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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 06:47

Dans ses mémoires, Philippe Noiret parle de son amour des artisans : « Parce qu’ils sont passionnés de leur métier, j’aime discuter avec eux, que ce soit d’un col de chemise ou du revers d’un pantalon (…) nous pouvons avoir des conversations byzantines sur la juste proportion (1). » A ma modeste place, je peux témoigner de ce que la fréquentation d’artisans passionnés m’a humainement apporté. Elle m’a fait réfléchir à la nécessaire confiance qui doit présider aux relations sociales. Choisir un artisan – un tailleur par exemple -, c’est toujours prendre un risque ; en tant que client, j’ai la crainte que le résultat ne soit pas à la hauteur de mes espérances… et de mes efforts financiers ! De l’autre côté, l’artisan doit faire avec des clients soupçonneux, difficiles, qui, parce qu’ils paient, se croient « les rois ». Il faut surmonter les préventions respectives. La relation est réussie si l’artisan fait tout son possible pour satisfaire son client et si le client accepte les aléas inhérents à toute activité manuelle. « Chaque tailleur a son défaut », me répétait ma mère quand, déçu par mes premiers essais « sartoriaux », je cherchais auprès d’elle un peu de consolation. Ma déception s’expliquait : j’étais jeune et mes fantaisies me mangeaient la presque totalité de mes maigres premiers salaires.


tailleurs-au-travail.jpgAtelier de tailleur, 1re moitié du XIXe. Litho coloriée. BPK, Berlin, dist. RMN.

 

Le choix des meilleurs fournisseurs ne préserve pas des mauvaises surprises. Philippe Noiret – j’y reviens – raconte qu’il avait dans ses armoires « des pantalons très bien coupés, mais un peu longs parce qu’on (s’était trompé) lorsqu’on (avait pris) les mesures ». Il dit encore : « Dès que j’ai gagné un peu d’argent, j’ai eu envie de me faire faire des souliers chez Lobb (…) c’étaient des mocassins ; lorsque je les ai récupérés, j’ai voulu les essayer : ils me faisaient un mal de chien. Je suis allé trouver M. Dickinson qui était le maître bottier de chez Lobb : « Ne vous inquiétez pas, monsieur Noiret. On a voulu trop bien faire. On va vous donner de l’aisance. » A partir de ce jour, j’ai été un fidèle de la maison. »

Les artisans m’ont appris, à leur manière, à être philosophe. « La machine est impersonnelle, disait Nietzsche. Elle retire à la pièce travaillée sa fierté, cette qualité et ces défauts inséparables de tout travail non mécanique. » J’ai appris à accepter les défauts de mes tailleurs successifs. L’un d’eux aimait à répéter : « Le tissu est une matière souple dont on ne fait pas ce qu’on veut. » Ces défauts, j’ai même fini par les aimer. Ils m’évoquent des souvenirs ; ils racontent des histoires. Les tisseurs orientaux introduisent volontairement un défaut dans la fabrication de leurs tapis afin de signifier que la perfection est l’apanage de Dieu. Nos machines modernes produisent, elles, des « produits parfaits », comme le dirait Houellebecq. Et Dieu a déserté nos vies.

L’objet réalisé par l’artisan est le fruit d’une relation entre deux personnes – lui et son client. De là sa valeur particulière et l’affection – oui, l’affection – qu’on peut avoir pour lui. Le « prix » d’un objet ainsi fabriqué n’est pas réductible à sa valeur pécuniaire. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme/ Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » Assurément, des objets en plastique usinés à la chaîne n’auraient pas arraché au poète la même interrogation ! L’artisan communique un peu de son âme à l’objet qu’il fabrique et le client va, à son tour, transmettre un peu de la sienne à celui qu’il achète. Nietzsche encore : « Autrefois, tout achat fait à des artisans était une manière de distinguer des personnes des marques desquelles on s’entourait ; le mobilier et le vêtement devenaient de la sorte des symboles d’estime réciproque et d’affinités personnelles, tandis que nous ne semblons plus vivre à présent que parmi une société d’esclaves, anonyme et impersonnelle. »

Le nombre des artisans a, ces dernières décennies, fortement diminué. La mémoire des métiers disparus se perpétue, sous une forme folklorique et à des fins touristiques, dans des villages aussi tocs que des décors de cinéma. Seul un certain artisanat d’art et de luxe a réussi à tirer son épingle du jeu. Sa clientèle est riche et d’origine souvent étrangère. Les tailleurs habillaient autrefois les hommes de toutes les classes. Les quelques-uns qui survivent pratiquent des prix qui dissuadent la clientèle moyenne – et, a fortiori, modeste – de s’adresser à eux. Grevés de charges, comment pourraient-ils faire autrement ?

