L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Georges Mathieu a connu le purgatoire dès son vivant. Célèbre dans les années 70, il est tombé ensuite dans un oubli de plus en plus épais. L’annonce de sa mort, le 10 juin 2012, n’étonna pas grand monde, sinon ceux qui pensaient que l’événement s’était produit depuis longtemps.
La figure de ce peintre échappe aux classifications traditionnelles. Il fut successivement un artiste novateur – introducteur de l’action painting américaine en France et précurseur du happening – et le peintre officiel d’une France bourgeoise. Ses toiles ornaient les murs de L’Elysée du temps où son ami Georges Pompidou en était l’hôte ; il dessina la pièce de 10 francs en 1974, l’en-tête de la déclaration de revenus et les bons du Trésor pour les années 75 et 76, le logo de la chaîne de télévision Antenne 2 en 1975. Cette même année, il devint membre de l’Académie des Beaux-Arts.
Georges Mathieu professait des idées conservatrices. Il se revendiquait catholique et monarchiste. Pourtant, son art échappait à tout classicisme. Au contraire des principes d’un Boileau par exemple, il disait que « le signe précède la signification ». Cet adepte de l’ « abstraction lyrique » revendiquait son goût pour le Grand Siècle. Ce représentant de l’art moderne n’était pas tendre envers ses pairs dont il dénonçait les errements et les aberrations.
Dans une telle forêt de paradoxes, difficile de voir clair… Mais les contradictions se dissipent quand on met en avant le dandysme du personnage. Le thème l’intéressait, au point qu’il demanda à la psychanalyste Françoise Dolto d’écrire une étude sur le sujet. Ce qu’elle fit en quelques pages jargonneuses et assez confuses. Il s’était composé une figure irréductible aux modes et aux influences. Son air était celui de l’homme d’exception traversé par de hautes pensées. L’un des grands chocs de son existence n’avait-il pas été, alors qu’il était adolescent, « la révélation de la médiocrité du comportement des autres » ? Il posait volontiers au génie et, selon le précepte baudelairien, chargeait son apparence de refléter « la supériorité aristocratique de (son) esprit ». Il était le peintre moustachu le plus célèbre après Dali. Ses costumes bien coupés flattaient son corps athlétique. Son goût de la mise en scène se doublait, en bon dandy, du plaisir de provoquer : il se rendit en Rolls à sa réception à l’Académie des Beaux-Arts ;
Au volant de sa Mercedes 500 K, 1936
lui, « le premier calligraphe occidental », selon André Malraux, osa se livrer, le corps recouvert d’un kimono et le crâne ceint d’un bandana, à une exhibition de peinture dans la vitrine d’un grand magasin japonais.
La vieillesse est un naufrage. Les dandies ne sont pas les derniers à plonger. Les ultimes photographies de Georges Mathieu nous montrent un vieillard dévasté. La force l’a quitté. C’est lui et ce n’est pas lui, ce pantin portant une perruque qui, mal posée, se dénonce en tant qu’artifice.
On se souvient alors de Brummell qui, à la fin de sa vie, était obsédé, lui aussi, par le fragile édifice de sa perruque. Georges Mathieu ne fut jamais un homme de mesure. Quand il sombra, ce fut démesurément.