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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 09:37

Les styles anglais et italien se partagent la planète mode depuis les années 50. Les années 80 ont été dominées par le style anglais. Le style italien domine nos années 2000. Pantalon étroit, sans pinces et sans revers, chaussures fines et cambrées : autant de reprises de la mode italienne des années 50. On a revisité récemment l’héritage d’un Gianni Agnelli. Il y a vingt ans, la référence était le prince Charles. Le sacre récent de celui-ci par Esquire en tant qu’homme le plus élégant du monde (… pour l’autre sacre, il attendra !) annonce-t-il le retour en grâce du style anglais ? Le succès grandissant d’une marque comme Hackett semble aller dans ce sens.

D’autres styles existent, mais ils n’ont jamais acquis le renom des deux autres. Le style autrichien n’est pas exportable. Le style américain fut d’abord une adaptation nationale du style anglais. L’un comme l’autre méritent néanmoins, à des degrés différents, notre attention. Qui oserait nier que l’Ivy League (1) ait influencé – et influence encore – la garde-robe des élégants du monde entier ?

Très bien, me direz-vous, mais qu’en est-il du style français ? On aimerait croire à son existence. On tente régulièrement d’en tracer les contours. Mais force est d’admettre que le concept manque de corps et qu’il n’a jamais convaincu les élégants. Son hypothétique existence n’intéresse d’ailleurs que les Français eux-mêmes.

Il y eut, certes, le groupe des Cinq (2) au milieu des années 50 et la  « ligne Cardin » au milieu de la décennie suivante. Les tailleurs du groupe des Cinq tentèrent de créer une « Haute Couture pour Homme » et de diffuser, en France comme à l’étranger, une « coupe française » - notion d’ailleurs contestée à l’époque.


groupe-des-cinqDes hommes et des modes, Farid Chenoune (Flammarion), page 249


La révolution Cardin fut le point de départ d’une confection inventive et de qualité. Son impact dépassa largement nos frontières. « Le nom qui est sur toutes les lèvres dans la mode masculine, c’est Cardin », affirma le New York Times le 1er mars 1966. Mais, aussi intéressantes qu’elles soient, ces tentatives n’ont pas donné naissance à un style français. Remarquons, au reste, que la coupe italienne influença grandement les membres du groupe des Cinq et que la ligne Cardin fut avant tout une évolution de la silhouette britannique. Pour l’anecdote, il est significatif de rappeler que, dans Chapeau melon et bottes de cuir, Patrick Mac Nee, alias John Steed, le très british agent secret de Sa Gracieuse Majesté, était habillé… par Pierre Cardin.


ligne-cardin

 Ibid, page 274

 

Le style français est un des serpents de mer préférés des chroniqueurs de mode en mal d’inspiration. J’ai retrouvé, pour les besoins de mon article, un ancien numéro de Monsieur (n° 13) dans lequel Thierry Billard s’épuisait à faire croire à son existence : « Nos compatriotes, écrivait-il, éprouvent le plus grand mal à distinguer (notre style). » Plus loin : « Le style français existe, mais encore faut-il que les Français eux-mêmes s’en rendent compte. » Et il concluait sur ce point de vue qui dit tout et rien : « Le style français est en somme le style de demain. »

Laissons l’avenir à Dieu et parlons d’aujourd’hui. On loue l’inventivité de certains de nos tailleurs. A propos de Djay, François-Jean Daehn parle de « la renaissance de l’école parisienne face à Savile Row et aux Italiens » (Monsieur, n° 66, p. 60). Sachons raison garder. Quelle « école parisienne » s’agit-il de faire renaître ?  Qui sont les membres de cette école renaissante ? Quel en est le phare ? A quels principes les uns et les autres se rallient-ils ? La coupe d’un Djay et celle de Cifonelli, par exemple, sont très différentes. Parler à leur propos d’une communauté de style serait mensonger. L’individualisme est la marque de notre société. Pourquoi les maîtres tailleurs échapperaient-ils à la règle ? Chacun veut imposer sa différence. Cerner, définir, voire inventer une coupe française ne fait pas partie des préoccupations de nos tailleurs.

