L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Philippe Halsman (1906–1979) avait une manière décoiffante de photographier ses illustres modèles : il leur demandait de sauter. Le procédé a un nom, la « jumpology ». L’austère François Mauriac et l’élégant duc de Windsor se soumirent, entre autres, à cet étrange caprice.
Le duc et la duchesse de Windsor
Caprice ? Pas tant que ça : Halsman expliquait, un peu doctement… et un peu pesamment : « En plein saut, le protagoniste, dans une soudaine explosion d’énergie, surpasse la pesanteur. Il ne peut contrôler ses expressions, ses gestes faciaux et les muscles de ses membres. Le masque tombe, la vraie personne se fait visible. »
A en juger par le résultat, cette « jumpology » avait pour principal effet de déclencher le sourire du photographié bien plus sûrement que le traditionnel « cheese ouistiti sex ». Philippe Halsman réussit même le prodige de dérider (enfin, un peu) Richard Nixon !
La justification qu’il donne à son procédé est discutable: le masque que nous nous composons quand nous sommes photographiés en dit peut-être plus long sur notre vraie nature qu’un sourire… volé !
Halsman ne fut pas le premier à photographier ainsi ses modèles. Jacques Henri Lartigue (1894–1986) le fit dès les premières années du XX° siècle. Ce photographe, apôtre de la vie heureuse, fut un prince de la légèreté et le témoin incomparable d’une époque où élégance et art de vivre n’étaient pas – au moins dans un certain milieu – de vains mots. C’est son existence tout entière que Lartigue tenta d’abstraire de toutes les pesanteurs. « La vie, disait-il, c’est la chose merveilleuse qui danse, qui saute, qui vole, qui rit… qui passe ! Et cette matière animée, changeante, je désire l’immobiliser, lui prendre au vol l’image heureuse d’un instant, un court fragment de temps qui signifiera désormais quelque chose d’éternel. »
La marque Lacoste a réactualisé, pour ses récentes campagnes publicitaires, la « jumpology ». On voit, à chaque nouvelle saison, sur les murs des villes, dans les pages des magazines et des catalogues, ses mannequins léviter ! Le slogan de la campagne automne-hiver 2009-2010 - « Un peu d’air sur terre » - était explicité par la présence redondante d’un ventilateur :
Le résultat est heureux, c’est-à-dire joyeux et réussi. Dommage, toutefois, que le recours à photoshop ait dénaturé parfois le projet. Voyez, par exemple, ce corps anormalement étiré, qui bouscule allègrement les lois de l’harmonie édictées dès la Renaissance :
René Lacoste, le fondateur de la marque, s’illustra au tennis, un sport de sauts et de plongeons. Il fut un des « mousquetaires », qui portèrent haut nos couleurs sur tous les courts du monde dans les années 20 et 30. Lui et Jean Borotra furent les membres les plus célèbres du quatuor. L’un était surnommé « le crocodile » et l’autre « le Basque… bondissant » ! Cette campagne publicitaire a donc, on le voit, un vrai contenu, une vraie légitimité.
J’ai lu récemment (1) que Jose Luis Duran, qui a repris Lacoste l’année dernière, a déclaré que la collection printemps-été 2010 « n’avait pas donné envie de sauter au plafond. » « On doit faire mieux ! » a-t-il ajouté.
Le crocodile n’a pas fini de rebondir !
__________________________________________________________________________________
1. L’Express, n° 3087.