L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Les commentaires qui ont suivi mon article L'introuvable style français m’ont conduit à citer une nouvelle fois la marque Arnys. J’ai écrit : « Si je devais citer une marque illustrant un possible (?) style français, ce serait Arnys. »
Arnys est une marque soucieuse de sa propre histoire. La boutique, ouverte en 1933 par Léon et Albert Grimbert, fils du tailleur Jankel Grimbert, est dirigée depuis 1966 par les représentants de la troisième génération, Jean et Michel Grimbert. La « forestière », étendard « casual » de la marque, a été créée en 1947 : peu de vêtements nés en France peuvent se prévaloir d’une telle longévité.
Arnys, c’est aussi – et surtout – un style qui s’inspire de notre histoire. La connaissance de l’histoire du costume qu’ont acquise les frères Grimbert (Michel a suivi des études d’histoire) les protège des tentations des modes saisonnières. Elle crédibilise leurs tentatives : l’épaule naturelle, « stable et mobile » (dixit François Nourissier), la boutonnière passepoilée, l’utilisation des couleurs, le faste des matières… renouent avec le costume français du XVIII° siècle – avant que l’anglomanie ne mette un terme à notre suprématie ou, pour citer Balzac, avant que « le drap » ne l’emporte sur « la soie ». On est loin, on le voit, des astuces imaginées à chaque nouvelle saison par nos stylistes et par certains de nos tailleurs dans le but de faire parler d’eux.
Les noms des vêtements s’enracinent, chez Arnys, dans notre patrimoine – géographie provinciale : « Honfleur », « Pont-Aven » ; parisienne : « Saint-Germain » ; culture littéraire : « Heurtebise », « Sorel » ; cinématographique : « Boeldieu », « Dalio », « Berry »… La veste « Tonkin » a été ainsi appelée en référence à un film de Jacques Becker, Goupi mains rouges. Elle est une interprétation de la veste que portaient les ouvriers à la fin du XIX° siècle et au début du siècle suivant. La « forestière » s’inspire des vestes des gardes-chasse solognots, telles qu’on peut en voir dans « La Règle du jeu » de Jean Renoir. Le béret – oui ! notre célèbre béret national ! - a fait l’objet d’une adaptation originale :
Cette dimension culturelle et historique confère aux vêtements Arnys une sorte de légitimité et – j’oserais dire – un supplément d’âme. On comprend mieux, dès lors, que la boutique de la rue de Sèvres ait été fréquentée par une clientèle éclairée et choisie d’artistes (Gide, Sartre, Vian, Picasso, Botero…) et d’hommes politiques (François Mitterrand, François Fillon…)
Paris, "Le Flore", Arnys... Un certain art de vivre. Monsieur, n° 24.
Qualité des matières et des finitions ; tact dans le choix des motifs et des couleurs : la « touche française » se reconnaît aussi au respect scrupuleux de ces critères. Le vrai luxe français puise par tradition aux plus nobles sources : ses châles en pashmina, Arnys les fait spécialement tisser à Srinagar.
Ce n’est pas en copiant les autres que nous aurons quelque chance d’attirer à nous une clientèle internationale. C’est en étant nous-mêmes – résolument nous-mêmes. Cette politique exigeante, qui bannit toute concession, est celle d’Arnys – et elle est payante : son succès au Japon en témoigne avec éclat.
Le propre d’un style, c’est d’être reconnaissable. Les vêtements de la ligne « casual » (c’est moi qui l’appelle ainsi) s’identifient au premier coup d’œil grâce, notamment, aux manches portées repliées, à la mousquetaire. Le cran tailleur et les poches taillées en biais signent les vestes. Ajoutons, bien sûr, la fameuse épaule mobile et l’ouverture généreuse sur le devant de la veste de costume qui, découvrant un pantalon à taille toujours haute, « donne de la jambe », comme disent les tailleurs.
L’assortiment des formes et des couleurs nécessite, de la part du client, un minimum de savoir-faire. Les représentants médiatiques de la ligne « casual » en sont malheureusement souvent dépourvu (Serge Moati, Jean-Louis Petitrenaud, Jean-Claude Carrière…) On aimerait des porte-drapeau plus inspirés ! Il faut savoir encore éviter le côté « costumé » que peuvent donner à celui qui les adopte ces tenues très typées. A l’exemple d’autres enseignes, Arnys fait poser pour ses catalogues des mannequins éloignés des canons habituels. Très bien – l’élégance n’étant certainement pas l’apanage des Apollon ! Encore doit-on s’assurer que, sur eux, les vêtements tombent bien : un vêtement qui posera mal sur les épaules ou qui aura trop d’ampleur donnera une ligne vague et molle.
Dans le fond, les meilleurs ambassadeurs d’Arnys, ce sont peut-être les frères Grimbert eux-mêmes : leur style délibérément et savamment suranné me plaît. Il a plu aussi au Sartorialist :
Alors Arnys, un style français ? Les Grimbert parlent, au moins à propos de la « forestière », de « style parisien ». Admettons, puisque nous avons appris de Balzac que l’élégance française ne se trouvait qu’à Paris. La ligne « casual » - la plus inventive – témoigne d’une recherche et d’une cohérence sans équivalent chez nos autres fabricants. Le surplomb historique justifie pleinement la devise de la maison : « Extraire l’éternel du passager ». Cela dit, une marque – aussi intéressante soit-elle – ne saurait à elle seule faire le style d’une nation.
Je ne suis jamais entré au 14 de la rue de Sèvres. Je le ferai peut-être un jour : je rôde autour de cette envie – et, pour l’instant, cela suffit à mon bonheur.
On trouvait, naguère, des produits Arnys au beau pays du Chouan, chez Scottish shop à Quiberon, boutique sise place Hoche.
Hoche ? A ce nom, le sang du chouan se glace ! Mais c’est une autre histoire…