L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
« Enfin la maladie, qui rend tout plus sordide,
Et le corps fatigué qui se mêle à la terre,
Le corps jamais aimé qui s’éteint sans mystère »
Michel Houellebecq, La Poursuite du bonheur
Fin août, Arte a diffusé un téléfilm de Guillaume Nicloux intitulé L’Enlèvement de Michel Houellebecq. L’œuvre est étrange et inclassable ; elle m’est surtout apparue poignante en raison de la dégradation physique de son acteur principal, Michel Houellebecq lui-même.
Son visage est émacié, ses yeux sont creux, sa mâchoire supérieure n’a plus de dents (1), ses membres sont grêles. Sa fragilité lui donne quelque chose d’un enfant. Il parle bas, quoiqu’à de rares moments sa voix s’élève. On s’étonne alors de son coffre et de l’énergie que recèle encore ce pauvre corps à la dérive.
Ses portraits les plus récents font peur. En comparaison, le Houellebecq du film a presque l’air en bonne santé. « Il était dans un état de délabrement qui effrayait, l’un des hommes les plus vieux que j’aie jamais vus. » Ces lignes de Georges Bataille qui évoquent Antonin Artaud à son retour de Rodez s’adaptent étonnamment bien à celui qu’est devenu Houellebecq. Je le soupçonne d’ailleurs de cultiver la ressemblance en jouant, notamment, de ses cheveux, qu’il laisse longs.
Dans plusieurs scènes du film, Michel Houellebecq pratique l’autodérision : la scène où on le voit s’initier au fight est hilarante, comme celle où, positivement imbibé, il se met en colère, le visage dissimulé derrière un masque de carnaval…
La dérision et l’autodérision ont envahi nos modes de vie. L’art contemporain en est plein. On déboulonne les statues, nos idoles se déboutonnent. On aime à se rappeler avec Montaigne que, si haut qu’on soit assis, ce n’est jamais que « sur son cul » et, avec la génétique, qu’on diffère à peine du singe. On se vautre dans le physiologique. La porte des toilettes, qu’on ne ferme plus, laisse voir le seul trône à la mesure de l’homme moderne.
Justement, à un moment du film, Michel Houellebecq, soumis à des problèmes gastriques, demande à ses geôliers la permission de s’ « y » rendre. Je crains que la caméra ne l’ « y » accompagne comme – ça me revient d'un coup – elle « y » accompagnait un Hervé Guibert moribond dans une bizarrerie filmique antérieure, La Pudeur et l’Impudeur. Mais non. Ce trash nous sera épargné.
La déchéance qui se met complaisamment en scène n’éveille ordinairement en moi aucune pitié. Les pitreries alcoolisées d’un Gainsbourg, par exemple, avaient le don de m’agacer. Pour être d’un autre ordre, l’autodérision dont fait preuve Houellebecq dans ce film n’en est pas moins déplacée ou – pour utiliser une épithète qu’il affectionne – déplaisante. Malgré tout, je ne peux m’empêcher d’y voir aussi, par-delà l’indignité qu’elle révèle, l’expression d’une profonde – et touchante - détresse.
A un autre moment du film, à l'un de ses geôliers qui l’interroge sur son éventuelle peur de mourir, Houellebecq répond que « c’est suffisant », autrement dit, pour citer Hugo, qu’il a bien assez vécu. Tout à coup, j'ai lu - ou cru lire - en Michel Houellebecq comme dans un de ses livres ouverts ! A l'heure de l'hédonisme et du corps sain triomphants, cette vie qui confesse sa lassitude et ce corps qui expose sa misère sont notre mauvaise conscience. Le corps ruiné de Michel Houellebecq anéantit nos illusions (2).
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1. "Sans dents", Michel Houellebecq, mais millionnaire !
2. Sur Houellebecq, Houellebecq. L'air de rien.