Un manque existe dont témoigne l’intérêt actuel pour le « sur mesure » sous toutes ses formes ou pour des blogs comme le mien. Les jeunes ne sont pas les derniers à rêver sur un monde hélas disparu. Un monde humain. 

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1. Mémoire cavalière, Philippe Noiret, Robert Laffont.

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 06:36

 

julien-scavini-vitrine-copie-1.JPGUne belle vitrine. Maison Scavini, 50, boulevard de La Tour-Maubourg, Paris 7e.

 


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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 06:42

Julien Scavini poursuit son chemin. Il vient de s’installer au 50, boulevard de La Tour-Maubourg, à Paris, dans le VIIe arrondissement. Son parcours ne mérite que des éloges : diplômé d’architecture, il se tourne vers le vêtement, suit une formation à l’AFT et passe avec succès son CAP de tailleur.

Très vite, il ouvre sa boutique, et propose une offre originale située à mi-chemin entre le tout industriel et le tout fait main. Les tissus (anglais) sont de qualité, la façon est soignée (pas de thermocollé), la ligne élégante et les prix encore abordables.


julien-scavini.jpgVeste de costume à carreaux discrets. Julien Scavini

 

Cette histoire est connue de tous ceux qui lisent régulièrement son excellent blog Stiff Collar – soit de la très grande majorité d’entre nous.

Le parcours de notre jeune ami a quelque chose d’exemplaire. Ses qualités sont nombreuses : il est talentueux, passionné, travailleur, ambitieux. Mais il possède une autre qualité qui, à mon avis, l’emporte sur toutes les autres tant il est rare de la voir accordée avec elles : la modestie. Question d’éducation, sans doute, et d’intelligence lucide.

La « Maison Scavini » : une affaire à suivre !

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10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 06:34

Sur quelques tailleurs

«  Archibald Leahy était doté, professionnellement, d’une sorte de génie : les vêtements qu’il taillait étaient d’un si beau style (dans ce genre étriqué, comme misérabiliste, dont l’usure accentue la note romantique) qu’on oubliait les défauts – grossières fautes d’orthographe -  dont ils étaient criblés ; et il lui arriva de me confectionner – effet de je ne sais quelle distraction ou manigance financière – un costume dont ni la forme (croisée alors que je la souhaitais droite) ni peut-être même le tissu (choisi sur un bout infime) n’étaient ceux dont nous étions convenus, mais que j’acceptai de mon gré, vu l’indéniable talent dont il témoignait et le charme irrésistible de son baladin d’auteur. »

Barrett. «  Ici, nous ne regardons pas ce qui se passe dans la rue, me dit un après-midi ce tailleur, affirmant ainsi l’orgueil aristocratique qui le portait à un dédain souverain de cette chose horriblement vulgaire, la mode, dont un honnête homme n’a pas à se préoccuper s’il tient le moins du monde à se placer au-dessus du commun. 

