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L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.

Quand les Hussards prenaient la pose... 2/2

... Et les autres

 

Roger Nimier avait sa tête de Turc : Jean-Paul Sartre. Il pensa et écrivit contre lui. L’un était grand et beau ; l’autre, petit et laid. L’un s’habillait en banquier ; l’autre – d'origine bourgeoise – se déguisait en prolétaire : la canadienne et le polo devinrent ses vêtements fétiches. Le Hussard avait l’allure dégagée ; l’écrivain engagé n’avait pas d’allure. Nimier avait de l’esprit, mais, au contraire de Sartre, il n’avait pas celui de système. Il se voulait libre, désinvolte, provocateur. Qu’on le prît pour un milliardaire le faisait sourire : à preuve, cette célèbre photo qui le représente appuyé sur l’aile d’une ancienne Rolls-Royce, comme si elle lui appartenait. Car c’est un jeu : un jour que cette Rolls était garée devant la porte des Editions Gallimard, il trouva amusant de poser « en propriétaire ».

 

roger-nimier-def.jpg

 

Nimier et les voitures : une histoire d’amour et de mort. Il se tua le 28 septembre 1962 à bord de son Aston Martin DB 4. Il avait trente-sept ans. Jean-Paul Sartre, prudent, n’apprit jamais à conduire.

 

 *

 

« On peut être Dandy avec un habit chiffonné. » Il semble que Jacques Laurent ait voulu, par l’exemple, illustrer la pertinence de ce propos de Barbey d’Aurevilly. La mise de Jacques Laurent avait toujours quelque chose d’usé – d’exténué. Il n’y avait pas que son habit à être chiffonné ; son visage aussi, marqué d’excès divers.


jacques-laurent-def.jpg 

 

A y regarder de près, sa négligence était concertée : cravate légèrement dénouée, façon Frédéric Taddeï avant l’heure ; foulard de soie trop hâtivement noué ; éternelle cigarette pointant au sommet d’un avant-bras systématiquement relevé... Son visage, qu’il aurait voulu impassible comme le masque du Dandy, trahissait sa tristesse. S’il est vrai que, comme l’affirmait Baudelaire, le dandysme est un « culte de soi-même qui peut survivre à la recherche du bonheur à trouver dans autrui, dans la femme par exemple », alors non, Jacques Laurent ne fut pas un Dandy. Il se suicida trois mois après la mort de sa femme, ne supportant plus « un monde que (son) absence (avait) transformé en cauchemar. »

 

 *

 

Les écrivains furent longtemps des modèles d’élégance. Michel Déon – éternel jeune homme vert de quatre-vingt-quinze ans – est l’un des derniers à perpétuer la tradition. Il importe peu à cet homme de fidélité de paraître anachronique : il s’habille comme il s’est toujours habillé. Son style emprunte à celui du gentleman-farmer ; ses longs séjours irlandais n’y sont sans doute pas pour rien. Casquette de tweed, cravate de tricot, pull Shetland, chemise Tattersall, pantalon de velours, imperméable Burberry sont les pièces maîtresses de son vestiaire.

 

michel-deon-gentleman-farmer.jpgHélène Bamberger, Figaro photo

 

Point de mélanges hardis de couleurs : l’influence britannique est ici mâtinée de classicisme français. L’élégance de Déon : anglaise pour un Français ; française pour un Anglais. A l’heure des écrivains lookés « geek », le dernier des Hussards fait figure de provocateur !

 

S’habiller à la « hussard » ?

 

Existe-t-il un uniforme « hussard » ? Sûrement pas ! Et pour cause : les Hussards, épris avant tout de liberté, s’habillaient comme ils écrivaient, en suivant leur tempérament. Tous, d’ailleurs, prirent bien soin de découdre l’étiquette « Hussards », qu’ils n’avaient pas choisie. Au milieu des années 80, on vit refleurir la marque, précédée d’un suffixe alors à la mode : « néo ». Comme leurs aînés, ces « néo-hussards » avaient le goût de l’indépendance. Dans leurs vestes de tweed, Eric Neuhoff et Didier van Cauwelaert avaient l’air d’être les fils de Michel Déon, et Denis Tillinac, avec sa bouille de déjà vieux gamin, celui de Jacques Laurent. Mais il en va de l’histoire littéraire comme de l’histoire tout court : elle ne repasse pas les plats.

