consentir ont beau ne pas être lourds, c’est déjà trop pour beaucoup de nos semblables.

Un événement qui a eu lieu l’année dernière m’a marqué. Il s’agissait d’une manifestation d’intermittents du spectacle. Ceux-ci, pour attirer sur eux la lumière des médias, n’avaient rien trouvé de mieux que de se mettre tout nus… Il y avait là-dedans une dimension performancielle propre à rappeler au bon peuple dont je fais partie que les intermittents sont des artistes, soit des êtres à part, justifiant, de ce fait, les privilèges dont ils jouissent et dont d’affreux obscurantistes réclament l’abolition. Mais la lumière des médias est crue et, sous elle, ces êtres d’exception faisaient pitié à voir dans leur petit costume de chair triste.

Pour justifier cette opération, la porte-parole des intermittents, une certaine Peggy Donck, eut ces mots grandioses : « Nous sommes nus pour interpeller en silence (sic), sans violence, dignement » (Le Nouvel observateur, n° 2589). « Dignement » ! Pensez Donck ! Pour cette dame, l’indignité eût peut-être consisté à manifester habillé ! L’inversion des valeurs bat ici son plein et confine au délire.

La scène prit un tour surréaliste quand on vit notre ministre de la culture d’alors, Madame Filipetti, accepter de dialoguer, comme ça, naturellement, avec un des manifestants. L’échange fut courtois. Madame Filipetti, femme de tempérament, l’eût-elle rêvé plus viril ?...

L’imagination des défenseurs du régime des intermittents a des limites : en avril dernier, lors de la 27e nuit des Molières, c’est, derechef, un comédien tout nu qui adressa sa requête à notre ministre actuelle, Fleur Pellerin. Fleur, gênée comme une rosière, se mit à rire nerveusement. Mais elle ne quitta pas la salle.

La décence suppose la supériorité du groupe sur l’individu. Elle fixe un cadre, mais ce cadre est assez souple pour permettre à chacun d’exprimer sa différence. Elle est l’expression minimale du savoir-vivre en société. En l’absence de règles communes – d’une décence commune -, nous sommes devenus des étrangers les uns pour les autres. La multiplication des pratiques individuelles a brisé le lien social. Je regarde l’autre comme une bête curieuse. Je m’interroge sur ses motivations. Je me désespère de son apparence. Son sans-gêne m’agresse.

Sans décence, point d’élégance. Mon regret est de n’avoir pas assez parlé de l’une avant de traiter de l’autre.