L’ami qui m’avait envoyé chez Johnson et Marié était quelqu’un de plus expérimenté que moi (…) les deux associés racontaient admirativement que depuis nombre de dizaines d’années ils lui exécutaient des costumes sans jamais les changer d’une ligne et sans en jamais élargir ou rétrécir les bas de pantalon. Une fois pour toutes, un standard avait été défini et ils s’y conformaient avec autant de rigueur que le faisait à la règle qu’il avait conçue cet autre tailleur, Fred Perry, chez qui j’allai quand j’avais un peu plus de vingt ans et qui m’assurait qu’il m’habillerait d’une façon qui ferait impression sur mon patron (annonçait-il en substance, comprenant que j’étais un jeune homme aux moyens sans rapport avec sa soif d’élégance), règle de même ordre qu’une section d’or ou un canon de Polyclète : même distance entre le cran des revers et la petite poche de côté, entre celle-ci et le bouton de milieu du veston (placé juste au niveau de la taille naturelle), entre ce bouton de milieu et la poche du bas, distance qui, inchangée, jouait le rôle d’un module. Sidney Johnson, pur Anglais (…), et son coupeur Alfred Marié (…) n’étaient ni l’un ni l’autre des théoriciens de l’art vestimentaire à la façon de Fred Perry. Marié, qui seul maniait les ciseaux, paraissait opérer de manière tout empirique ; Johnson, qui conseillait dans le choix, et présidait aux essayages, avait toutefois une idée bien arrêtée : la haine de ce qu’il appelait les couleurs " sales ", autrement dit les tons pas francs (indécis en eux-mêmes ou se conjuguant en un accord faux, s’il s’agissait d’un tissu aux teintes mélangées), couleurs dont – considérant l’échantillon ou la pièce incriminé – il parlait avec une moue de dégoût, comme si leur spectacle ou leur seule évocation avait été pour lui une souillure l’atteignant plus intimement qu’un simple déplaisir physique. Le classicisme le plus grand  - aisance et sobriété – semblait avoir sa préférence, et si loin allait son souci de la correction, ainsi que son loyalisme envers son pays natal, que je me rappelle l’avoir vu dans son magasin, chemisé de blanc et tout de noir vêtu, peu après la mort du prédécesseur de la reine Elizabeth, à telle enseigne qu’il me semble bien m’être senti tenu de lui présenter mes condoléances. Selon son acolyte Marié, qui lui non plus n’était pas un ascète en matière de breuvages fermentés, Sidney Johnson, grand buveur, prisait particulièrement le mandarin à la menthe verte, mélange singulier pour un Anglo-Saxon et surtout pour quelqu’un qui à tel point détestait les couleurs " sales "…»


illustration-leiris.jpgExtrait du Chic anglais, James Darwen (source : Hackett)

 

Sur le métier de tailleur et la philosophie

« Il semble indiscutable que le tailleur, affronté à l’apparence humaine comme l’est le médecin à ce qui se passe dans les corps et dont leur enveloppe porte souvent la marque – il semble évident que celui qui nous coupe des habits, appropriés à l’idée que nous nous faisons de nous (quant à ce que nous sommes et à ce que nous devrions être) ainsi qu’à sa propre idée de notre personne et des impératifs de la mode, se trouve branché directement sur la philosophie. Outre qu’il doit procéder à de subtils arbitrages entre la nécessité du comme-il-faut et la liberté du comme-il-vous-plaira, son champ d’action n’est-il pas essentiellement situé à la frontière de l’être et du paraître ?

Frivolité, peut-être ? Jamais une séance d’essayage chez le tailleur ne m’a ennuyé… Divers détails matériels me séduisent : le dessin des coutures provisoires se superposant à notre corps en une sorte d’idéal tracé géométrique ; le bruit de la manche à peine fixée que, parfois, l’artisan arrache d’un coup sec (ce qui donne soudain l’impression d’être en guenilles) ; ses gestes de sculpteur, appliquant ici, relâchant là ; les épingles qu’il enfonce prestement, à l’emplacement des futurs boutons par exemple. Plus encore, me séduisent les propos qu’il peut juger opportun d’émettre et qui, souvent, laissent entrevoir sa philosophie d’homme en bonne posture pour considérer gens et choses, la personnalité de chacun et les fluctuations du goût, ce qui appartient en propre à l’individu et ce qu’il doit emprunter au collectif, aussi soucieux qu’il soit de s’affirmer modèle unique.

Originaire, je crois, d’Europe centrale mais élevé en Angleterre, un tailleur de la rue Vivienne chez qui, autrefois, je me suis fourni tenait si fort à marquer sa dignité et la quasi-spiritualité de son art que ses factures ou papiers à en-tête étaient porteurs de ce slogan : A Bund’s suit gives a moral satisfaction, formule que cette autre concurrençait : Patronized by the best gentlemen in the city, comme s’il avait donné à entendre qu’en s’habillant chez lui l’on se sentirait en quelque manière purgé de ses péchés et très précisément l’égal de ces parfaits qui, irréprochables dessus du panier, voulaient bien lui accorder leur pratique. »

(…)

