Trop fort : je suis à la mode ! « Osez le classique ! » a titré Monsieur pour son numéro de rentrée. La veste matelassée, dont j’ai fait l’éloge il y a plus d’un an, a de nouveau les faveurs des stylistes. Les forums de mode abondent en questions sur les bonnes manières de porter le blazer. Les chaussettes se cachent de moins en moins et se parent souvent de couleurs acidulées. Le pouvoir sans partage du costume noir commencerait à être menacé. La barbe gagne du terrain – au point que Le Figaro a récemment donné un coup de pouce aux barbiers (qu’un « figaro » aide un barbier, en un sens, c’est bien naturel !) – et rendu un hommage indirect au barbu Hemingway - en se demandant « pour qui sonn(ait) le glabre » (1). Et, tenez-vous bien – car j’ai gardé le meilleur pour la fin -, le barbour, qu’on croyait à jamais enfoui dans les profondeurs de quelque lac écossais, vient de refaire surface : « Barbour porte beau », c’est le titre de l’article que vient de lui consacrer Elvira Masson dans un supplément « Styles » de L’Express (2).
Un autre titre s’est affiché un peu partout dans nos villes au début du mois d’octobre : « Le vrai rocker s’habille réac ». C’était une pub pour Les Inrockuptibles (3).
Surmontant mes préventions, j’ai fini par acheter le numéro. A l’intérieur, s’étalant sur deux pages, un article signé Marc Beaugé (celui de la « Style académie » de GQ) et Géraldine de Margerie (celle du Dictionnaire du look) dont voici quelques extraits : le « style bourge » et « les totems du vestiaire bourge » sont redécouverts par les jeunes rockers pour qui « porter une cravate en maille tricotée comme Jean d’Ormesson ou des mocassins à glands est devenu plus provocateur qu’arborer un badge rock ou un jean troué ». Bien mieux, la qualité du vêtement est de nouveau prise en compte : « Les pièces recyclées, des classiques absolus, datent d’une époque où les designers étaient des modélistes anonymes, techniciens beaucoup plus qu’artistes. Au cours des quinze dernières années, des designers sont devenus des vedettes capables de vendre n’importe quelle nippe sur leur nom. Cette ère s’achève. On veut de la qualité plutôt que de l’esbroufe.» Cette nouvelle tendance a un nom : le « tradi-branché ».
Bien sûr, une telle captation des signes extérieurs d’une certaine élégance traditionnelle par une clientèle jeune et branchée ne va pas sans susciter au sein même de cette clientèle – cible visée – doutes et confusion. Pour tenter de rassurer, on sollicite l’histoire : « L’élégance classique s’est encanaillée et ce n’est pas la première fois », expliquent Margerie et Beaugé - et de citer les mods de la fin des années 50 et les minets des années 60. On fait surtout appel au sens de la dérision de ces « réacs » d’un genre nouveau. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les légendes des photos qui accompagnent l’article. Ainsi, le Barbour est présenté comme « ce vêtement qui a pour particularité de puer très fort. » Dans L’Express, Elvira Masson précise sur le même sujet : « Les néo-minet(te)s de 2010 (…) portent le Barbour avec toute l’ironie requise. » Loïc Prigent, réalisateur et producteur sur Stylia, appelé à la rescousse, enfonce le clou : « Avouons que la veste en toile enduite est plus chouette sur le bassiste du groupe Two Door Cinema Club que sur mon père. »
Two Door Cinema Club. Le bassiste en question est à gauche...
Porter un vêtement avec fantaisie, je vois ce que ça veut dire et, le cas échéant, je peux encourager à le faire – mais avec ironie, là, non, je ne vois pas. C’est, une nouvelle fois, surprise à l’œuvre, cette manie bobo du décalage et du voyez-comme-je-suis-intelligent. Supposons un instant la chose possible, je crois volontiers qu’elle se retournerait contre son auteur en le rendant ridicule. S’obliger à porter des vêtements qu’on n’aime pas… il n’y a qu’un bobo ou un apprenti bobo pour avoir une idée aussi tordue !
Une horloge définitivement arrêtée donne l’heure exacte deux fois par jour, ce que ne font pas les horloges qui avancent ou celles qui retardent. Je suis comme cette horloge : voilà des décennies que j’indique la même heure. S’il vous arrive de rencontrer, au hasard d'une de vos promenades, un cinquantenaire élégamment vêtu, dites-vous que c’est peut-être le chouan des villes… ou alors un vieux rocker !...
Moi à la mode ? J’ai du mal à m’en remettre ! Mais, attendez, si je suis vraiment à la mode, c’est donc que je suis déjà démodé !... Ouf !
__________________________________________________________________________________
1. Le Figaro madame du 9 octobre 2010.
2. L'Express, n° 3095.
3. Les Inrockuptibles, n° 775.