L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Parmi les accessoires oubliés de l’élégance masculine, il en est un qui, dans l’imaginaire des amateurs, tient une place à part : le monocle. Wikipédia lui consacre une page qui renseigne sur son histoire. J’y ai appris notamment l’origine de son succès chez les officiers supérieurs : les « binoclards » ne pouvant accéder à ce rang, un officier britannique eut l’idée de contourner l’interdiction grâce au port du monocle.
Dans La Grande illusion, Jean Renoir en fait porter un au capitaine (puis commandant) Von Rauffenstein – joué par Eric Von Stroheim – et un autre au capitaine de Boëldieu – joué par Pierre Fresnay. Cet accessoire signe aussi l’origine aristocratique de ces deux militaires, au même titre que leurs gants blancs.
L’excellent Paul Meurisse en fait un tout autre usage dans la série des « Monocle ». Il y incarne le commandant Théobald Dromard. Sa prestation seule a permis à ces films de ne pas tomber dans l’oubli. Le monocle complète à merveille son jeu maniéré et ironique.
Cet accessoire fut aussi prisé dans les milieux littéraires, ce qui ajoute grandement à mon intérêt pour lui. Il semble que Leconte de Lisle soit à l’origine de ce micro-phénomène.
Pour Leconte de Lisle expliqué par Sartre (Dandies, Roger Kempf), « l’homme devrait être un monocle, cette vitrification du regard absolu clouant le regardé au mur comme un papillon sur un bouchon. » Le monocle qui tue ! Henri de Régnier se contentait de se servir du sien pour garder ses distances. Dans Venises, Paul Morand le croque en quelques lignes expressives : « Personne ne portait le monocle avec autant de hauteur que Henri de Régnier, tête rejetée en arrière ; le sien était une sorte d’œil-de-bœuf creusé dans le dôme de son crâne poli, pareil à une sixième coupole de Saint-Marc. » Bernard Quiriny, dans l’excellent livre qu’il a consacré à cet écrivain oublié (Monsieur Spleen, Le Seuil), explique : « Pour bien porter le monocle, il faut demeurer impassible. Régnier l’adopte dans ce but, et aussi pour former un écran entre le monde et lui, comme un bouclier miniature. »
L’exemple de Régnier contredit en tout cas une assertion de Wikipédia selon laquelle l’inconfort du monocle serait un préjugé. Quiriny nous apprend en effet qu’ « à plus de cinquante ans, Régnier ne maîtris(ait) pas encore parfaitement (…) l’art de savoir garder son monocle. » A l’occasion de la réception de René Boyslève à l’Académie, il écrit pour lui-même : « Je n’ai pas trop mal lu et j’ai lu sans que mon monocle ait quitté mon œil un instant. Cela, c’est bien, et j’en ai quelque fierté. »
René Boyslève. Une barbe à rendre verts de jalousie nos amis hipsters !
Les artistes Dada et les surréalistes s’approprieront le monocle pour en faire une marque de dérision ; « Je m’ennuie derrière mon monocle de verre » écrit Jacques Vaché, que son ami Breton appelle « Papillon Glacial du Monocle. »
Au hasard de mes nonchalantes recherches, je suis tombé sur une étonnante explication du monocle de Tzara.
Elle est signée Henri Béhar et provient du numéro XVII des Cahiers du Centre de recherche sur le surréalisme. Je lis : «" O = monocle = néant ". Le monocle forme exactement sur le visage l’insigne du néant. » Ainsi donc, son monocle aurait permis à Tzara d’afficher de façon quasi subliminale son nihilisme !
Cette explication se fonde-t-elle sur des écrits ou propos de Tzara ? A-t-elle été entièrement forgée par Henri Béhar lui-même ? Je la trouve en tout cas séduisante.
Les deux derniers écrivains adeptes du monocle furent, à ma connaissance, Albert Cohen et Maurice Druon.
Le monocle dévoile son porteur (relire, plus haut, les lignes de Morand sur Régnier). « Monoclé », Cohen était affecté et Druon, théâtral.
Pourrais-je évoquer le monocle sans parler de celui qu’arbore le capitaine Haddock dans Les Sept boules de cristal ? Haddock, devenu depuis peu seigneur de Moulinsart, se fait servir le sien sur un plateau d’argent, que lui tend le très dévoué et stylé Nestor, ex-domestique des drôles de Loiseau…
Tintin, Les Sept boules de cristal
Haddock joue au gentleman en grand enfant bêta et touchant qu’il est ! Son monocle, sans lequel il feint de ne pouvoir reconnaître Tintin, trahit moins de la vanité que de la naïveté. Rien à voir, en tout cas, avec ceux, méchamment portés, des horribles colonels Boris et Sponz !
Plus personne n’ose aujourd’hui le monocle, sauf – dans le cadre, sans doute, d’une fête – l’excentrique Massimiliano Mochia di Coggiola. A-t-il cherché à cultiver ainsi sa ressemblance avec Tzara ?
Massimiliano Mochia di Coggiola
Un retour de cet accessoire clivant, discriminant est inenvisageable dans une société platement égalitariste comme la nôtre. Amis des attitudes et des poses étudiées, pleurez ! Le monocle a fermé l’œil. Définitivement.