« L’affection fétichiste que j’ai pour mes vêtements, qui représentent comme mes écrits un constituant de ma personne telle qu’elle apparaît aux autres, - l’autorité presque d’oracle que j’attribuai il y a longtemps au dicton Kleider machen Leute, que me firent connaître quelques leçons d’allemand à l’Ecole Berlitz et qui s’oppose à notre l’habit ne fait pas le moine, - l’idée un peu obsessionnelle qu’un jour viendra où je commanderai un costume que la mort m’interdira de porter ou ne me le permettra qu’à peine, - ma répugnance à être photographié (sûr que je suis d’être vilainement montré et, par ailleurs, envisageant avec malaise l’écart futur qui séparera mes traits réels de ceux ainsi saisis au vol et abstraitement fixés), - cet attachement jaloux à mon corps, qui m’a toujours empêché de le mettre en danger sans trop d’inquiétude et même retenu de lui donner totale licence de s’abandonner en aveugle à la distorsion de l’amour : voilà qui suffirait à expliquer pourquoi je tends si fortement à croire que le métier de tailleur – travail touchant directement à notre forme visible – ne peut manquer d’inciter à philosopher. »

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5 septembre 2010 7 05 /09 /septembre /2010 07:15

franck-namani.jpg

 

Lu, dans un récent Express (n° 3081) :

 « Ce fut une petite réception, discrète – juste la famille et quelques amis. Elle eut lieu dans le salon des Ambassadeurs du palais de l’Elysée, comme c’est parfois le cas (…) Ce jour-là, il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy épingla la médaille de chevalier au revers du veston de Franck Albert Nahmani, plus connu sous le nom de Franck Namani (sans h) – d’après son site internet, « spécialiste incontesté des beaux cachemires (…), virtuose de l’élégance masculine. » Mais que lui vaut donc d’avoir été ainsi distingué par l’homme le plus puissant de la République ? Officiellement, ses « trente-trois ans d’activités professionnelles », telles qu’inscrites au décret du 31 décembre 2009 portant élévation aux différentes dignités de l’ordre national de la Légion d’honneur. En réalité, Franck Namani a un mérite : fabriquer des costumes qui siéent à merveille au président. La gratification tient parfois à un fil. »

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 07:49

Mon titre vous intrigue ? C’est fait pour. Voici comment il faut le comprendre :

- Question : celle que je posais dans mon billet La vérité est tailleur : « Combien de tailleurs aujourd’hui en France ? »

- Réponse : celle que je croyais avoir trouvée dans  Métiers d’art  spécial tailleurs : 150. Je le croyais… jusqu’à ce que le  commentaire d’un d’entre vous (Alan-B) insinue en moi le doute : « J’ai découvert dans ce magazine qu’il existait 150 ateliers de tailleurs sur le territoire (…) alors que sur le blog « Journal d’un tailleur », il n’y en a que 13 à Paris. »

C’est vrai ça. J’avoue avoir gobé le chiffre – dont Priscille de Lassus, qui a signé l’article, dit qu’il provient de la Fédération nationale - sans m’interroger plus avant.

Reprenons : 150 – 13 = 137. Impossible que les tailleurs de province fassent la différence. Quand, au début des années 80, le Chouan a commencé à fréquenter les tailleurs, sa bonne grosse ville de province en comptait 7 ; aujourd’hui, un seul est encore en activité et il a allègrement (il faut croire que le métier conserve…) dépassé les 70 ans !

13 en tout et pour tout à Paris aujourd'hui ? Renseignements pris, j'ajouterai(s) quelques noms à la liste du "Journal" : di Fiore, Brano (avec Brahim Bouloujour), Jean-Luc Rambure (à voir, sur son site, un étonnant film de présentation), Massari, Dino Bianco... A tout casser, une vingtaine...

- Re-Question : Alors ?

Mon aimable commentateur finit en me demandant : «  Avez-vous des informations plus précises ? » J'ai dit ce que je savais.... Qui d’entre vous éclairera nos lanternes ? Moi, je donne ma langue au tchat !

