Année après année, le tatouage gagne du terrain. 10 % des Français auraient déjà succombé à cette vogue - à cette vague. Ce pourcentage est comparable à celui des Français d'origine étrangère. Mon rapprochement est moins gratuit qu'il n'y paraît : les tatoués ne constituent-ils pas, à leur manière, une minorité visible ? de plus en plus visible ? La situation n'est pas prête de s'inverser : préparons-nous à voir des flots de tatoués se déverser sur nos côtes dans les prochaines années !...
Pour un tatoué, la plage est un paradis. Son exhibitionnisme peut s'en donner à coeur - et à corps - joie. Cacher son monumental tattoo, qui a coûté si cher, ce serait aussi absurde que de ne jamais sortir son énorme 4X4 du garage. Parmi les estivants qui se promènent en slips sur les remblais ou dans les rues, la population tatouée est sur-représentée. Et quand le textile s'avère obligatoire, on le choisit en sorte qu'il laisse apparaître des bouts de tattoo : ici, c'est la queue d'un serpent qui dépasse d'une jambe de pantacourt; là, c'est l'aile d'un papillon qui s'échappe d'un décolleté.
Les tatouages se posent d'ailleurs de plus en plus souvent sur des morceaux d'épiderme qui, jusqu'alors, leur étaient interdits pour cause de trop grande visibilité : le dessus des mains, les cous, quand ce n'est pas le visage même...
On s'habille de moins en moins; on se muscle et on se tatoue de plus en plus.
« Sur la plage, la folie des tatouages » et « Tattoo pour être sexy » titrait récemment Paris Match (n° 3297). Isabelle Léouffre, auteur de l’article, écrit ceci : « Hier, c'était le signe de votre appartenance à un groupe : marin, prisonnier, motard.... Aujourd'hui, il reflète votre personnalité.» Le philosophe, Yves Michaud, convoqué par la journaliste, explique avec justesse : « La distinction entre vie publique et vie privée est remise en cause. L'intérieur s'affiche à l'extérieur et c'est une tendance lourde (1).»
Ainsi, le footballeur David Beckham a-t-il fait graver sur son dos les noms de ses enfants...
David Beckham. Source : Paris Match
… ou, naguère, Angelina Jolie, celui de son chéri, Billy Bob, histoire de bien montrer qu’elle l’avait dans la peau… Hélas ! L'inimaginable arriva : le couple rompit, et Angelina, par délicatesse envers le chéri suivant, fit effacer au laser l'encombrant tatouage.
L'article précise que la folie du tatouage touche tous les milieux. Mon expérience de la rue et de la plage me prouve le contraire. J'ai vu beaucoup de papas et de mamans de Jimmy et de Sandy tatoués - jamais ceux des Paul-Edouard ou des Marie-Victoire.
Quand Isabelle Léouffre affirme que le tatouage reflète la personnalité, elle ne fait que rapporter ce que disent les tatoués eux-mêmes. A lire leurs témoignages, j'ai plutôt le sentiment qu'il reflète un grand vide. Imagine-t-on, du reste, qu'une personnalité riche, étendue, puissante charge un tatouage le soin de la refléter ?
Que peut bien nous apprendre sur la personnalité du nageur Frédérick Bousquet les grandes ailes qui courent sur son bas-ventre ? Entre nous, de bien grandes ailes pour un petit oiseau…
Frédérick Bousquet. Source : Paris Match
Pratique primitive, le tatouage peut aussi se révéler très primaire.
A preuve, les justifications pseudo philosophiques et mystiques avancées par les tatoués de Paris match. Extraits : « Uccio (…), masseur italien, a commencé avec les divinités, Anubis et Iris, car "elles détiennent les clés qui nous mènent vers une autre dimension." Veronica, une hippie espagnole de 33 ans, veut inscrire "la géométrie sacrée" sur son chakra du cœur. Le dos de Dominique, 54 ans, chirurgien esthétique, sert de support à la Madone sacrée. "A 8 ans, j’ai assisté à une procession de la Vierge à Lourdes et j’ai eu l’impression qu’elle me parlait." Morten, un Danois de 39 ans, qui joue au foot dans le sable avec Elvis, son fils de 5 ans, a fait écrire dans son dos un extrait du credo en latin, selon lui, "le plus important message du Christ." »
Morten et son fils Elvis. Source : Paris Match
Fasse le ciel que le papa d’Elvis, de confession protestante, n’apprenne jamais que le credo, prière catholique, n’est pas un message du Christ ! Son ange gardien, dont il s’est fait tatouer l’image sur le devant, aurait pu tout de même l’avertir de sa méprise et, ainsi, lui épargner, peut-être, de longues heures de souffrance !
