Beaucoup d’entre vous ont sûrement déjà acheté et lu ModeMen de Julien Scavini. Je n’ai que trop attendu pour en dire quelques mots.
Pour rendre son propos plus vivant, Julien Scavini a imaginé un jeune homme, Antoine, qui, entrant dans la vie active, comprend qu’il est temps pour lui d’acquérir les rudiments de l’élégance masculine.
Le choix de ce personnage est révélateur du lectorat visé : Antoine est jeune et il est étudiant « en droit ou en finance, en management ou en histoire de l’art ». Le procédé (soufflé par l’éditeur ?) aurait pu être pesant si Julien Scavini n’avait eu la bonne idée de renvoyer souvent Antoine à ses chères études !
Le plan de l’ouvrage est lui aussi révélateur. Il n’a rien de révolutionnaire, et c’est très bien ainsi. Les têtes de chapitres reprennent les catégories traditionnelles, mais l’ordre dans lequel ces catégories sont traitées, qui suit les priorités d’Antoine, témoigne de notre temps. Ainsi, la chemise et le pull viennent en première et deuxième position, et il faut attendre la page 103 pour entendre parler du costume et la page 145 pour que vienne le tour du manteau. A titre de comparaison, De l’Elégance masculine de Tatiana Tolstoï en 1987 ouvrait sur ces deux thèmes.
Certains s’étonneront que la surchemise et le polo prennent place dans le chapitre sur le pull… dans lequel – tristesse du Chouan ! – le « pull breton » dit « marin » (… ne me dites pas que c’est l’inverse !) n’est pas mentionné.
Quand il rapporte les pratiques vestimentaires de nos contemporains, Julien Scavini fait preuve de beaucoup de tolérance. Ce parti pris quasi maffesolien (j’observe, je constate sans juger ni regretter) donne des notations du genre : « Antoine peut choisir (…) sans autre préoccupation que son goût… C’est selon le goût de chacun… Inutile d’en faire une règle absolue… C’est une question de mode ». Détail significatif : vous ne trouverez pas dans ce guide l’équivalent des « Erreurs répugnantes » de Tatiana Tolstoï ou des « Nadirs de l’horreur » de James Darwen. Le jean, les sneakers et les runners sont évoqués ; le tee shirt a droit à deux pages.
A cette largeur d’esprit, plusieurs explications sont possibles. Julien Scavini est d’un naturel accommodant. N’oublions pas que c’est un commerçant habitué à composer avec les désirs de sa clientèle. On ne peut s’empêcher de penser qu’un autre commerçant – son éditeur – a eu son mot à dire.
Ces concessions à l’air du temps sont d’ailleurs à relativiser. Le point de vue adopté est d’abord celui d’un tenant du classicisme. « L’élégance classique, nous dit la première page, est un ensemble de règles de bon sens pour vous simplifier la vie au jour le jour. »
Les habitués de Stiff Collar seront ravis de retrouver dans ce guide les points forts du blog. Pas de photos mais des illustrations signées de l’auteur. Je regrette toutefois que la qualité de l’impression ne les mette pas mieux en valeur. Les teintes sombres passent mal et pour tenter de distinguer les « unis » des « faux unis » (page 109), il m’a fallu me munir d’une loupe ! Un format plus grand eût été plus heureux. La présentation générale de l’ouvrage sent d’ailleurs très fort la maquette faite sur ordinateur ; ce petit côté « cheap » ne rend pas hommage au travail approfondi de Julien. Car ModeMen n’est pas un guide paresseux ! Les connaissances techniques du tailleur et les informations d’ordre historique du passionné foisonnent. Le blogueur (… illustrateur, tailleur, blogueur, Julien est tout cela à la fois !) n’a pas jugé utile de citer ses confrères ; qu’on permette à l’un d’entre eux de le regretter.
Précis, documenté, correctement rédigé, ModeMen est le meilleur guide sur l’élégance masculine de ces dernières années. Les néophytes comme Antoine y trouveront largement leur compte. Les Chouans exigeants aussi.