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commentaires

S
Ah les artistes! Brando en tee shirt à mis au rencard éclipsé toutes les stars de l'époque; Mickey Rourke; Don Johnson... Ils paraissaient cool, jeune, américains, au dessus de la société. Nous voulons être au dessus de la société à l'image des hommes politiques corrompus toujours impeccables. S'habiller en tee shirt nécessite de garder la ligne. La mode comme le sexe c'est qqchose de complexe. L'apparence est souvent trompeuse
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G
Sachez que que vos billets me manqueront. <br /> À l'image du dernier qui est tout simplement parfait.<br /> À très bientôt, j'espère le Chouan.<br /> Guillaume.
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M
Cher Chouan, <br /> <br /> C’est sans doute par ce sentiment de brièveté de toutes choses que je pensais qu’une pareille aventure ne pouvait se prolonger indéfiniment. <br /> Ce que vous ne soupçonnez pas, c’est la solitude de certains de vos lecteurs.<br /> Si vous avez des amis avec qui partager vos réflexions, d’autres ici, les plus jeunes, n’ont que vous. <br /> <br /> "Il n'est pas d'exil au pôle Sud, ou au sommet du Mont-Blanc, qui nous éloigne autant des autres qu'un séjour prolongé au sein d'un vice intérieur, c'est-à-dire d'une pensée différente de la leur » M.Proust<br /> <br /> Je tiens à vous exprimer mes plus sincères remerciements et espère de tout cœur que vous continuerez à nous écrire. <br /> <br /> Michel
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F
Cher Chouan,<br /> <br /> J'espère que vous continuerez à poster de temps en temps, même si ce rythme d'un article par semaine était parfait je dois dire.<br /> <br /> Dans tous les cas, ce fut un plaisir de vous lire et même si je ne partageais pas toujours vos points de vue - et que vous ne partagiez sans doute pas toujours les nôtres - je trouve que, sur la petite scène de l'élégance française et sur la blogosphère "menswear", vos avis, prises de position et votre plume sortaient assurément du lot.<br /> Je retiens particulièrement vos billets sur le dandysme ou sur les écrivains français (je pense notamment à celui sur les Hussards).<br /> <br /> En espérant que cela ne soit qu'un "faux" départ,<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> Virgile
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A
Bonjour,<br /> j'aimerais nuancer vos propos sur les t-shirts et autres polos à manches courtes. En effet, cet attirail n'est pas réservé à notre époque décadente. Marlon Brando, Sean Connery ou Alain Delon portaient des polos à manches courtes dès les années 60, et ils étaient très beaux avec. Si le design est intéressant un t shirt peut conférer un certain esthétisme tout comme le jean et une paire de sneakers.<br /> Un blog comme "For The Discerning Few" le montre régulièrement. Bien sûr, il faut être jeune et avoir une belle silhouette. Nous conviendrons qu'au-dessus de 40 ans -et avant si l'apparence physique ne le permet plus- il est devient nécessaire de changer d’accoutrement.<br /> Même cas de figure pour le bermuda. <br /> En réalité les véritables ennemis sont : <br /> 1) Les t shirts bas de gamme portés avec des shorts douteux ou des pantacourts et sandales (cas de figure le plus répandu : le touriste qui déferle l'été).<br /> 2) Le bourgeois de province qui à 50 ans porte encore des polos Ralph Lauren aux couleurs vives avec bermuda et frange devant les cheveux (bref, le notable insipide et sans imagination).<br /> 3) Le beauf avec son marcel, ses tongs et sa copine écervelée (le français de tous les jours). <br /> 4) le clown du Pitti Uomo. Certes bien habillé avec des vêtements très nobles, mais plein de prétention et posant comme une femme vaniteuse devant les objectifs (trop de paillettes selon mon goût).<br /> <br /> Je tiens à préciser, dans l’hypothèse ou vous mettez un terme à l'écriture de votre blog, que je vous ai suivi avec intérêt et je serai triste de ne plus pouvoir profité de votre plume agréable .<br /> Vous êtes l'un des meilleurs blogueurs francophones sur le sujet de l'élégance classique. Loin devant un autre site, qui lui est depuis un certain temps en pleine dérive à l'instar de la vidéo "trash avec des jeunes femmes, qu'il a édité en début d'année sans parler de ses événements partenaires se déroulant à Dubai (une attitude de "parvenu") .
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A
La fin de quelle aventure, adorable et mystérieux Chouan ? Il s'agit là de mon premier commentaire, non seulement sur ce blog que j'aime tant, mais je crois bien sur l'internet tout entier ! Mais l'enjeu est de taille: une aventure, — et à fortiori celle-ci — peut-elle avoir une fin ? Pour le jeune homme que je suis, ce blog est non seulement très plaisant, mais surtout salvateur ! Il me soutient contre la bassesse et l'ignominie de mes contemporains ; mais bien mieux, il m'exhorte moi-même à devenir meilleur en m'apprenant à feutrer les comportements vulgaires, à taire les saillies blessantes ou encore à calmer les passions indécence qui sont autant de réflexes inhérents à mon éducation populaire loin des codes de bonne conduite... Il ne se passe pas un jour depuis des années sans que je consulte vos pages, espérant toujours y puiser un nouvel article qui m'apprendra, en un mot, à devenir un gentleman. La partie est loin d'être gagnée, puisqu'à l'heure où je vous écris ces lignes, la canicule m'a vaincu et me voilà torse nu face à la fenêtre (et donc aux voisins...), incapable de trouver, dans cette moiteur étouffante, la moindre volonté d'enfiler une chemise: vous voyez bien qu'on a encore besoin de vous...
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C
Voila un bien bel hommage, dans le sillage duquel vous me permettrez de m'inscrire.<br /> <br /> Ce que j'aime chez le Chouan ce n'est pas tant l'ajustement parfait de ses vestes que sa passion de l'errance et son pas toujours égal dans la rue.<br /> <br /> Après tant d'années à vous lire, on finit par avoir l'impression de vous connaître. Votre parole a comme des échos paternels. Je pense que c'est peut-être ce que recherchent ceux qui viennent flâner, ici, esprits curieux et nostalgiques.<br /> <br /> Le Chouan des villes, c'est bien plus une influence dans notre manière d'être que dans notre manière de nous habiller. En un mot, c'est une éducation. <br /> <br /> Merci.<br /> <br /> Charles
X
Je vous rassure cher Anthony, nous n'êtes pas le seul. Comme je l'ai déjà dit dans un commentaire sur l'article précédent, je trouve ridicule de s'obstiner à porter cravate et veste sous une écrasante canicule. C'est précisément dans ce genre de situation que l'on distingue les hommes véritablement élégants des vulgaires poseurs et autres épateurs. Pour peu que vous disposiez d'une belle silhouette, d'un minimum d'allure et de grâce, alors une belle chemise et un pantalon bien coupé suffiront amplement. Le caractère d'un homme, s'il est profond, irradie naturellement son entourage. <br /> <br /> Je me joins également aux commentaires précédent en priant de toutes mes forces que vous n'arrêtiez pas les publications sur votre blog. Il y a longtemps que je ne fréquente plus, ou alors très sommairement, les sites bien connus sur l'élégance masculine. L'argent et l'ostentation y sont rois. Leurs valeurs, que l'on devine au détour de quelques entretiens, ne sont pas les miennes. Comme je l'ai déjà dit, il y a beaucoup de "Charlie" en sur-mesure.<br /> <br /> A bientôt, je l'espère.
S
Ne nous laissez pas. Vos textes si justes et ciselés font écho à nos réflexions. Vous comprenez, à vous lire on se sent un peu moins seul(s) perdus dans cette jungle quotidienne de la médiocrité.<br /> Passez de bonnes vacances.
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E
Je plussoie JLS. J'espère que le Chouan ne nous annonce pas la fin de cet excellent blog,
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J
"Arrivé au terme de mon aventure (...)"<br /> Que nous faut-il donc comprendre, cher Chouan ? Que vous auriez l'intention de cesser toute activité sur ce blog ?<br /> Je n'ose y croire; votre regard si lucide, si juste et élégant nous manquerait terriblement.<br /> <br /> Fidèlement,<br /> <br /> JLS
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