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26 mars 2010 5 26 /03 /mars /2010 08:31

couverture-metiers-d-art.jpg

Le magazine Métiers d’art consacre, dans son nouveau numéro, un dossier sur les tailleurs. Pas un de ces dossiers attrape-nigauds annoncés comme exceptionnels sur la couverture et se réduisant à quelques pages intérieures écrites gros et abondamment illustrées. Non, un vrai dossier, riche de quelque trente pages, articulées autour de six thèmes : l’ Histoire, les Techniques, les Acteurs (24 heures chez Camps de Luca – ambiance à la Vermeer pour la photo de la page 31), le Marché (avec d’instructifs renseignements sur les parcours de formation), les Horizons et les Repères pratiques. A la périphérie de ce dossier, on trouvera, notamment, un agréable reportage sur Savile Row, un autre sur l’atelier du tailleur de l’Ecole militaire (Monsieur Obis) et quelques belles pages sur la mode française au XVIIIe siècle.

La page 47 réserve une jolie surprise aux habitués du site Stiff Collar !

Mon billet La vérité est tailleur  posait la question : « Combien de tailleurs aujourd’hui en France et combien d’apprentis ? » J’ai, en partie, ma réponse : « 150 ateliers avec une forte concentration à Paris ». La situation en province est catastrophique : « En province, des villes comme Lyon, Marseille, Strasbourg ou Bordeaux possèdent encore leur tailleur, mais les maisons ferment souvent sans trouver de repreneur. » La comparaison avec l’Angleterre est douloureuse où – la page 58 nous l’apprend – le nombre des tailleurs s’élèverait  à « près de 800 dont 300 à Londres. » Je serais curieux de connaître les chiffres pour l'Italie.

La partie  Horizons  m’a fait tiquer, qui fait dangereusement rimer tailleurs et créateurs. J’aime ce que dit le maître tailleur David Diagne : « Les classiques sont justes sinon ils n’auraient pas perduré jusqu’à aujourd’hui. » L’évolution, je ne suis pas contre, pourvu que la recherche de l’originalité ne se coupe pas de celle de la beauté. Il faudra, un jour, que je développe ce point de vue.

Un seul point faible : l’édito, signé Nathalie Gaillard, « Attachée de conservation et Directrice du Musée de la chemiserie et de l’élégance masculine » (j’ignorais que l’élégance pût être mise en musée !) La longueur des titres de Nathalie Gaillard est inversement proportionnelle à celle de son édito - quelques lignes bâclées, émaillées de perles : « L’homme élégant ne porte que des vêtements réalisés sur mesure par les meilleurs tailleurs et chemisiers. » La restriction exclusive et le superlatif absolu éloignent à jamais du monde de l’élégance les bourses modestes. Si, en ce domaine, élitisme il y a, il s'agit d'un élitisme du goût et non de l'argent. Citons encore : « La chemise (de l’homme élégant est) blanche à poignets mousquetaires et cravate assortie (sic). » Madame Gaillard convoque, à la fin de son texte, la figure de Jean-Claude Pascal qui, rappelle-t-elle, fut sacré deux fois « l’homme le plus élégant de l’année ». Les connaisseurs savent ce qu’il faut penser - aujourd'hui comme hier - de ce genre de classement. A tant faire que de citer ce chanteur-comédien qui connut son heure de gloire dans les années 50, autant que ce soit pour de bonnes raisons : ses débuts dans le stylisme (chez Hermès) et son amour du beau tissu qui, alors qu’il était déjà fatigué, le conduisit à tenter de reprendre l’entreprise de textile familiale.


jean-claude-pascal.jpgJean-Claude Pascal


Merci à Priscille de Lassus et à Anna Serwanska de ce beau numéro.

8,50 euros.

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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 07:50

Le Dandy n°25 (le dernier que le hasard m’a fait acheter : la ligne éditoriale de ce magazine m'a désorienté plus tôt que PG; à dire vrai, seuls les trois premiers numéros m'avaient vraiment convaincu : des collectors, comme on dit…) recèle une interview très intéressante de Lorenzo Cifonelli. Ce qu’il dit mérite d’être écouté. Et médité. On appréciera sa liberté de ton, notamment quand il parle de certains de ses confrères. Morceaux choisis avec intertitres de mon cru.

