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7 janvier 2013 1 07 /01 /janvier /2013 06:08

Un ami lecteur m'a envoyé ce texte que je suis heureux de publier parce qu'il met l'accent sur une évolution intéressante d'un élément essentiel du vestiaire masculin. Depuis quelques années déjà, les chaussures sont devenues une sorte d'accessoire de mode. La chaussure masculine s'est en un sens féminisée puisque ses formes, qu'on croyait naguère encore immuables, changent désormais de saison en saison. En jouant sur la séduction exercée par la nouveauté, les marchands de chaussures, relayés par la presse spécialisée, cherchent à tout prix (... et surtout au prix fort !) à nous faire consommer. 

 

Fut un temps, pas si lointain, où le pavé était battu par d’interminables et menaçants souliers, fendant les airs comme des mufles de lévriers. La hardiesse des chaussures faisait écho à celle des caractères, et les souliers étaient pointus comme les âmes de leurs porteurs. Epoques d’hommes acérés et déterminés, qui voulaient leurs pieds aussi affûtés que leurs visages, et qui affrontaient éléments et événements comme des brise-glaces.

Puis les temps se sont adoucis, et les hommes ramollis. Peu à peu, les pointes de souliers se sont rétractées comme des escargots, à l’image des esprits de ceux qui les portaient. Aux lévriers succédaient les labradors. Une nouvelle norme était née, réflexion faite pas si laide ni honteuse : un soulier à la pointe plus bonhomme sied également à l’honnête homme, et le labrador est somme toute aussi estimable que le lévrier. Nous en étions restés là : un homme de goût pouvait sans déroger, il devait, même, arborer des souliers aux extrémités mouchetées, et se garder de toute excentricité en matière de pointes.

Or, depuis quelques années, l’observateur - même inattentif - ne peut que noter le retour des souliers pointus dans les échoppes et aux pieds de nos congénères, chaussures longues et pointues parfois au-delà de toute mesure.


bouts-pointus.jpgModèles Azzaro, automne-hiver 2008-2009. Source : Pointure, n° 16

 

Cette tendance actuelle peut paraître contestable, qui provoque un allongement sans fin de nos malheureux souliers, les contraignant peu à peu à prendre le chemin du retour vers un savant mélange de babouches et de poulaines. Je n'évoquerai bien entendu même pas les « bouts carrés », que, dans un geste de suprême magnanimité, je laisse aux VRP et aux marseillais endimanchés.


bout-bascule.jpgUne autre aberration récente : le bout basculé. Modèle signé J.C. Monderer. Source : Pointure n°5.

 

Plus longs, plus pointus, la psychanalyse de bazar pourrait faire ses gorges chaudes d'un tel sujet, mais il s'agit d'une question bien plus importante: une question de style.

Le premier mouvement de l’homme affable, face à ces piquants, est de se hérisser à son tour. En effet, le développement de ces menaçantes pointes donne à de nombreuses personnes, il me semble, une allure assez ridicule; sans même évoquer le cas des gros (appelons les choses par leur nom) qui, chaussés de ces souliers sans fin, ressemblent plus que jamais à des pingouins. Au mieux tous ces gens aux extrémités longues et pointues me font-ils penser aux petits lutins prêts à dévaler les montagnes en glissant sur la neige. Image fort sympathique, mais guère élégante.


bout-pointu-enko.jpg Dessous d'une chaussure Enko. Source : Pointure, n° 16

 

Et pourtant, certains hommes au goût très sûr saluent bien haut ce retour aux sources du soulier, y voyant une réminiscence bienvenue des chaussures que l’on pouvait trouver dans les années vingt ou trente.


bout-tuczek-def.jpgL'élégant bout "serres d'aigle" Tuczek, 1936. Source : Pointure.

 

Je crains néanmoins que ce retour des souliers pointus ne soit pas le fruit d’une démarche que nous appellerions de nos vœux (le retour à une élégance classique par exemple), mais bien d’une démarche inverse, ou plutôt contraire. Le soulier à bout arrondi étant devenu la norme considérée comme classique, il est malheureusement fort probable que la réapparition des pointes ne soit en réalité que le résultat d’une volonté de briser cette norme classique. Somme toute, et comme bien souvent, cette prétendue modernité affichée ne fait que réinventer, en toute ignorance, ce qui était déjà acquis dans le passé.


chuch-s-def.jpgSource : catalogue Church's 1991

 

Reste que le résultat est là. C'est un fait, un soulier pointu est plus élégant, plus léger qu'un bout patate. Il a pour lui une certaine légitimité historique, ainsi que la subtilité dont manque parfois cruellement le soulier à pointe arrondie lorsqu’il se fait pataud. En y regardant de près, la chaussure à bout rond à en effet tendance à conférer à celui qui les porte une allure de gentleman-farmer, ce qui est très bien, ou de petit-bourgeois, ce qui est déjà moins bien. Il faut en être conscient, et l’assumer, surtout.

