Jean d’Ormesson est à la mode. A en croire la couverture du Lire du mois d’octobre, il est très aimé des jeunes. Un gagnant de La Nouvelle Star a fait tatouer son nom sur son bras. Franz-Olivier Giesbert l’a récemment fait dialoguer, dans son émission Vous aurez le dernier mot, avec un rappeur.
A la mode, vraiment ? Il y a dans tout ce remue-ménage quelque chose d’artificiel : un écrivain octogénaire, si typiquement aristocrate, idole des jeunes ? J’ai peine à le croire. Si Jean d’Ormesson m’est éminemment sympathique, c’est parce qu’il incarne, justement, des valeurs et des qualités dont je n’avais pas remarqué qu’elles étaient partagées par la majorité de nos cadets : la culture, la politesse, la distinction et, bien sûr, l’élégance.
Son élégance vestimentaire ne fait pas débat. Ses costumes sur mesure sont coupés dans de riches étoffes. Je l’ai vu récemment dans une magnifique veste grise au tissage voluptueux. Il aime le bleu, et le bleu lui rend bien. Il accorde ses chemises et cravates à la couleur de ses yeux. Le procédé est simple et l’effet est efficace. Notons sa fidélité jamais démentie à la cravate de tricot : c’est un peu le fil rouge de ses tenues - ou plutôt le fil bleu.
Ce classicisme de fond souffre de charmantes exceptions. Qui d’autre que lui aurait pu, sans tomber dans le ridicule, oser cette veste jaune :
Le ridicule n’est pas fou. Il sait que Jean d’Ormesson est un adversaire hors de sa portée. La bonne éducation est une potion magique qui vous préserve du ridicule toute votre vie. Heureux ceux qui, comme Jean, sont tombés dedans quand ils étaient petits ! Imaginez la situation : un photographe propose à un écrivain célèbre de 84 ans de poser allongé sur un canapé Louis XV. Vous vous dites qu’il serait bien téméraire d’accepter : il en va de sa réputation. Eh bien ! Jean d’Ormesson a relevé victorieusement - et très élégamment - le défi :
Jean d’Ormesson s’inscrit dans la lignée des hommes de lettres pour qui l’apparence a son importance. Il fut l’ami de Paul Morand. J’ai parlé de sa veste jaune. Paul Morand, lui, réussissait à être élégant en chemise de la même couleur :
Les cheveux blancs ont ce privilège d'autoriser les couleurs vives. Nos aînés, abonnés pour la plupart au marronnasse et au beigeasse, feraient bien de s'en souvenir.
Comme Paul Morand avant lui, Jean d’Ormesson aime les femmes, Venise et les voitures de sport. Car, pour cette espèce d’hommes, l’élégance ne se réduit pas au vestiaire. Elle est un principe de vie. Jean d’Ormesson a des manières élégantes. Je l’ai vu, lors d’une séance de dédicaces dans une grande surface, être également aimable avec tous, ne faire preuve d’aucune condescendance. C’est un honnête homme. Je serais ravi d’apprendre que les jeunes gens d’aujourd’hui ont fait de cet idéal classique leur mot d’ordre. Qu’on me permette toutefois de sérieusement en douter.
« Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables qui ont tous été remplacés. » : on connaît la formule de Clemenceau. Si l’on y réfléchit un instant, on conviendra qu’elle est assez inhumaine. Jean d’Ormesson est irremplaçable. Citez-moi un seul écrivain aussi raffiné et civilisé que lui. Cet homme est un chef-d’œuvre.