L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Vous connaissez ma curiosité pour les artistes en général et pour les écrivains en particulier. En ce bel aujourd’hui printanier, je vous invite à partir à la rencontre de quelques écrivains élégants d’autrefois. Le sujet est vaste. Un choix s’impose, subjectif et arbitraire comme tous les choix.
Aux Etats-Unis, il y eut Scott Fitzgerald, autrement plus élégant que son héros le plus célèbre, le nouveau riche Gatsby.
Citons aussi Dashiell Hammett, à l’élégance très « cinématographique ». « Il avait, disait Vladimir Pozner, dans sa démarche et sa façon de s’habiller une sorte de nonchalante élégance. »
En Angleterre, plusieurs noms viennent à l’esprit. Je n’en citerai que deux – TS Eliot, dont James Darwen nous apprend qu’« (il) se faisait régulièrement couper trois costumes droits, identiques dans le même tissu sombre. De lui son tailleur disait : " Un homme remarquable Mr Eliot, jamais d’excès. " »
… et Sommerset Maugham, aux mises et aux poses un tantinet précieuses.
En Italie, autre terre d’élégance, une figure domine, celle du dandy Gabriele d’Annunzio. Les tenues sont datées, mais, à qui sait y être attentif, elles réservent de belles surprises.
Et les écrivains français ? Beaucoup de nos « gens de lettres » ressemblaient à des bourgeois bien mis. La chose n'a du reste rien d'étonnant puisque, bourgeois, ces écrivains l'étaient presque tous. Les exemples sont nombreux.
Jacques de Lacretelle, dont Paul Morand, son ami, disait que, jeune, il avait été la beauté même :
… Pierre Jean Jouve, qui dissimulait les tourments de son âme sous une apparence austère :
… François Mauriac, aux allures de Grand Français – son corps maigre flottant toujours un peu dans des étoffes luxueuses :
… André Maurois, à l'apparence d'un banquier :
… Michel Leiris, qui conçut l’élégance comme parade à sa névrose alors qu’elle en était un symptôme :
… Roger Nimier qui, par réaction au laisser-aller des existentialistes germanopratins, choisit très tôt de se vêtir « en vieux » :
Certains, sur un fond de conformisme, posaient ici ou là quelques notes d’originalité.
Sur le tard, Albert Cohen, adepte des costumes trois pièces, porta le monocle et Paul Morand, qui eut toute sa vie le souci de son apparence, osa la chemise colorée :
Saint-John Perse aimait à s’auréoler de grands chapeaux de paille ; « Fais le choix, disait-il, d’un grand chapeau dont on séduit le bord. L’œil recule d’un siècle aux provinces de l’âme.» (Anabase)
Lui et Morand furent des adeptes du nœud papillon :
… comme Roger Martin du Gard, Jacques Chardonne et le Belge Georges Simenon :
Roger Martin du Gard
Jacques Chardonne
Georges Simenon
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que Saint John Perse (de son vrai nom Alexis Leger), Morand et Cohen furent des diplomates. En ce temps-là, la dimension représentative de cette fonction obligeait…
J’hésite à inclure ici la figure d’un autre diplomate : Romain Gary. Il n’est certes pas impossible de trouver des clichés montrant un Gary élégant ; mais, ce qui frappe surtout, ce fut sa recherche du spectaculaire et ses innombrables métamorphoses.
Je le rapprocherais volontiers d’Hemingway, que, bizarrement, j’ai vu sacrer « icône du style » par quelques magazines de mode. L’un comme l’autre étaient des « caméléons » - à la recherche d’eux-mêmes à travers leurs apparences multiples. L’un comme l’autre, par ailleurs, chantres de la virilité et, débordés par leurs contradictions, succombant à la tentation du suicide.
Quelques auteurs ont cherché à ce que leur apparence marque plus nettement leur singularité d’artistes.
Il y eut Gide, dont j’ai parlé une autre fois, et ses étranges couvre-chef :
Il y eut Sacha Guitry, aussi théâtral à la ville qu’à la scène, qui s’habillait moins qu’il ne se costumait :
Hélas, à partir des années 50, la mise des écrivains va peu à peu se « prolétariser ». Sartre, d’origine bourgeoise, embrasse la cause du peuple en enfilant canadienne, blouson et pull-over. Camus, d’extraction très modeste, fait de la résistance. Sur plusieurs clichés, il réussit même à atteindre l’élégance. Le trench lui allait très bien. S’il l’adopta, ce fut sans doute pour accentuer une certaine ressemblance avec Humphrey Bogart. Roger Grenier disait : « Si on me demande de parler de lui, tout ce que je trouve à dire, ce sont des choses comme : " Il portait toujours un imperméable. " »
Les « nouveaux romanciers » affectionnent le pull à col roulé, Alain Robbe-Grillet en tête.
J’ai sous les yeux le livre Miroirs, publié en 1973, qui regroupe quatre-vingt-trois portraits d’écrivains signés Edouard Boubat. La plupart des tenues sont affreuses.
Depuis, les choses ne se sont pas arrangées. Maintenant, c’est le triomphe de l’écrivain looké « geek », tel Alexandre Jardin :
… Terrible ! Un cliché à vous ficher votre bel aujourd’hui par terre !