L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
S’il est une profession qu’on s’attend à voir exercée par des modèles d’élégance, c’est bien celle de couturier. Elle le fut, comme le montre cette petite galerie de portraits de couturiers d’autrefois. Notez le raffinement de certaines tenues :
Jacques Doucet, 1853-1929
Paul Poiret, 1879-1944
Cristobal Balenciaga, 1895-1954
Christian Dior, 1905-1957
La tradition du couturier élégant a longtemps persisté. Ce double portrait d’Yves Saint Laurent et de Pierre Cardin en porte encore témoignage. L’influence du temps (années 60) est certes un peu trop visible, mais la recherche est là – et la grâce :
En vieillissant, les deux compères ont perdu leurs repères.
Pierre Cardin : des formes aberrantes
Yves Saint Laurent : une coiffure (et une teinture) à la Johnny…
Seul Hubert de Givenchy a tenté de perpétuer le mythe du grand couturier français pourri de civilisation et de chic :
A quel moment les choses se sont-elles détériorées ? Un historien de la mode le dirait mieux que moi. Il me semble, toutefois, que la focalisation sur la figure du grand couturier, promu, sous l’effet d’une médiatisation hyperbolisante, artiste et star, a joué un grand rôle. Les couturiers se sont prêtés volontiers au jeu, conscients des retombées narcissiques et financières qu’ils pouvaient en tirer. Et ils ont gagné. Les défilés se sont transformés en spectacles (shows) de plus en plus élaborés. Spectacles à motifs savamment scénographiés, dont le couturier est le grand ordonnateur. La vedette, c’est lui : voir le salut final, inventé par Saint Laurent (je crois), vilipendé en son temps par Coco Chanel, adopté par tous. Salut théâtral au plein sens du terme : ce faisant, le couturier signe son défilé comme il griffe ses robes. Il est acteur. Son rôle, c'est lui-même qui se l'attribue. Il a jugé trop convenu celui de maître des élégances qui lui était traditionnellement dévolu. Le public, épris de changement, attend, croit-il, autre chose de lui : de l’original ! de l’intense ! du décoiffant ! Les différences de tempérament font le reste. L’un a endossé le costume de gourou visionnaire (et un poil fêlé) :
L’autre s’est créé une improbable tenue de marquis XVIIIe à la sauce gothique :
Ces deux-ci jouent les augustes de service :
Celui-là campe un Marius inédit, moins troublé par Fanny que par les marins du port (bonne Mère !) :
Jean-Paul Gaultier, né en 1952. Photo Pierre et Gilles.
Cet autre s’est glissé dans le costume étriqué du jeune homme famélique :
Et cet autre encore s’est modestement sacré roi (ou queen ?) :
La comparaison de ces photos avec celles du début est saisissante. La mode est devenue un théâtre, les couturiers des costumiers, les collections des pièces à thèmes. John Galliano, par exemple, a conçu en 2000 un défilé autour de la thématique du clochard, pour rendre hommage à « l’ingéniosité que déploient les déshérités pour se vêtir » (sic). Leur ingéniosité, nos privilégiés la mettent, eux, à se dévêtir... tout en conservant un minimum - un minimum, vraiment - de décence. Yves Saint Laurent fut le premier :
Plus récemment, c’est Tom Ford (pour le magazine hype W) et Marc Jacobs (pour la marque Louis Vuitton) qui posèrent en tenue d’Adam :
Les couturiers ont repris à leur compte les astuces des artistes contemporains – en tête, la provocation et l’inversion des valeurs. Car eux aussi sont des artistes ! Ils le disent et le font dire. Les clochards de Galliano serrent la main aux clochards de Beckett !
Sommes-nous arrivés à la fin du processus ? Au couturier raffiné ont succédé le couturier déguisé et le couturier dénudé : difficile d’aller plus loin ! La mode étant un éternel recommencement, on est en droit d’espérer que les années à venir voient le grand retour du couturier modèle de classe et d’élégance.
« La couture n’est pas du théâtre et la mode n’est pas un art, c’est un métier. » Chanel