Car comme toujours, il s’agit tout simplement de porter ce qui nous va, et ce n’est pas si simple. Comme cela a été évoqué en introduction, peut seul chausser sans ridicule des souliers pointus celui dont l’esprit est acéré et volontaire, et non le quidam mollasson que l’on voit trop souvent, par voie de conséquence, chaussé de spatules prétentieuses. Afficher par sa mise une personnalité que l’on n’a pas est un exercice vulgaire et invariablement voué à l’échec.

Je reste pour ma part un adepte des bouts arrondis, et préfère assurément une pointe légèrement trop ronde à son équivalent trop aigu. La discrétion restant pour l’heure dans le camp des ronds, j'en resterai là comme une vieille bique bornée et surtout prudente. Et si l’on veut vraiment aller dans le détail jusqu’au vice, les indécrottables amateurs de bouts ronds pourront toujours se dédouaner en se disant que des souliers à pointe douce, portés avec un costume bien taillé, présentent de plus l’avantage de préserver, même en ville, votre âme de gentleman-farmer que l’on voudrait scandaleusement transformer en jeune cadre dynamique.

Alors, que faire de ces souliers pointus fraîchement ressuscités ? Tout sera comme toujours affaire de mesure et de goût, sachant que la synecdoque en matière d’élégance est un art très difficile à manier (à l’exception notable des Russes Blancs et de leurs boutons de manchette), et que des souliers à la pointe la plus exquise de donneront jamais un air d’élégance années 30 à un épouvantail à chaussettes blanches.

Ils apporteront en revanche un inégalable style à ceux dont le caractère, le physique et la mise s’accordent à de téméraires souliers.

 

