Oui, j’en ai déjà parlé. Oui, la nostalgie est un vilain défaut. Oui, ce n’est pas bien de dire du mal de son époque. Ce n’est pas bien et c’est très vain. Oui, oui, oui, je sais tout cela. Mais quand même…
Ne serait-on pas en droit d’attendre des artistes que, dans leur manière de se vêtir, ils fassent preuve d’originalité, de liberté, de fantaisie ? Après tout, aucune loi du milieu ne pèse sur eux !
Alors, pourquoi ? Pourquoi eux ? Eux aussi ?
On m’objectera que l’évolution vers la banalité, l’uniformité, la grisaille étant générale, il est logique que les artistes aussi soient touchés. Mais, précisément, un artiste n’est pas un homme comme tous les autres. De lui, on espère l’exception, la surprise – l’inspiration. On veut qu’il soit un modèle – et il fut un temps où, de fait, il l’était. Les peintres osaient – avec plus ou moins de bonheur, certes - mais ils osaient :
Foujita
Salvador Dali
Les musiciens cultivaient une élégance classique et raffinée :
Igor Stravinsky par Jacques Emile Blanche. (La pochette est placée bien bas !)
Arthur Rubinstein. A noter, la cravate nouée à l'envers.
Les écrivains n’étaient pas en reste :
François Mauriac
André Malraux
Et, à la lisière de l’art, il y avait les couturiers qui, faisant profession d’élégance, mettaient un point d’honneur à être remarquables :
Jacques Doucet
Jean Patou
Les écrivains, j’y reviens.
Regardez ces deux clichés. Le premier, qui date de 1923, montre le jury du Prix du Nouveau Monde ; sur l’autre, c’est celui du prix Goncourt en 2007. La dégringolade n’est-elle pas flagrante ? La réalité est là, qui saute aux yeux. Objective, indiscutable. Et, depuis 2007, les choses n’ont fait que s’aggraver.
De gauche à droite : Jean Giraudoux, Jean Cocteau, Jacques de Lacretelle, Paul Morand, Bernard Faÿ, Valery Larbaud : du beau linge !
J’ai une autre fois évoqué le cas Houellebecq. Il m’est arrivé de publier des photos de Michon, Le Clézio, Echenoz… habillés comme des moins que rien.
Jean Echenoz et Pierre Michon
Il y a quelques mois, c’est Quignard que j’ai vu à la télévision, chez François Busnel dans « La Grande Librairie », revêtu d’un vulgaire tee-shirt noir largement échancré.
Pascal Quignard. Tatiana Tolstoï (De l'élégance masculine) classe dans la catégorie des « erreurs répugnantes » le « col ouvert sans foulard si l'on a plus de cinquante ans ». Sage remarque !
Les écrivains, créateurs de personnages, devraient pourtant savoir mieux que quiconque le lien qui existe entre l’habillement et la personnalité : l’un dévoile l’autre quand même il cherche à la déguiser. Je sais bien que, depuis Balzac, le roman a évolué ; qu’un certain roman psychologique est mort ; que, durant la seconde moitié du dernier siècle, des romanciers autoproclamés « nouveaux » ont fait tomber de son piédestal le personnage de roman modelé par son passé, reflété son visage, révélé par ses habits.
Oui, oui, oui, je sais tout cela. Mais quand même...
Chacun d’entre nous sait d’expérience que le vêtement parle pour soi ; qu’il fait sens.
Que trahit chez nos écrivains le laisser-aller actuel ? Une grande fatigue ? Un snobisme dévoyé ? Une haine de soi ?
La banalisation extrême de leur mise est indissociable de la perte de prestige de la littérature en France.
Nos écrivains ne savent plus s’habiller. Il faut dire que, dans leurs livres, où, complaisamment, ils se mettent en scène sous la forme de doubles plus ou moins avérés, on se déshabille plus souvent qu’on ne s’habille.
L’écrivain est nu. Qu’il aille se rhabiller ! Vite et bien.