On tente généralement de faire émerger les caractéristiques d’un style français par confrontation avec les styles anglais ou italien. Cette façon de procéder porte en elle ses limites. En tant que tel, le style français n’existe donc pas. La France a cessé de donner le ton aux modes masculines à partir du milieu du XVIII° siècle. Ferons-nous un jour le deuil de notre suprématie perdue ? Consolons-nous en songeant à notre haute couture féminine qui, pour le monde entier, reste la référence. La tradition française a placé la femme au centre de la vie mondaine. Devrions-nous le regretter ? Ce particularisme culturel explique peut-être que nous ayons laissé la très masculine société anglaise et la très machiste société italienne imposer leur loi aux modes pour homme.

Un style ne naît pas ex nihilo. De multiples facteurs sont à prendre en compte : la morphologie, le climat, l’histoire, l’art de vivre… Le petit gabarit des Italiens explique certains choix opérés par leurs tailleurs. La pluie a pénétré – si l’on ose dire – le dressing des Anglais. Le style italien est marqué par un mode de vie urbain et moderne tandis que la campagne imprègne un style anglais fier de ses traditions. L’élaboration d’un style français ne saurait faire l’économie d’une réflexion en profondeur. Il s’agirait de se demander qui nous sommes, d’où nous venons, comment nous vivons, où nous voulons aller… Bref, de cerner en ce domaine aussi les contours de notre identité. Vaste et ambitieux chantier ! Je doute qu’il trouve rapidement un maître d’œuvre. Et des ouvriers.

_________________________________________________________________________________

  1. Ivy League : style venu des campus américains du nord-est des Etats-Unis. « Son principal message, c’est qu’élégance et prestige ne sont pas nécessairement synonymes de rigidité et de formalisme, de même que la décontraction n’implique pas la négligence. » Colin McDowell, Histoire de la mode masculine, La Martinière, p. 97.
  2.  « Groupe des cinq » : groupe formé en 1956 par cinq tailleurs (Bardot, Camps, Evzeline, Socrate, Waltener). « (Ce) groupe s’éteindra vers 1970, usé par l’âge et les chamailleries, affaibli par la défection de la clientèle du sur mesure et démodé par la nouvelle vague du prêt-à-porter, incarnée par Cardin . » Farid Chenoune, Des Modes et des hommes, p.248. 
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commentaires

