L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Dans ce billet, Jean-Philippe Peltier (avocat de son état) tente de cerner l'essence très particulière du costume croisé. Merci à cet ami lecteur de nous livrer cette analyse originale.
Ce qui est rare est précieux.
Si l’adage n’est pas toujours vrai en matière vestimentaire, les innovations des uns pouvant parfois provoquer l’effroi des autres, il n’en demeure pas moins qu’il s’applique parfaitement au costume croisé.
Combien peut-on croiser de costume du même nom dans une journée ?
Parfois aucun.
On peut déplorer cette raréfaction et constater, parallèlement, que ceux qui passent pour être (réellement) les hommes les mieux habillés se montrent très régulièrement avec ce type de costume.
Ainsi en est-il, par exemple, d’Edouard Balladur, du prince Charles et, il y a quelques années, d'Yves Saint Laurent ou de Pierre Cardin…
Quelle est la raison de cette disparition ?
Elle découle d’un constat simple : la virilité n’est plus à la mode. La sagesse non plus.
Car le costume croisé est, à n’en pas douter, un vêtement d’homme mûr qui a connu son heure de gloire à une période où les icônes s’appelaient Gabin, Ventura ou Cary Grant.
Aujourd’hui, en revanche, le mâle se doit d’être jeune et métrosexuel, quand il n’est pas clairement efféminé (cf. les jeunes éphèbes imberbes qui défilent à longueur de podiums) pour susciter l’enthousiasme….
Et pour le cas où l’homme viril reste « dans le coup », il se doit de n’arborer aucun signe d’élégance afin de cultiver, de façon tristement binaire, un côté brute épaisse ne portant aucune considération à sa mise…
Ainsi, et à mesure que le temps passe, le costume et les personnalités s’effacent…
Mais revenons à nos vigognes…
Cette normalisation des élites (politiques, culturelles, etc.) se retrouve indéniablement dans la mode de sorte que, les uns voulant ressembler aux autres et inversement, nous assistons à un jeu de miroirs, le résultat ayant fatalement tendance à l’effacement des codes et à l’appauvrissement du style.
Concrètement, le costume croisé a ainsi laissé la place au costume droit, qui était encore très large dans les années 80 avant d’être plus cintré et plus étroit, de passer de 3 à 2 boutons (ce qui n’est pas un mal), les pinces du pantalon passant quant à elles de deux à une, pour être aujourd’hui inexistantes dans la plupart des cas…
Mais alors comment se fait-il qu’aujourd’hui le costume croisé reste toujours, et malgré tout, un modèle d’élégance ?
En réalité, c’est moins le costume que la personnalité de celui qui le porte qui révèle l’élégance de cette tenue.
Et lorsqu’on parle de personnalité, il ne s’agit pas ici de l’illusion que tentent d’instiller quelques « stars » éphémères ou Apollon du moment, mais bien de la densité d’âme de celui qui porte le costume croisé.
Force est d’admettre que l’âge de l’impétrant est une clef fondamentale de la réussite de l’ensemble. En effet, la forge d’une véritable personnalité est le plus souvent liée au passage que le temps laisse dans le regard et les gestes de ceux dont on constate qu’ils ont ce don du ciel qu’on appelle le charisme.
Il suffit de comparer des jeunes gens, connus ou non, portant le costume croisé (même de bonne coupe) …
L’œil de Johnny Depp est aussi perdu que son style (mention spéciale pour les chaussures qui feraient presque oublier le chapeau…)
… et des inconnus ayant en commun cette prestance que confère un certain recul sur les choses de la vie…
… pour se rendre compte que certains ont ce « quelque chose » que les autres n’ont pas…
Dès lors, le costume croisé n’est qu’un révélateur !
Les uns paraissent apprêtés, déguisés, voire ridicules (Merci Johnny pour ce moment de rigolade), alors que les autres sont indéniablement élégants.
Ne serions-nous donc pas tous égaux devant (et surtout dans) le costume croisé ?
Il est intéressant de remarquer qu’il n’existe rien de tel avec le costume droit qui peut sans difficulté notable être porté par n’importe qui, un modèle de bonne coupe suffisant alors à conférer à son propriétaire une certaine élégance.
Le costume croisé exigerait-il donc une certaine dose de sagesse, d’expérience, de maturité pour être porté ?
Bien sûr, il y a là quelque chose qui est très peu dans l’air du temps, la masse devant avoir accès à tout et tout de suite sans quoi le malheureux qui viendrait à émettre une réserve se verrait traiter de réactionnaire.
C’est probablement la raison pour laquelle les « modeux » ont ringardisé le costume croisé, ce qui est aujourd’hui « in » étant à la portée du plus petit commun dénominateur…
Malgré tout, et la nature étant bien faite, il est indéniable que les membres du « club de ceux qui savent porter le costume croisé » se détachent de la mêlée rassurante… et ennuyeuse.
« Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent vers les étoiles » disait Wilde…
On peut dire, en prenant la citation à l’envers, que tant que des étoiles subsisteront, certains d’entre nous auront des raisons de lever la tête.
Reste à savoir de quelles étoiles nous parlerons demain.
Jean-Philippe Peltier