L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
On se connaît maintenant assez pour qu’à quelques jours de Noël j’ose vous confier un de mes scrupules intimes. Un assez récent échange entre Alain Finkielkraut et Emmanuel Carrère (émission Répliques, France Culture) l’a ravivé. Mais il ne m'a jamais quitté, même durant toutes ces années où j’ai parlé avec vous d’élégance.
Emmanuel Carrère disait à Alain Finkielkraut à peu près ceci : Je suis quelqu’un de bien ; je n’ai pas tué, je n’ai pas volé, etc. Mais si, pour être parfait, il faut vendre tous ses biens, alors là, je ne peux plus suivre. J’aime trop un certain niveau de confort pour cela. Carrère faisait bien sûr référence à la parabole de l’homme riche ainsi rapportée par Saint Luc : « Un chef juif demanda à Jésus : " Bon maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? " " (…) Tu connais les commandements " (…) L’homme répondit : " J’ai obéi à tous ces commandements depuis ma jeunesse. " Après avoir entendu cela, Jésus lui dit : " Il te manque encore quelque chose : vends tout ce que tu as et distribue l’argent aux pauvres, alors tu auras des richesses dans les cieux ; puis viens et suis-moi. " Mais quand l’homme entendit ces mots, il devint tout triste, car il était très riche. »
Je ne suis pas riche mais je possède plus qu’il ne me faut et je donne beaucoup moins que je le pourrais. Ma pente naturelle va vers le superflu dont je ne suis pas loin de penser, après Voltaire (… et ce parrainage n’arrange vraiment pas mes affaires !), qu’il est « très nécessaire ». Je m’invente mille sophismes pour tenter d’excuser ma faiblesse. Je me dis : l’homme ne se nourrit pas seulement de pain ; le luxe est un témoignage du génie humain et, par là, il rend grâce au Créateur; aucune organisation sociale ne résisterait à une application littérale de l’Evangile ; je respecte trop les pauvres pour rien faire qui nuirait à leur vocation de « bienheureux »; les huiles ecclésiastiques ne rechignent pas au luxe ; qui suis-je pour les juger et pourquoi exigerais-je de moi plus qu’elles n’exigent d’elles ?...
Je me mens en toute conscience. Je suis d’autant plus impardonnable que je connais bien cet autre passage de Saint Luc où Jésus dit : « Ne vous inquiétez pas (…) au sujet des vêtements dont vous avez besoin pour votre corps, car (…) le corps est plus important que les vêtements. » Suivant cela, je devrais illico supprimer mon blog, brûler ma garde-robe et m’habiller aussi ordinairement qu’un prêtre ouvrier ! Mais quelque chose en moi m’en empêche. Cela, pourtant, ne devrait pas m’être trop difficile tant l’étalage du luxe m'écoeure et tant j’ai conscience que, vue d’un peu haut (… alors, mon Dieu, vue du Ciel !), toute quête d’élégance est dérisoire. Quand les corps ressusciteront, ils ne seront sûrement pas revêtus de robes de haute couture et d’impeccables costumes trois pièces !...
Plus fort : savez-vous ce que j’ai demandé au « petit Jésus » pour mon Noël ? Un manteau, parfaitement, un manteau… dont, pour la tranquillité de mon âme, je préfère taire le prix.
« Se contredire, quel luxe ! » s’exclamait Cocteau.
Un luxe dont j'aimerais quelquefois... pouvoir faire l'économie.
Joyeux Noël !