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L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.

Jouons un peu...

« Ceux qui n’ont pas d’amour habitent les cafés », affirmait Aragon. S’il dit vrai (« le poète a toujours raison » !), je suis une exception. Mes proches m’entourent de beaucoup d’affection et, pourtant, j’aime fréquenter les cafés, qui sont de merveilleuses fenêtres ouvertes sur la vie. S’asseoir et regarder. Mais regarder vraiment. Cette intensité du regard, je l’ai apprise en lisant Baudelaire. Les poèmes aussi sont des fenêtres ouvertes sur la vie. Dans un poème justement intitulé « Les Fenêtres », Baudelaire nous dit qu’il « aperçoi(t) une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. » Et il ajoute : « Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, je refais l’histoire de cette femme ». Toute puissance de l’imagination, que Baudelaire qualifiait de « reine des facultés » ! Mon imagination atteint – hélas ! – plus rapidement ses limites. Cette reine, chez moi, n’a pas un pouvoir absolu. Le vêtement d’un inconnu ne me suffit pas à refaire sa vie, à inventer sa légende. Mais il peut, en revanche, me laisser entrevoir un décor, certains traits de personnalité… ce qui n’est pas si mal. Voilà à quoi mon imagination et moi pouvons jouer quand je m’attarde à une terrasse de café.

Un autre jeu qui me plaît beaucoup consiste à replacer certains passants dans leur époque. A voir, certains ont l’air d’être nés trop tard. Avec sa belle barbe blanche, celui-ci a l'air tout droit sorti d’un tableau de Velasquez tandis que cet autre, au visage fin et pâle, à la crinière brune, évoque la jeunesse romantique.

Pour se livrer à ce jeu, point besoin de fréquenter les cafés. D'autres fenêtres ouvertes sur la vie peuvent très bien faire l’affaire... je veux parler du cinéma et de la télévision. Fenêtres – ou plutôt, dans ce dernier cas, « étrange lucarne » ! Les exemples de personnalités aux physiques surannés ne manquent pas. Prenez Jean Dujardin. Pourquoi croyez-vous qu’il ait crevé l’écran dans The Artist ? Grâce à son talent de comédien, bien sûr, mais aussi grâce à son physique très typé années 30 ; un physique à la Douglas Fairbanks – l'éclatant sourire compris.


jean-dujardin.jpgJean Dujardin et Bérénice Béjo, The Artist


douglas-fairbanks.jpgDouglas Fairbanks

 

A ses côtés, Bérénice Béjo était moins convaincante : visage trop « moderne » ! Une Elsa Zylberstein, avec quelques années de moins, aurait été parfaite. Lambert Wilson ? Années 40 ! Un (ex) jeune premier à la Pierre Richard-Willm !


lambert-wilson.jpgLambert Wilson


pierre-richard-willm.jpgPierre Richard-Willm

 

François Hollande ? Années 60. Un physique à jouer un comptable ou un chauffeur de taxi, une petite casquette vissée sur la tête, dans quelque navet sauvé par les dialogues d’Audiard.

A l’inverse, il existe des physiques en avance sur leur temps. Pour cette raison, Jean-Paul Belmondo dénotait dans les films des années 50. Et cette jeune fille insolite que j’ai croisée hier au café a peut-être le visage qui sera à la mode dans une prochaine décennie. En attendant, personne, sauf moi, ne la regardait. Dans les années 30, Romain Duris aurait été jugé insignifiant, et même, à cause de son visage prognathe, franchement laid.


romain duris ok
Romain Duris

 

Son tort ? Etre né 80 ans trop tôt ! La faveur dont jouit ce comédien ne tient pas qu’à ses qualités professionnelles, mais au fait qu’il incarne au mieux la séduction masculine actuelle. Ainsi, Claude François avait le physique des années 70. Aujourd’hui, ce même physique le desservirait.

Nous n’avons pas toujours le physique de notre temps. Mais le temps ne nous attend pas pour se charger de notre physique. Les miroirs qui ornent les murs de mon café préféré sont là pour me le rappeler. Pour ne pas sentir « l’horrible fardeau du temps », Baudelaire – j’y reviens (on y revient toujours) - conseillait de « (s’)enivrer sans trêve ». Existe-t-il meilleur endroit qu’un café pour mettre en pratique ce précieux conseil ? Baudelaire ajoute que lorsque l’ivresse vient à diminuer, il faut demander « au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge (…) quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge répondront : " il est l’heure de s’enivrer ! " »

… Quand je les interroge, les miroirs de mon café préféré ne me font pas une autre réponse.

 

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J
Cher Chouan,<br /> Tout d'abord, je tenais à vous remercier pour votre blog et vos réflexions toujours intéressantes.<br /> Je me permets un commentaire : "ceux qui n'ont pas d'amour habitent les cafés" disait le poète... S'il dit vrai et que vous êtes une exception, c'est que vous n'habitez pas dans un café. Il me<br /> semble que c'est la logique de la proposition.<br /> Bien à vous.
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L
<br /> <br /> Dans un sens, vous avez raison. Mais dans un autre sens, je ne crois pas avoir tort.<br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Le grand Thomas Bernhard appelait ça être atteint su "syndrome du pilier de café". Il en parle longuement dans "Le Neveu de Wittgenstein" - titre en hommage au "Neveu" de Diderot, dont l'action se<br /> situe dans un café du Palais-Royal, comme on sait. Cette passion des cafés est une belle chose, elle en apprend beaucoup sur les autres, comme vous le faites remarquer, mais aussi sur soi-même. Là<br /> est le plus important, je crois bien.
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M
Il reste à espérer que le regard des miroirs de cafés soit plus impitoyable que celui de nos congénères, mais rien n'est moins sûr.
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J
:)
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S
Chacun de vos articles se présente à moi comme une fenêtre où je perçois un paysage particulier, où j'observe une atmosphère nouvelle. Merci pour ces échappées hors du temps : je n'en manque jamais<br /> une. Celle-ci me donnerait l'envie de vous rejoindre et de partager, en compagnie, un verre avec vous, dans ce petit café que vous évoquez ! La conversation, je veux dire, la véritable causerie, et<br /> non le simple bavardage, me paraît également propice à la disparition — éphémère — du temps et de ses lois.
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L
<br /> <br /> Votre message me touche.<br /> <br /> <br /> L'art de la conversation s'est perdu. Voilà encore un exemple de l'individualisme de nos contemporains. Converser, c'est, un temps, renoncer à soi pour mettre en valeur l'autre. Les gens ne<br /> s'écoutent plus. Cela aussi, les cafés nous l'apprennent... Il suffit pour cela d'avoir une oreille qui traîne... ce qui malheureusement devient difficile à cause de l'omniprésence des musiques<br /> dites d'ambiance !<br /> <br /> <br /> <br />