                                                                                                            Théodule

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commentaires

P
Mon brave hirsute, "mais comment peut-on?" la réponse est: voyager le plus possible, vous verrez que de Milan à Londres, de Tokio à New York, partout ailleurs sauf à Paris(j'y habite), l'homme a<br /> brisé les chaines du conformisme vestimentaire d'antan. C'est même l'une des raisons qui ont fait perdre à Paris sa place de capitale mondiale de la mode et de l'élégance. Les<br /> élégances!!!!!!!!!!!!!! Sorry le show est désormais ailleurs, il faut faire tout pour que Paris retrouve sa place de leader, Je suis convaincu que le brave hirsute, la crème de l'élégance, saura<br /> imaginer un concept novateur en 2013 à Paris.
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H
@thuriferaire... ce n'est pas tant la commémoration de Brummell qui m'étonne sur votre blog, que tout le reste. Les titres, les photos, tout, je dis bien tout m'est incompréhensible, je ne pouvais<br /> que concevoir un blog au second degré. Mais apparemment non. Alors prenez ma question première innocente comme une critique, "mais comment peut-on?".
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P
Cher hirsute, il y a deux façons à mon sens, de voir le côté sérieux ou non des choses. D'un côté les diseurs (très bons derrière leurs claviers en intérieur) et les faiseurs (très bons dans leurs<br /> mises en extérieur). Chaque année à la date anniversaire de sa mort, je rend modestement hommage à Beau Brummell en déposant une gerbe sur sa tombe. De la même manière que certains le font pour des<br /> illustres chanteurs, moi, je le fais pour cet illustre Dandy oublié de tous. Cheers
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T
- à Thomas B. : je ne suis pas entièrement d'accord lorsque vous dites que les bouts ronds ne conviennent absolument pas aux physiques élancés; je retournerais le problème et dirais plutôt que ce<br /> sont les bouts pointus qui ne conviennent (ou plutôt "peuvent convenir") QU'aux physiques élancés. Un bout rond peut très bien aller à un grand mince, mais il faudra que l'épaisseur du bout soit<br /> réduite. "Bout rond" ne veut pas forcément dire "bout patate", et heureusement!<br /> <br /> - à Un Viennois: je ne prétends à rien, donc vos idées sont aussi justifiables que les miennes. Cependant, vos trois premiers exemples,il me semble, ne sont pas des bouts carrés mais plutôt,<br /> justement, des bouts "serre d'aigle" que notre hôte avisé a fort justement introduit dans le sujet. Je dirais néanmoins que ce n'est pas parce que de remarquables artisans produisent des bouts<br /> carrés sur des chaussures de grande qualité que cela justifie la forme. Le plus parfait ébéniste peut s'il le souhaite réaliser un meuble immonde dans les bois les plus rares et avec la plus<br /> impressionnante virtuosité, ça restera un meuble immonde. Cela dit, je n'écris pas ça pour vos exemples oshitate, car ces chaussures, même si ce n'est pas mon style, semblent avoir un petit quelque<br /> chose d'intéressant.<br /> <br /> - à tous: merci pour vos commentaires. Encore une fois, je ne prétends pas avoir la science infuse (ce serait se montrer aussi con qu'un sachet de thé), mais seulement soulever une question, à mon<br /> sens, intéressante.
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V
Il est à noter que cette mode du soulier pointu est presque exclusivement française... Tous les autres pays des Etats Unis au Japon, en passant par l'Angleterre ou l'Italie ne jurent que par les<br /> souliers ronds et ramassés (aussi bien chez les élégants que chez l'homme qui ne s'intéresse pas plus que ça à ses vêtements et à ses chaussures).
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U
«Je n'évoquerai bien entendu même pas les « bouts carrés », que, dans un geste de suprême magnanimité, je laisse aux VRP et aux marseillais endimanchés. »<br /> <br /> Vous avez raison, laissez dans votre « grande magnanimité » les George Cleverley et les Koji Suzuki aux « VRP et aux marseillais endimanchés ».<br /> <br /> Cette attitude de faux dandysme ignare et méprisant, vraiment ridicule, vous décrédibilise complètement.<br /> <br /> http://www.oshitate.com/products/other/spigola/koji-suzuki/client%20180/client180.htm<br /> <br /> http://www.oshitate.com/products/other/spigola/koji-suzuki/client%20183/client183.htm<br /> <br /> http://www.oshitate.com/products/other/spigola/koji-suzuki/client%20191/client191.htm<br /> <br /> http://www.gjcleverley.co.uk/our-shoes/bespoke-range
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H
@thuriféraire,<br /> ton blog est à prendre au second degré?
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U
correction :veuillez lire "au sujuet duquel" ! Faute de frappe due à la précipitation !!!<br /> Mes excuses
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U