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S
Roger Nimier ! Le plus beau, radieux ! <br /> Et François Brigneau ? <br /> Denis Tillinac, le hussard fatigué ?
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A
Monsieur,<br /> <br /> Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour ce blog que je lis toujours avec beaucoup de délectation. La justesse de vos jugements et le ton un tantinet réactionnaire de vos articles, me<br /> ravissent toujours.<br /> <br /> J'ai lu avec intérêt vos portraits de hussards, ces écrivains que j'aime tant. Il en manque deux, qui ne sont pas toujours considérés comme des hussards, car un peu plus âgés, Michel Mohrt et<br /> Félicien Marceau. Ils méritent certainement un petit article de votre part...<br /> <br /> Pour finir, permettez-moi de vous conseiller une très belle pièce de théâtre sur Sacha Guitry, avec le très grand (et très élégant) Jacques Sereys, sociétaire honoraire de la Comédie Française. A<br /> mon humble avis une pièce pour le Chouan des Villes ! ( https://www.youtube.com/watch?v=rOBmMvh8cYs )<br /> <br /> Dans l'attente de vous lire Monsieur, je vous souhaite le meilleur.<br /> <br /> A.
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L
<br /> <br /> Merci de ce commentaire.<br /> <br /> <br /> Il m'est arrivé de citer un texte de Félicien Marceau (titre du billet : "Miroir, mon beau miroir").<br /> <br /> <br /> Michel Mohrt avait beaucoup de prestance. Un grand Breton à l'élégance "grande-bretonne" !<br /> <br /> <br /> <br />
T
En 2006 je me rendais en ma chère Irlande (j'y ai eu de lointains ancêtres) lorsque je rencontrai Michel DEON dans la salle d'embarquement du petit aéroport de Beauvais; il prenait la même<br /> compagnie low-cost que moi, furieux contre la compagnie nationale irlandaise qui ne lui faisait plus de prix... Voulant lui faire un simple compliment au moment de l'embarquement (je crois que<br /> j'étais le seul à l'avoir reconnu) il me pris la main et dit "venez cher monsieur, nous allons voyager ensemble". Le voyage fut fort sympathique en échangeant sur la littérature, mes écrivains<br /> préférés étant souvent ses amis. A l'arrivée, attendant nos bagages de concert, j'oubliai de lui faire dédicacer le livre de poche de lui qui était dans mon sac; il me proposa de me déposer quelque<br /> part, sa femme venait le chercher en Land Rover, mais je savais ne pas aller dans la même direction que lui; nous échangeâmes par la suite quelques lettres.<br /> Il était habillé comme vous le décrivez, cravate de tricot, chemise tatersall veston de tweed et imper de bonne facture<br /> J'en garde le souvenir d'un charmant homme au delà de la finesse bien connue de l'écrivain.
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L
<br /> <br /> Belle anecdote !<br /> <br /> <br /> Je crois savoir que Michel Déon met un point d'honneur à répondre à toutes les lettres de ses lecteurs.<br /> <br /> <br /> <br />
P
On peut détester le personnage Sarte, en revanche il faut quand même préciser qu'il n'adopta la tenue "prolétarienne" que sur le tard (après 1968). Il était certes laid; mais non dénué d'élégance<br /> comme l'attestent certaines photos anciennes.<br /> Il y a Sartre le philosophe jargonnant, mais il y a aussi Sartre l'écrivain ironique et plein d'autodérision (lisez "les mots", c'est superbe)
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S
Merci pour cette série de portraits vifs et précis !
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