L’idée m’est venue de vous présenter quelques écrivains correctement habillés (… je n’ai pas dit élégants, quoique certains d'entre ceux puissent prétendre au qualificatif). L’entreprise relève de la gageure : Houellebecq en geek, Michon en sweat à capuchon, Le Clézio en tricot de peau : nos écrivains sont des artistes et, comme tels, ils mettent un soin paradoxal à se montrer les plus négligés possible. Leur anticonformisme est un autre conformisme dont il semble qu’ils soient les seuls à ne pas constater l’usure. Alors, on se souvient avec nostalgie de l’anglomanie d’un Drieu, des audaces d’un Cocteau, du raffinement discret d’un Morand…
Marc Fumaroli
Déjà classé parmi « Mes élégants ». Une mise de type classique, toujours relevée d’un détail qui individualise : pochette, col anglais, casquette gavroche portée avec un chesterfield bleu foncé comme sur ce cliché du Sartorialist :
Jean d’Ormesson
Un autre de « Mes élégants ». Les réponses qu’il a faites à un questionnaire sur l’élégance publié dans le journal suisse Le Temps (14 septembre 2011) le mettent à nu. A la question « Qu’est-ce que l’élégance pour vous ? », il répond : « Une idée dont je me fiche complètement. » Plus loin : « Il y a dans l’élégance un côté superficiel, léger, que je ne rejette pas, mais à l’égard duquel je suis aussi très critique. » S’il dit avoir prêté autrefois attention à sa mise et avoir aimé les belles choses, c’est pour ajouter aussitôt que « tout cela (lui) a passé. » Faut-il le croire ? Evidemment que non ! Je crois plutôt qu’il faut lire dans ces propos toute la difficulté d’un homme à s’accepter. Car enfin, qui est plus élégant que Jean d’Ormesson ? Et qui est plus léger ? Son ironie tente de donner le change, mais la douleur est là et l’insatisfaction orgueilleuse de n’être que Jean d’Ormesson quand on se voudrait l’égal de Chateaubriand ou de Proust.
Renaud Camus
Apôtre du formalisme conçu comme une expression de la civilisation. Il écrit : « La forme protège l’être, elle le fait se tenir droit, au propre comme au figuré. Elle est le garant de l’heureuse verticalité de vivre. L’avachissement n’est pas une mélancolie (qui a ses vertus) : c’est un marasme, une dépression, une renonciation soi-mêmiste à soi-même (1). » Sa connaissance approfondie des règles, dont son apparence - comme son langage - porte le témoignage, fait de lui – malgré lui – un original. Mise discrète (costume gris ; chemise blanche ou bleue ; pochette claire) ; physionomie expressive et manières policées – il paraît ce qu’il est : un gentilhomme des lettres et un châtelain de province. Un cachet très « old school » ou, mieux, très « vieille France ».
Christopher Gérard
Le nom de cet écrivain belge est parvenu jusqu’à moi grâce à un commentaire dont il a aimablement gratifié un de mes billets. Il tient un blog remarquable de goût et de culture. Il ne suffit pas d’être cultivé. Encore faut-il l’être assez pour choisir sa culture. Tel est le cas de Christopher Gérard dont les goûts littéraires dessinent une famille. Cette photo de lui lisant le manifeste Chap m’a fait sourire. Admirez, à l’arrière-plan, l’élégance chapiste des petits oursons :
Jean Tulard
Une apparence classique et neutre. Ainsi donne-t-il la preuve qu’un anticonformiste peut être rasé de près, aller en costume cravate et porter des souliers bien cirés. Ecoutez avec quelle verve et quelle liberté de ton cet historien érudit nous parle de la crise.
Si vous possédez ses dictionnaires du cinéma, vous avez sûrement pris l’habitude, comme moi, de consulter ces ouvrages avant ou après chaque visionnage d’un film ancien.
Michel Déon
La fidélité l’exprime tout entier. Fidélité à son passé, à ses idées, à ses amis, à son style. Style littéraire, bien sûr, et, de façon plus anecdotique, style vestimentaire. Ses choix ne sentent pas la pose : Michel Déon est un individualiste qui, depuis longtemps en désaccord avec son époque, a fait, si l’on peut dire, de l’exil sa patrie.
ll vit dans cette Irlande qui sert de décor à plusieurs de ses livres, dont Un Taxi mauve. Ce roman a donné lieu à une transposition cinématographique dans laquelle jouait Fred Astaire. Fred Astaire dans ce film et Michel Déon dans la vie : deux gentlemen portant casquette et veste de tweed.
Fred Astaire dans Un Taxi mauve, film d'Yves Boisset
Edgar Morin
La présence ici d’Edgar Morin paraîtra sans doute saugrenue à certains d’entre vous. Edgar Morin bien mis ? La chose ne va pas de soi : il suffit pour s’en convaincre de consulter les « images » de lui sur Google. Si j’ai tout de même pensé à lui, c’est parce que j’ai plusieurs fois remarqué - à la faveur de ses passages à la télévision – certains détails (foulards, bagues…) témoignant d’une attention certaine à son apparence. Pour dire les choses très simplement : sa manière de s'habiller lui va bien.
Percy Kemp
Auteur Anglo-Libanais de romans d’espionnage. Un physique d’acteur de films noirs des années 30 et 40, surtout quand il porte une fine moustache.
Aurait appris l’élégance auprès de son grand-père maternel qui lui aurait délivré ce sage conseil : « La première chose que tu dois faire quand tu seras grand, c’est d’aller chez un bon tailleur pour te faire une belle garde-robe car en cas de revers de fortune, c’est beaucoup plus supportable. » Ses fournisseurs : Tom Brown, de Sackville Street, Londres, et Martin Nicholls, de Savile Row. Aime les belles voitures. A possédé une Lotus 7. Possède une Bristol 410 de 1969 et une Bristol Blenheim de 2000 (2). Cette vidéo dans laquelle il répond aux questions d’Olivier Barrot me plaît beaucoup. Elle donne un échantillon de ce que pourrait être un monde où les hommes feraient l’effort de bien s’habiller et s’exprimeraient dans un langage correct.
Gabriel Matzneff
Longtemps, Gabriel Matzneff a fait jeune. Etonnamment jeune.
Et puis l’âge a fini par le rattraper. Un peu. Son habillement a habilement accompagné cette évolution : d’abord adepte du tee shirt et de la chemise à poches, et puis se conformant à une vêture plus traditionnelle. Sa force : ne pas faire bourgeois même en costume sombre à rayures banquier.
Gide aussi, auquel Matzneff ressemble en plusieurs points (pour s’en tenir aux ressemblances physiques - il vaut mieux - : même peau collant à l’ossature du visage et donnant à celui-ci l’apparence d’un masque ; même corps resté mince, aérien), a longtemps fait très jeune. « Il n’a pas du tout vieilli. Vraiment sur le visage, comme dans ses gestes, son allure, sa marche, sa parole, rien de la vieillesse », écrit Léautaud en 1945 après avoir visité Gide.
André Gide en 1944. Source : André Gide, un album de famille, Jean-Pierre Prévost, Gallimard
Celui-ci a alors 76 ans. L’âge exact de Matzneff aujourd’hui. L’immoralisme, un élixir de jeunesse ?
Portrait récent de Gabriel Matzneff
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1. Décivilisation, Renaud Camus, Fayard.
2. Je tire ces renseignements d'un portrait de Percy Kemp signé Sabrina Champenois, Libération, 20 mars 2012.