Cher Chouan, et aussi cher Théodule,<br /> Tout d’abord je profite de l’occasion pour vous souhaiter une année 2013 pleine d’élégance et d’autres mille choses agréables.<br /> Pour venir au sujet que lequel nous débattons aujourd’hui, celui-ci m’a inspiré une réflexion : la volonté pathétique et écervelée de faire du passé table rase (outre à être un couplet de l’hymne<br /> d’une idéologie plus maléfique qu’autre chose) ne semble pas se limiter à une lutte contre l’habillement classique (que pour le sot signifie être ringard), mais s’attaque aussi à ce qui est, hélas,<br /> sauf cas rarissimes, immuable : le prénom.<br /> Las des anciens et fort honorables Louis, Marcel, Pierre, Jacques, Georges, Edouard et Paul, voici fleurir des improbables Maël, Noah, Kévin, Jonathan… Frappé d’un pêché originel lourdement<br /> handicapant, des pauvres innocents se voient condamnés à porter à vie la marque d’infamie du choix de parents se voulant « cool » (à ce propos je demande l’interdiction de l’usage de ce mot, sous<br /> peine de poursuites !). Encore plus ridicule quand un prénom lié à une origine géographique bien précise se voit suivi d’un nom de famille bien français : Kévin Dupont ou Noah Rivière plongent leur<br /> malheureux porteur dans un embarras sans fin. Nulle volonté ici de rouvrir le débat sur l’identité national : le contraire est aussi vrai. Il y a quelques années, nous avons connu une personne tout<br /> à fait remarquable, d’origine italienne, dont les parents, dans une volonté de naturalisation, le baptisèrent d’un prénom breton, suivi d’un nom de famille typiquement… napolitain !<br /> Alors qu’un garde –robe « de marque » et « à la mode » peut toujours être remplacé, dans un sursaut de bon goût, par des vêtements dignes et classiques, en revanche changer de prénom demeure<br /> problématique. Par ces temps agités, où l’on s’égosille sur l’héritage qu’on laissera aux jeunes générations, commencez, de grâce, pour ne pas leurs donner un prénom « jetable ».<br /> Amitiés élégantes
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T
Hello, je constate simplement que nombreux s'attardent sur les détails trop modernes de certaines coupes ou de certaines formes.L'homme qui s'habille commence a flirter avec le summum de l'élégance<br /> lorsque dans une soirée privée, sort de la bouche d'un maître tailleur " Belle mise, du sur mesure n'est-ce pas? par politesse je n'ai dit mot, juste un petit sourire qui, si on pouvait le<br /> décrypter, on lirait sur mes lèvres:" Non, monsieur,du PAP" Là, je vous assure, on se dit qu'on n'est plus loin du sommet. Faites messieurs, faites pour vous, les autres, les boutiquiers feront<br /> leur travail.
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G
En ce qui me concerne, je dirais que comme pour de nombreuses choses, le bon goût est dans la mesure. Trop pointu, trop rond, je n'aime ni l'un ni l'autre (même si à l'agressivité, je préfère la<br /> bonhomie).<br /> <br /> Merci pour cette contribution.
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T
Fort intéressant... Et plusieurs observations me viennent :<br /> <br /> D'abord une interrogation : vous semblez faire une dichotomie : d'un coté les bouts ronds, d'un autre les bouts pointus. Dans quelle case placez vous ce bout -dont vous produisez une illustration-<br /> qu'est le "serre d'aigle" ?<br /> <br /> Cette forme est selon moi un parfait compromis entre le pointu et le rond. Une sorte de concession faîtes à l'un (le manque de finesse, de subtilité... du bout rond) et à l'autre (le manque de<br /> virilité du bout pointu).<br /> <br /> Le rond est clairement connoté "campagne" et, surtout, ne sied absolument pas, selon moi, aux physiques élancés.<br /> <br /> Le pointu, qui n'aurait clairement pas mes faveurs s'il ne devait y'avoir que deux alternatives, est trop connoté "boite de nuit" voir même "gens du voyage qui se marie" (désolé, je n'arrive pas à<br /> mieux exprimer cette idée, comprenne qui pourra...). Et bien évidemment, comme vous l'avez souligné, est à proscrire chez les "gros".<br /> <br /> Bref, tout ça pour dire que je ne me retrouve dans aucun de ces deux bouts d'un point de vue purement esthétique.<br /> <br /> Mais ce choix n'engage que moi, bien évidemment. L'essentiel, vous l'avez dit, est de trouver la forme qui nous va. Si en plus cela correspond à nos goûts, what else?!
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L
<br /> <br /> Théodule vous répondra s'il le désire. Sur le bout "serres d'aigle", c'est à moi d'intervenir puisque je suis responsable du choix des illustrations. Comme vous, je trouve que cette forme<br /> ressemble à un très heureux compromis. Reste à trouver le "serres d'aigle" pleinement réussi !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Merci pour votre billet.<br /> <br /> Je suis bien d'accord avec ce billet, mais peut-être l'auteur, pour appuyer son propos, aurait-il pu s'inspirer de ce que notre ami le Chouan essaye de faire régulièrement (et notamment lors de sa<br /> houleuse discussion avec Achille de DPEC): expliquer un aspect esthétique par des contingences pratiques.<br /> <br /> Concernant les souliers à bouts pointus les désavantages pratiques sont légion. Tout d'abord les plis, qui se font plus nombreux et sur tout le long du soulier. Ensuite les accrocs: on plante sa<br /> pointe facilement dans les obstacles de la jungle urbaine, sans compter qu'il est plus difficile d'abriter des souliers de 40 cm de long sous un parapluie. Enfin ces souliers cassent l'équilibre<br /> d'une mise, on ne voit plus que ces bouts turgescents au mépris du reste de l'habit.<br /> <br /> On voit donc par ailleurs que les deux premiers inconvénients (plis et usure) viennent servir à merveille les boutiquiers de chaussures ascérées, leurs acquéreurs devant revenir vers eux bien plus<br /> souvent.<br /> <br /> Bref une arnaque.
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