J
<br /> J'avais en effet parlé d'Arnys en termes très élogieux, car il me semble que les frères Grimbert ne cherchent pas, justement, à se différencier des styles anglais ou italiens, et que par ce biais<br /> ils découvrent des possibles français: look intellectuel, mélange de chasse à la ville, couleurs ancien-régime et élans aristocratiques.. bref peu de thèmes anglo-saxon ou même italien... un bon<br /> compromis de vie de château (voir les trophés de chasse dans la boutique)et d'hôtels particuliers :)<br /> De plus, lorsque l'on suit le Sartorialist, on découvre qu'il 'stylise' les frnaçais, d'une manière fort différente de ce qu'il voit en italie ou à NYC: le marron chasseur/intellectuel est plus<br /> présent me semble t il ?<br /> <br /> <br />
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O
<br /> Arnys, oui, peut-être, sans doute. Je reconnais que je connais mal. (Même si je suis séduit par leur choix de boutons de manchettes.) Mais là, encore, il me semble surtout constater chez eux une<br /> tentative de fusion quasi alchimique de la tradition britannique et du faste à l'italienne. Mais peut-être m'égare-je.<br /> <br /> Pour tout dire, ce qui m'a toujours séduit, dans la façon anglo-saxonne de se vêtir, c'est ce - très - subtile négligé. Rien n'est - ne semble tout du moins - calculé. Le plus grand naturel préside<br /> toujours à l'association des différents éléments du vêtement. Quitte frôler, parfois, l'improbable.<br /> <br /> Du coup, j'aurais tendance à extrapoler : la perfection n'est pas - mieux : ne doit pas être - du domaine masculin. Inutile de la rechercher. C'est même, à mon sens, une faute de goût que d'y<br /> aspirer. S'en approcher, oui, mais, pour vous paraphraser (ou paraphraser Victor Hugo, "l'avenir est à Dieu" :) ) abandonnons à Dieu - ou à la femme, mais c'est un autre débat - la perfection.<br /> L'imperfection sera, pour nous, toujours préférable. Restons - faisons semblant d'être - imparfaits.<br /> <br /> Bon, je me rends compte qu'une fois encore, je me répands en commentaires oiseux. Que voulez-vous ? Je me sens bien chez vous.<br /> <br /> (Pour ce qui est de mon commentaire précédent, il eût fallu lire - et surtout écrire - "elle qui prétend être parvenue"... Oui, soyons imparfaits.)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Et puis, il y a une grande différence entre être bien habillé et être élégant. J'ai écrit un billet là-dessus que je publierai... quand ?<br /> <br /> <br />
O
<br /> Je me demande si ces questions de styles nationaux ne sont pas de faux débats, à tout le moins des combats d'arrière-garde. J'ai tendance à penser que la question est beaucoup plus d'ordre social.<br /> Le vêtement trahit l'appartenance à un groupe socioculturel, beaucoup plus, aujourd'hui, qu'à un pays. D'où, d'ailleurs, votre référence à l'Ivy League.<br /> <br /> Le "style français" ? Je me demande s'il ne réside pas, en définitive - et uniquement -, dans une certaine manière, plus ou moins heureuse, de mêler les influences britanniques et italiennes. La<br /> maison Cifonelli s'en veut le héraut, elle qui prétend être parvenu à synthétiser le meilleur des deux cultures vestimentaires. Admettons.<br /> <br /> Mais quant à moi, je ne suis pas bien sûr qu'il existe, pour un homme, une autre façon élégante de se vêtir en dehors des codes britanniques. Ou alors pour rire. :)<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Si je devais citer une marque illustrant un possible (?) style français, ce serait plutôt Arnys. Julien Scavini ne me démentira pas (voir son article intitulé "Du côté d'Arnys" - Stiff collar -<br /> dans lequel on peut lire : "Loin des disputes sur les traditions italiennes et britanniques sur l'art de se vêtir, il est un style, que dis-je, une essence française, dont le travail est rare<br /> : Arnys." Mais une marque ne saurait à elle seule faire le style d'une nation ! Je reparlerai de tout cela une autre fois.<br /> Pour le reste - soit votre conclusion digne de James Darwen (c'est un compliment) : Hors du style anglais, point de salut -, j'ai longtemps pensé comme vous. Et puis ma foi s'est mise à<br /> vaciller...<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Excellent billet.<br /> "La tradition française a placé la femme au centre de la vie mondaine." Cela me paraît très vrai. Nous assistons souvent à un déséquilibre dans la mise entre un homme négligemment fagoté<br /> accompagnant une femme vêtue avec distinction et parée comme une châsse.<br /> Votre billet se termine par une note pessimiste tout en ouvrant le débat. Autre facette de l'"identité nationale" ? Vaste question.<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Le style Ivy League ne saurait que difficilement être associé à Stanford, puisque cette université californienne, dont la qualité et l'élitisme ne font pas de doute, ne fait pas pour autant partie<br /> de l'Ivy League, rassemblant uniquement des universités prestigieuses de la côte Est: Harvard, Yale, Princeton, Brown et quelques autres ...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Pardonnez-moi cette erreur.<br /> Je corrige.<br /> <br /> <br />
J
<br /> Très très bien! J'avais fini par arriver à cette conclusion également sur l'indéfinition de ce principe... Et cette ouverture à la fin de l'article, de la grande chronique!<br /> <br /> <br />
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