S’adapter au client. « On ne fait aucune veste pour nous, c’est le client qui porte le costume, et c’est pourquoi il est important de parler, lors des prises de mesure, à l’essayage, pour savoir comment il vit avec ses costumes. Mais ensuite, il faut écouter sans suivre, parce qu’il y a parfois des contradictions : il faut savoir capter le désir du client, et parfois on ne fait pas exactement ce qu’il demande. »


dandy-vingt-cinq-def.jpg

Les contraintes morphologiques. « Les costumes aux épaules très battues (entendez très basses) ne conviennent pas aux personnes qui ont les épaules un peu droites (…) Pareil pour les gens qui ont les épaules en cintre, donc basses, et veulent une veste à épaules hautes (…) Une personne qui est assez droite au niveau des épaules a intérêt à avoir des vestes plus droites, et non un modèle à épaules napolitaines, plus tombantes, car ce sont les contrastes avec le corps qui créent les problèmes, et il faut les limiter autant que possible. (…) Une épaule battue, tombante, habille moins facilement qu’une épaule droite qui a plus de padding, mais elle a plus de charme, et il faut savoir faire un mix des deux : comme en tout, un bon équilibre est affaire de compromis. »

L’importance de la ligne et de la coupe. « Il y a des costumes en prêt-à-porter qui sont meilleurs que d’autres en mesure (…) On dit : « C’est bien parce que c’est fait à la main », mais pas du tout ! C’est justement parce que c’est fait à la main qu’il y a plus de risques pour que ce soit mal fait ! (…) Les tailleurs oublient trop souvent que l’important, c’est le style. C’est important que les revers soient piqués à la main et les toiles montées à la main, mais à la fin on peut avoir tout fait à la main et que la veste ne ressemble à rien ! (…) Il m’arrive de voir des clients de vestes prêtes à porter qui ont une jolie ligne, et à l’inverse des costumes mesure qui n’en ont pas, parce que le tailleur a négligé la coupe et le style. »

 

Dans L’Express Styles spécial mode hiver (L’Express, n° 3036), Isabel Marant « confie les dessous » de sa mode. Elle parle des femmes, bien sûr, mais les propos que je rapporte peuvent s’appliquer aux hommes.

Les femmes qu’elle habille. « Je travaille pour des femmes qui font attention à elles, mais qui ne veulent pas trop le montrer, qui sont discrètes mais avec du caractère. »

Son idée de la mode. « Pour moi, un vêtement réussi est un vêtement qu’on garde pendant des années, dont on n’arrive pas à se séparer. Je déteste la mode kleenex, tape-à-l’œil. J’aime le classicisme qui traverse les époques, la veste qui se déforme sur vous et qui vous va toujours bien. (…) Je n’aime pas les vêtements qui ont l’air neufs, ceux qu’on n’ose pas porter de peur de les abîmer. J’ai envie de faire de la mode, sans qu’elle se démode. »

Ses inspirations. « J’ai en moi ce côté un peu vintage (…) ; l’amour de l’artisanat, du savoir-faire. »

 isabel-marant-photographiee-par-I.-van-Lamsweerde-et-Vinoo.jpg

Isabel Marant, par Inès Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin


Ces extraits ne sont-ils pas réconfortants ? Je précise qu’Isabel Marant et Lorenzo Cifonelli sont respectivement âgés de 42 et 40 ans.    

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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 08:30

Mon précédent article m’offre l’occasion de revenir sur un point que j’avais déjà abordé il y a plusieurs mois (cf. Des grands tailleurs ). Il concerne l’évolution du métier de tailleur.

On a pu joliment écrire, à propos du groupe des Cinq, qu'il fut "le chant du cygne" des tailleurs. Mais le cygne n'était peut-être pas... blanc comme neige : ce groupe, par ses innovations discutables (deux collections l'an, suppression de certaines poches, utilisation de couleurs pastel pour les costumes et les vestes, introduction du sac à main pour l'homme...), ne contribua-t-il pas à brouiller l'image d'une profession en perte de vitesse ? Quoi qu'il en soit, les couturiers, stylistes et « créateurs » ont remplacé les tailleurs. Le prêt-à-porter dicte sa loi. On ne peut que se réjouir du regain d’intérêt suscité récemment par la grande mesure. Mais ce phénomène, qui ne touche qu’une élite, ne saurait nous faire oublier que la profession de tailleur est  sinistrée. Combien de tailleurs aujourd’hui en France ? Et combien d’apprentis ?