Car, il faut le rappeler, se faire tatouer, ça fait mal. Curieusement, le tatouage réintroduit la valeur sacrificielle de la souffrance dans une société où tout se doit d’être doux et confortable. « A chaque séance d’environ quatre heures, je pleurais de douleur », dit Chloé, une galeriste belge de 40 ans. « Avoir mal, c’est savoir qu’on est vivant », proclame de son côté Dominique, le chirurgien esthétique précité.
Chloé et son mari. Source : Paris Match
Ce sacrifice est toutefois vidé de toute dimension spirituelle : s’il faut souffrir, ce n’est plus pour expier ses péchés (le péché ? Kesako ?) mais, avant tout, pour attirer à soi les regards.
Une autre justification ressort des propos de nos tatoués : l’art. « Ma quête a été longue pour trouver le maître capable de créer une œuvre d’art haute couture, unique », dit Chloé. Sans être spécialiste, je ne peux que m’incliner devant la virtuosité dont témoignent certaines réalisations. Mais la virtuosité ne suffit pas à faire un artiste. Les motifs ressortissent presque toujours à une esthétique BD impersonnelle et froide. Il y a le cas, limite, du tout-tatoué qui, performeur à sa manière, fait en quelque sorte de son corps l’étendard de ses obsessions. Voyez Rick Genest, alias Zombie Boy, dont les tatouages font affleurer le squelette :
Cas extrême, je le répète, trahissant une personnalité névrotique. Le résultat est troublant, dérangeant, et, je dois le dire, fascinant. Le choc ressenti n’est pas sans m’évoquer celui qu’on éprouve devant certaines productions de l’art dit des fous. Ou devant certaines vanités.
Le principe de l’intérieur affiché à l’extérieur trouve en tout cas ici une déclinaison originale … et ultime !
La mode du tatouage a quelque chose de paradoxal. Tin-tin, un célèbre tatoueur parisien, insiste à juste titre sur « le caractère permanent du tattoo. » « C’est pourquoi, ajoute-t-il, le tatouage est antinomique de la mode, qui est éphémère. » Certes, mais ce discours de bon sens est contredit par la réalité qui se présente tous les jours sous nos yeux. A chaque saison nouvelle ses nouveaux motifs. « Star d’hier, le dauphin est aujourd’hui le comble de la ringardise », dit Isabelle Léouffre. L’exotisme fait actuellement fureur : calligraphie chinoise, symboles maori, tigre du Bengale ou d’ailleurs… On est loin de la fonction originelle du tatouage qui consistait à distinguer les tribus. Si tel était le cas, on pourrait imaginer des motifs locaux : les Bretons se feraient tatouer un chapeau à ruban sur le bras, une bretonne en coiffe de leur pays sur le torse… Jugerait-on, alors, le tattoo aussi sexy ?
Gare aux suggestions de la mode, donc. L’aspirant tatoué doit aussi se souvenir qu’il va vieillir. Qu’il médite l’exemple de Bernadotte qui, devenu roi de Suède, dissimulait le « Mort aux rois ! » qu’il s’était fait tatouer sur le bras du temps que, soldat, il servait la République. A l’heure de la toilette, les grandes ailes façon Bousquet feront bien rire dans les maisons de retraite et les kitschissimes motifs girly auront l’air de quoi sur des peaux de centenaires ?
Tatouage à motif "girly". Source : Paris Match
Mais il y a fort à parier que d’ici là on aura trouvé un moyen moins douloureux et moins onéreux que le laser pour effacer les tatouages devenus indésirables. Le tatouage ne sera plus, alors, qu’une espèce de super décalcomanie…
Alors, Tattoo ou rien ? Pour vous, je ne sais pas, mais pour moi - sans façon -, ce sera rien (2).
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1. Lourde, en effet, et à l’œuvre partout. Voir, par exemple, les médecins, les avocats, les notaires… qui ornent de photographies de leurs proches leurs cabinets et études.
2. A voir...