L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Récemment, un lecteur m’a contacté pour savoir où l'on pouvait se procurer en PAP des pantalons amples et hauts de taille comme on en portait dans les années 30 à 50. Je lui ai conseillé de se diriger plutôt vers les tailleurs, n’étant tout de même pas bien certain que beaucoup de ces derniers acceptent facilement de satisfaire ce genre de demande…
Car l’ampleur a mauvaise presse. « Trop de tissu ! » assènent nos spécialistes sitôt qu’ils croient déceler un peu de vague à un pantalon, un rien de largeur artificielle à une carrure… Par spécialistes, j’entends bien sûr les stylistes et les créateurs, mais aussi mes amis blogueurs qui hésitent de moins en moins à se mettre en scène, comme s’il s’agissait pour eux de prouver que leurs propres pratiques collent à leurs conseils comme leurs vêtements à leur peau…
Aimer le serré, pourquoi pas ? Mais qu'on ne me dise pas que l'élégance oblige à cette solution. Pour tout dire, je ne suis pas loin de voir dans l’unanimité ambiante un simple effet de mode. Certaines propositions actuelles m’évoquent les années 70 : cintrages exagérés ; carrures riquiqui ; manches de veste trop courtes… Elles empruntent aussi à un passé plus lointain, ce qui ne me rassure pas davantage : vestes rase-pet et pantalons feu de plancher… Je laisse au sociologue le soin de dire ce que ce style minimaliste, qui résulte d’un montage d’influences hétéroclites, raconte de notre époque : manque d’inspiration ; fascination du chiche ; rejet d’une virilité assimilée au machisme ; suprématie du modèle teenager…
L’histoire du vêtement nous montre cependant que l’ampleur n’a pas toujours été perçue comme l’ennemie de l’élégance. Au contraire.
Dans les années 30, la silhouette en haricot laisse la place à une silhouette athlétique ; les épaules tombantes, dites en bouteille de Saint-Galmier, s’effacent au profit de carrures élargies, nettes, anguleuses.
Deauville, 1920. Le maharadjah d'Indore. Roger-Viollet.
C’est le triomphe du London cut, aussi appelé drape cut, porté à son point de perfection par le tailleur londonien Frederich Scholte. Si la carrure s’élargit, sur le modèle des uniformes militaires, elle excède rarement les limites du raisonnable. Un jour, Frederich Scholte refusa de satisfaire aux exigences de son plus prestigieux client, le prince de Galles, futur Edouard VIII, venu lui commander une veste aux épaules plus larges qu’à l’habitude.
Le duc de Windsor aimait l’ampleur, l’opulence du tissu. Ainsi, passant outre le désir de sa femme, il ne raccourcit jamais un manteau noir doublé de fourrure et à col d’Astrakan datant des années trente qui lui tombait jusqu’aux chevilles. Il disait : « Un pardessus court n’est que la moitié d’un manteau. » A méditer, aujourd’hui que les manteaux ne cachent plus les genoux.
Le duc de Windsor et son fameux manteau. Rex Features.
On sait aussi que cette icône de l’élégance, apôtre du confort, aimait porter de larges pantalons, à la façon américaine. A partir de la Seconde guerre, il fera d’ailleurs faire la plupart de ses pantalons à New York (chez H.Harris), au grand dam de Scholte qui les assimilait à des « sacs »…
Les années 30 imposent donc l’ampleur et cette domination sera durable. Le bold look, né en 1947 sous l’influence du zoo-suit, dessine une silhouette sur-virile que le cinéma – notamment le cinéma noir – des années 50 va populariser aux Etats-Unis et chez nous. Vestes longues ; épaules plus ou moins tombantes (selon les partis pris des faiseurs) ; pantalons juponnants ; costumes majoritairement croisés : tels sont les points forts de cette silhouette qui, dans mon esprit, est indissociable de la figure de Jean Gabin :
Malgré quelques accommodements (la veste droite supplante la veste croisée ; les revers s’étroitisent ; le pantalon rétrécit ; les épaules s’adoucissent…), la ligne des années 60 reste marquée par l’ampleur, comme on a pu récemment s’en rendre compte avec la série Mad Men :
Ampleur encore à la fin des années 80 (non sans exagération) et durant une partie de la décennie suivante.
Je ne nie pas que la ligne très près du corps puisse engendrer des réussites. Ce fut le cas au début du XXe siècle. Ca l’est quelquefois aujourd’hui. Je ne crois pas que ce le fut dans les années 70.
Je dis seulement que, n’en déplaise à certains de nos donneurs de leçons actuels, l’ultra-cintré, l’étriqué, le trop court ne sont pas des principes intangibles d’élégance. Oui, un manteau ample peut valoir – et largement ! - un manteau cintré. Oui, un pantalon légèrement flottant peut contribuer à donner de l’allure. Oui, une carrure un rien appuyée peut corriger un déséquilibre naturel. L’ampleur en soi n’a rien de condamnable. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. Tout est question de dosage et de doigté. Et puis, il y a ampleur et ampleur. Qui ne voit la différence entre les affreux costumes Boss des années 80 et les tenues que porte Ralph Lauren à la ville, subtils mix d’influences assimilées ?
Publicité Hugo Boss, fin des années 80
Ralph Lauren. Source : Monsieur, n° 51.
Fred Astaire, Cary Grant, Gianni Agnelli… étaient du côté de l’ample. On peut trouver compagnonnage moins élégant.