L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Cette semaine, carte blanche à la jeunesse ! Le discours que vous allez lire a été prononcé par Hippolyte Broud en janvier de cette année dans le cadre d’un concours d’éloquence organisé par le Rotary Club Paris Ouest à destination des classes de 1re. Pour ce discours, Hippolyte, dix-sept ans, a reçu le Premier prix. Merci à lui de nous avoir autorisé à reproduire son texte et merci à François A. de me l’avoir fait découvrir.
"Pourquoi sonne le glas….de l’élégance ? ou la mode engendre-t-elle la disparition de l’élégance ?"
Voilà quelques semaines, la fermeture de la maison Arnys a été annoncée. Elle a été rachetée par le Groupe de Monsieur Bernard Arnault.
La fermeture d’une boutique aussi élitiste et confidentielle qu’Arnys est un événement qui doit vous paraître bien futile et peu digne d’intérêt.
Et vous allez sûrement me trouver bien snob et prétentieux, (ce que naturellement j’assume en tant qu’élève d’une section littéraire participant de surcroît à un concours organisé par le Rotary !) de vouloir en faire une affaire d’Etat.
Pourtant, je ne peux me résoudre à admettre qu’un magasin aussi illustre qu’Arnys, qui fait partie intégrante de notre patrimoine, et qui symbolise le summum de l’élégance parisienne depuis 1933, puisse disparaître aussi facilement à cause des délires d’un monomaniaque qui s’est mis en tête de spolier l’honnête dandy français en rachetant les plus grandes maisons de couture du pays et en les standardisant toutes pour qu’elles répondent aux critères imposés par cette affreuse harpie entravée dans des vêtements trop cintrés qu’est…. la Mode !
Cette Mode, qui remet en cause le principe même de l’utilisation d’un pantalon.
Car je suis navré ! Messieurs ! mais un pantalon, ça se porte au-dessus du nombril…. Et quand je vois ces jeunes gens qui exposent leur postérieur de gringalets boutonneux, ce n’est pas après eux que j’en ai - Ils ne sont que de pauvres âmes faibles et égarées - : la seule et unique fautive, ai-je besoin de le répéter, c’est… la Mode !
Le rachat d’Arnys est « le coup » le plus symbolique porté à l’élégance française.
En effet, Arnys était plus qu’une simple Maison de couture, Arnys symbolisait tout un idéal de vie : celui du culte de soi, si cher au dandy.
Les clients recherchaient chez Arnys une façon de se distinguer, d’être uniques et donc intemporels. Arnys incarnait ce temps béni où le bourgeois intellectuel de la rive gauche achetait une veste pour le simple plaisir de sentir la douceur des étoffes sur ses épaules. Maintenant, quand on passe devant un magasin, c’est pour voir le parvenu inculte de la rive droite affolé à l’idée de ne pas posséder une Rolex à cinquante ans. Comme le disait Solon : « Ne fais pas le prince, si tu n’as pas appris à l’être ».
Les frères Grimbert, les deux derniers directeurs d'Arnys, petits-fils de Léon, avaient réussi, par leur érudition en matière de Style, à créer des vêtements qui prenaient en compte toutes les époques et tous les raffinements possibles. Cela passait aussi bien par des lignes sublimes, un choix de tissus d’une qualité que l’on ne retrouvait pas ailleurs et un sens de la couleur à faire rougir les plus grands peintres.
Maintenant qu’Arnys a été racheté, fini ce raffinement d’un autre temps. Plus de tweed, plus de coupe de costume ample, plus de couleurs aussi osées. Chez LVMH, on veut du « bankable », du noir, du cintré, de la coupe italienne…. enfin tout ce que l’on peut trouver ailleurs à un prix bien plus intéressant.
Oui, la disparition d’Arnys est l’exemple le plus représentatif des effets de la Mode (…).
L’élégance, elle, n’a pas d’âge, pas de taille et pas de poids. L’élégance, contrairement à la mode, prend une dimension intellectuelle. Comme le dit Balzac dans son Traité de la vie élégante : « La vie élégante n’exclut ni la pensée, ni la science, elle les consacre ».
Je ne dis pas qu’il faille être Einstein pour bien s’habiller - lui-même s’habillait d'ailleurs très mal -, mais l’élégance suppose une certaine culture, une recherche dans sa mise, recherche qui nous est livrée prédigérée par la Mode.
La Mode, c’est un peu la malbouffe de l’habillement: on achète des vêtements de façon compulsive, et on les consomme avec une rapidité ahurissante.
Prenons l’exemple d’un Américain type que nous prénommerons « Billy ». Ce cher Billy, du haut de ses 1m90 et de ses 300 kg, mange cinq Big-Mac à chaque repas, ce qui lui coûte aussi cher que s’il allait au steakhouse le plus proche déguster un délicieux morceau de bœuf argentin.
Vous vous offusquerez sûrement de tant de violence, et vous aurez raison : dans le fond, qu’est-ce que cela peut bien me faire que quelques hurluberlus fassent, lors de l’ouverture des soldes, une queue d'une dizaine de kilomètres pour le plaisir d’acheter une chemise de qualité infâme, qu’ils n’hésiteront pas à porter hors de leur pantalon ?
Et pourtant, n’est-ce pas tout un art de vivre qui disparaît ?
Dire adieu à l’élégance, c’est aussi faire abstraction de tout un pan de notre passé, de notre patrimoine dont nous devrions être si fiers…
Au revoir Brummel, Baudelaire, Wilde, Guitry, Cocteau, Visconti, Gainsbourg, et bien d’autres encore. On ne veut plus de vous. Sans l’élégance, les œuvres de ces artistes ne peuvent être comprises dans leur totalité. Montrer « Mort à Venise » à une personne qui ignore ce qu’est l’élégance, c’est aussi vain que de démontrer la théorie de la relativité à un élève appartenant à la section littéraire. Dans les deux cas, la personne est complètement hermétique.
L’ère de l’élégance a donc bien pris fin…
Qui aujourd’hui songe à remonter ses chaussettes pour être sûr qu’elles ne plissent pas ?
Qui ne supporte pas d’avoir une chemise hors de son pantalon ?
Qui sait encore prendre soin de ses souliers comme s’ils étaient ses propres enfants ?
Le monde évolue et il faut bien l’accepter. Un monde où il faut aller au plus vite, un monde où règne le diktat de la musique sans instruments, un monde dans lequel la FNAC de la rue de Rennes ne vend plus que trois films de Sacha Guitry en période de Noël …
Un monde bien incompréhensible en somme. Mais comme le dandy de Françoise Dolto nous ne devons pas nous avouer vaincus. Nous devons être « la figure de proue insensible aux tempêtes » et tracer notre chemin en tentant d'y laisser l’empreinte de nos souliers vernis !
Hippolyte Broud