L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Lee Miller, la beauté libre
La carrière cinématographique de Lee Miller se réduit à une apparition dans Le Sang du poète de Jean Cocteau. Elle y joue une statue. Pas étonnant que Cocteau ait pensé à elle pour ce rôle : sa beauté était… sculpturale. Si l’on en croit ce qu’a écrit Marc Lambron (1) dans sa biographie romancée de Lee Miller, Jean Cocteau, à la troisième prise, aurait dit à son interprète : « Ne bouge plus, ma chérie, tu es faite pour ne pas bouger. » On ne pouvait être plus inexact. La vie de Lee Miller ne fut que mouvement. Elle voyagea beaucoup, vécut dans différents pays – principalement l’Amérique, la France, l’Egypte et l’Angleterre -, eut plusieurs activités – mannequin, photographe de mode et de guerre -, deux maris – l’homme d’affaires égyptien Aliz Eloui Bey et l’écrivain anglais Roland Penrose – et de nombreuses aventures.
Elle brisa bien des cœurs : le cœur de ses amants – ce qui est la moindre des choses – et, par ricochet, le cœur des femmes qu’ils avaient abandonnées pour elle. Elle mortifia Kiki de Montparnasse en lui volant Man Ray. Elle accula au suicide la belle Nimet, la femme d’Aziz Eloui Bey. Elle humilia Valentine Penrose en la poussant hors de chez elle et en s’y installant avec le mari. Était-elle une femme fatale ? Sans doute, mais sans perversité. Femme fatale malgré qu’elle en ait.
Elle fréquenta les surréalistes, grands amateurs de belles femmes. Elle fascina Michel Leiris. Elle aima, on l’a dit, Man Ray et Roland Penrose. Surréaliste, elle l’était d’ailleurs pour ainsi dire naturellement. Elle pratiqua l’union libre et l’amour fou. L'humour aussi, au moins ce 30 avril 1945 où elle eut l’idée de se faire photographier dans la baignoire personnelle d’Hitler. Sa vie est parsemée de hasards. Et, pour reprendre la terminologie surréaliste, de hasards objectifs. « Quand elle connut mieux Penrose, raconte Lambron, elle découvrit de curieuses coïncidences. En 1922, Penrose avait croisé Man Ray à Paris. En 1927, lors d’un voyage au Caire, Penrose fut présenté à Aziz Eloui Bey. Dans ces années-là, Lee n’était qu’un mannequin new-yorkais, à cent lieues de sa vie future. Et pourtant trois des hommes qui l’aimeraient étaient liés déjà par un pacte de fortune. »
Lee Miller n’a pas fini de fabriquer du rêve. Sa beauté n’a pas pris une ride.
Monica Vitti, le paradoxe de la comédienne
Elle est la star préférée des « intellos ». Cette réputation lui vient d’avoir été l’héroïne et l’égérie d’Antonioni. Ni jolie ni vraiment belle – à proprement parler -, sensuelle et cérébrale, elle est inclassable.
La main voluptueusement noyée dans sa crinière teinte en blond ; le regard flou ou de biais ; la bouche constamment entrouverte, comme prête pour le baiser ou pour la déclaration d’amour ; la voix voilée, aux modulations travaillées… la séduction selon Vitti est cousue de fil blanc ! Mais ces façons, qui seraient grossières employées par une autre, acquièrent, grâce au jeu de l’actrice, une intensité quasi tragique. Elle a l’amour grave. « Aime-moi ou je meurs », semble-t-elle dire. Le décalage crée la fascination. Vitti joue à la séduction comme d’autres à la roulette russe !
Le genre de femme qui intéresse au cinéma, mais qui, dans la vie, lasse assez vite : femme à histoires et compliquée…
Mon image favorite : Monica Vitti contre un mur, les bras croisés, muette, laissant son visage transcrire les oscillations de son âme. Au spectateur de les percevoir et de leur donner un nom : tristesse, nostalgie, incompréhension, solitude… Quand on la voit ainsi, perdue comme une enfant, on voudrait la prendre dans ses bras et lui dire, à la suite du poète, qu’un ciel peut être bleu…
D’autant plus que – c’est un autre décalage -, Monica Vitti, si torturée dans les films d’Antonioni, donne toutes les apparences d’une femme faite pour une vie légère et facile… pour la dolce vita !
Antonioni l’a-t-il fait jouer à contre-emploi ou était-elle dans la vie comme elle est à l’écran ? Peu importe après tout puisque, comme le disait Truffaut, « le cinéma, c’est mieux que la vie ».
Sophia Loren, le rêve de chair
Combien d'adolescents ont connu leurs premiers émois en contemplant son image au cinéma ou dans les magazines ? Sa beauté n'est pas classique : la bouche, les dents, le nez... sont trop grands. Un peu plus et elle tombait dans la caricature fellinienne. Une partie de son pouvoir vient justement de ce qu'elle frôle la limite mais ne l'enfreint pas. L'harmonie est malmenée, mais elle est préservée. Miracle fragile qui fait de Sophia Loren une incarnation très singulière de la féminité.
Les autres sont d'abord des visages (Greta Garbo, Gene Tierney...) ou des allures (Grace Kelly, Audrey Hepburn...); elle est aussi un corps. Elle n'imaginait pas sa vie sans enfants. Alors, elle va interrompre deux fois sa carrière et prendre le risque d'affronter des grossesses difficiles. Elle élève ses fils en mamma italienne - aimante et possessive. Mère, mais aussi maîtresse. Elle fut longtemps celle du réalisateur Carlo Ponti avant de pouvoir enfin l'épouser. Sa séduction naît d'un mélange d'animalité et de sophistication : coiffure apprêtée, maquillage élaboré, tenues suggestives, elle frôle une autre limite (et, celle-là, l'enfreint parfois), celle de la vulgarité.
Comment vieillir quand on a été une image de la beauté ? Il y a la dérobade courageuse de Garbo; il y a l'acceptation élégante d'Audrey Hepburn. En recourant aux illusions de la chirurgie esthétique, Sophia Loren a choisi la pire des solutions. Mais il faudrait manquer de coeur pour oser le lui reprocher.