Certains tailleurs eux-mêmes – et parmi les plus en vue – font du mal à leur profession en venant sur le terrain des stylistes. Comme ceux-ci, ils multiplient les « trucs » et les « astuces » qui ne peuvent séduire qu’une clientèle superficielle et sans culture : bas de pantalon trop étroit, revers de pantalon exagérément hauts, boutonnières et coutures contrastantes, cravate sur mesure assortie à la doublure de la veste, etc. Agissant ainsi, ils s’inscrivent dans le cycle de la mode, comme les tailleurs du groupe des Cinq le firent avant eux. Quand la mode changera, ils suivront le changement – et perdront tout crédit. Car ils suivent. Si encore ils précédaient ! Un tailleur digne de ce nom se reconnaît à sa coupe. Une belle coupe, ça ne fait pas un pli – et ça ne prend jamais de rides ! Il travaille selon les règles de l’art. Il n’a que faire d’attrape-nigauds tape à l’œil, prétentieux et souvent inesthétiques.

La confection et la demi-mesure ont beau jeu, quant à elles, de multiplier les finitions dites « sartoriale » que permet la technique. Ce faisant, elles pensent s’approprier à peu de frais le lustre qui leur manquait. Mais leur lustre faisandé n’impressionne que les ignorants.

A ce mélange des genres, la confection a tout à gagner. Et la mesure tout à perdre.

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14 avril 2009 2 14 /04 /avril /2009 17:57
Des noms de grands tailleurs reviennent dans les pages de nos magazines préférés. Les numéros 69 et 72 de Monsieur permettent de se faire une idée du travail de deux d’entre eux  : Djay - très à la mode paraît-il - et Ciffonelli. A chaque fois, le modèle est le même : François-Jean Daehn himself, directeur du magazine susnommé. Grand, mince, c’est le modèle idéal.

Dans les deux cas, le résultat me laisse perplexe.

Djay tout d’abord (n°69) : son parti pris du bas de pantalon à 17,5 cm et du revers de pantalon à 5,5cm me semble nier l’objectif que se doit d’atteindre tout bon tailleur : s’adapter à la morphologie de son client. 17,5 cm, c’est insuffisant pour un homme élancé d’1,90m (à vue d’œil, la taille de FJD) qui, de plus, porte des chaussures longues et étroites…L’effet, à la marche, doit être désastreux. Autre parti pris : les poches en biais sont placées très haut sur la veste - si bien que la pointe de la poche-ticket se hisse au niveau du premier bouton (photo de gauche) !... Tout est pensé pour allonger au maximum la silhouette, ce qui peut se justifier dans le cas d’un petit gabarit - tel Djay lui-même-, mais ce qui devient absurde dans celui d’un gabarit longiligne. Sur les photos, j’ai l’impression de voir François-Jean Daehn dans une glace amincissante ! La politique du détail distinctif et original ressortit davantage à des préoccupations de styliste qu’à celles d’un tailleur.


Cliquez pour agrandir.




A propos de Ciffonelli (n°72) : mes réserves portent moins sur des originalités de mauvais aloi (quoique le bas de pantalon m’ait l’air un brin étroit…) que sur la coupe : plis sur le pantalon et, surtout, défaut rédhibitoire, carreaux mal raccordés au niveau de l’emmanchure. L’impression d’ensemble est curieuse : le pantalon, étroit, ne va pas avec la veste dont les basques sont très évasées. La veste de Lorenzo Ciffonelli (à droite), quant à elle, ne me convainc pas du tout : trop longue, beaucoup trop longue…


Cliquez pour agrandir.


Je préfère, et de loin, la coupe du costume, également prince-de-galles, signé Baldessarini à la page 81 du même numéro. Les lecteurs fidèles de Monsieur s’y reporteront avec profit !

Le bon tailleur est celui qui sait s’adapter à la morphologie de son client tout en conservant son style propre. Il n’a pas besoin de « trucs » voyants pour qu’on reconnaisse ses créations. Il sait que la star ce n’est pas lui, mais le costume unique qu’il a créé pour un client également unique. Certains grands tailleurs londoniens parviennent si bien à ce résultat qu’ils négligent de coudre une étiquette à leur nom à l’intérieur de la veste. La coupe du costume suffit à reconnaître leur patte… que leur costume soit porté par un Quasimodo ou un Apollon !

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