L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Philippe Noiret s’étonnait dans ses mémoires de ce que les comédiens soient si mal habillés : « Le statut de comédien est un des rares qui confèrent une totale liberté vestimentaire (…) Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, peu de gens en usent. Rares sont les acteurs qui se soucient de la façon dont ils sont habillés. » C’est que l’élégance a quasiment déserté notre environnement. Les stars de cinéma ne font pas exception.
« Stars »… Il y a longtemps que ces « étoiles » n’éclairent plus notre chemin. Les acteurs s’habillent comme les gens de la rue. « Lorsque les monarchies s’effondrèrent, à la fin de la Première Guerre mondiale, les idoles de Hollywood devinrent les véritables ambassadeurs de l’élégance masculine », explique James Sherwood dans Savile Row. Ces stars-là appartenaient à une autre galaxie. Les Fred Astaire, Gary Cooper, Cary Grant… s’habillaient à la ville aussi bien que dans leurs films. Et pour cause : « (…) les tenues que les comédiens arborent devant les caméras sont aussi celles qu’ils portent dans la vie courante », nous rappelle, dans Des modes et des hommes, Farid Chenoune. Ne dirait-on pas que cette photo, qui sert de couverture au livre de James Sherwood, est tirée d’un film ? Mais non, elle a été prise sur le vif à Londres en 1946, alors que Cary Grant se rendait chez ses tailleurs Kilgour, French & Stanbury :
Les images d’archives – fixes ou animées – nous montrent des hommes mieux habillés qu’aujourd’hui. Point de passéisme dans ce propos, mais l’affirmation d’une évidence. A cela, plusieurs raisons dont celle-ci, qui me semble capitale : pour s’habiller, nos « aïeux » se fiaient aux tailleurs, des hommes de l’art. Les enquêtes disent que nos contemporains se laissent en majorité conseiller par leurs compagnes. De quelle autre aide peuvent-ils bénéficier ? La plupart des vendeurs manquent de culture et de goût et s’en remettre à soi-même - au motif très actuel que mon-goût-vaut-bien-celui-des-autres – se révèle presque toujours catastrophique.
Exit, donc, l’élégance.
Exit, aussi, la beauté. Au cinéma, la beauté ne joue plus les premiers rôles. Fini, le temps des physiques exceptionnels à la Gary Cooper ou à la Cary Grant. Fini, les « profils superbes » à la John Barrymore (essentiel, le profil, dans les scènes de baiser !)
S’il faut trouver une cassure, elle se produit, je crois, dans les années 50, avec les apparitions de Marlon Brando et de James Dean. James Dean plus que Marlon Brando, car le physique de ce dernier, atypique et inédit à Hollywood, perpétue malgré tout la tradition des physiques hors normes. James Dean, en revanche, semble être le grand-frère de nos héros – ou, plus souvent, de nos antihéros - d’aujourd’hui. Avec lui, les critères de la séduction masculine évoluent durablement : petit, voûté, il n’a rien de spectaculaire. Avec ça, habillé en blouson, en tee-shirt et en jean. Pas laid, non, mais pas beau non plus. Pour parler comme maintenant, « mignon ». Oui, c’est ça, James Dean était mignon. Avec son petit nez et ses traits fins, il annonce un Brad Pitt ou un Johnny Depp.
Je schématise, bien sûr. Hollywood a connu avant James Dean des stars dotées d’un physique quelconque et on trouverait après lui des exemples de beaux physiques : jeune, Richard Gere était un second Errol Flynn. Mais, dans ses grandes lignes, je ne crois pas mon analyse erronée.
Ajoutons à cela le brouillage contemporain du sens. Tel acteur mal habillé sera qualifié d’élégant ; tel autre, visiblement laid, sera proclamé beau. Ainsi de nos jeunes gloires nationales Vincent Cassel et Romain Duris !
Quant à ma catégorie préférée – celle des acteurs distingués –, on chercherait en vain qui y nominer… Pour se consoler, on peut toujours visionner les films avec George Sanders.