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L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.

S’objectiver

La sagesse populaire regorge de formidables formules. Prenez celle-ci : « On ne se voit pas comme on est ». Très vrai ! Regardez les gens dans la rue. Beaucoup bravent le ridicule sans même le savoir ! « Comment peuvent-ils ? » Ils peuvent parce qu’ils sont aveuglés – aveuglés par eux-mêmes. Pour bien se voir, il faudrait se regarder à distance… mais allez mettre de la distance entre vous… et vous ! « Nous sommes tous contraints et amoncelés en nous », disait déjà Montaigne. « Comment ai-je pu ? » Qui d’entre nous ne s’est jamais posé cette question en se voyant sur d’anciennes photos ? La mode, cette faiseuse de moutons, n’explique pas tout.

S’objectiver – voilà ce à quoi il faudrait arriver. Mais comment faire ? On peut se servir de son valet de nuit comme d'un mannequin en faisant abstraction de soi-même et en s’efforçant de se concentrer sur l’assemblage des couleurs, des matières et des formes. « Ca avec ça, oui, ce n’est pas mal, mais il y a sûrement mieux… » Et l’on remplace ceci par cela, on se reprend, on améliore… On peut se trouver un modèle, quelqu’un qu’on admire et auquel on décide de ressembler. Voyez l’écrivain Jacques Chessex qui, admirateur de Flaubert, s’était fait la tête de son idole, ou encore Pierre Lefranc, proche collaborateur du général de Gaulle, qui avait fini par devenir son clone.

 

chessex.jpgJacques Chessex

 

 pierre-lefranc.jpgPierre Lefranc

 

Le procédé doit avoir quelque chose de rassurant ; gare tout de même à la schizophrénie. On peut se filmer sous toutes les coutures, se prendre pour un acteur, composer ses rôles. « Tiens, ce geste est intéressant... Jolie, l’expression ! A réutiliser. Oh ! Il faut que je me redresse. Sourire à proscrire : air niais. » Mais attention ! La confrontation avec son image filmée se révèle quelquefois douloureuse. Philippe Noiret raconte dans ses mémoires posthumes que, la première fois qu’il se vit sur des rushes, il « dégueula ». (« Je n’imaginais pas du tout avoir ce physique-là. Et voilà que je découvrais une espèce d’ours mal léché qui marchait comme un canard. On ne se connaît pas quand on ne se voit qu’en se rasant le matin, à son avantage (…) Ce n’est pas naturel de se voir, soi, de trois-quarts dos ou de profil (…) Cela m’a fait un effet d’une violence terrible. J’ai mis de longues années à oublier ce traumatisme. ») On peut, selon la formule pindarienne, paraître ce qu’on sent être profondément pour chercher à le devenir : je suis né pour être élégant, donc je fais tout pour le paraître et, ainsi, finirai par atteindre mon but. On peut s’en remettre à l’avis d’un tiers, à condition de choisir celui-ci pour son goût et non pour des raisons affectives. Les femmes, c’est connu, habillent leurs hommes. On voit le résultat. On peut s’examiner minutieusement et froidement pour tenter de déterminer l’époque de son physique et s’habiller en conséquence : il y a des physiques typés années 30, 50, 60… Dans le cas d’un physique XVIIIe par exemple, les choses se compliquent. Il vous faudra une bonne dose de courage civique pour oser sortir dans la rue vêtu en petit marquis...

On peut, oui, on peut… Mais la vérité, c’est qu’on n’arrive jamais à être à la fois sujet et objet. Certains réussissent un peu mieux que d’autres, c’est tout. Ce constat doit nous inciter à être tolérants envers autrui et vigilants envers nous-mêmes. Une leçon de modestie, c’est toujours bon à prendre.

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F
C'est en effet très vrai, on peut également rajouter la voix : nous ne connaissons pas la nôtre et ne la percevons pas de la même manière que les autres.<br /> Pourriez-vous en dire plus sur les différences de physiques selon les millésimes ?<br />                                             —————-  ☙❧ —————- <br /> <br /> « Or, chose curieuse, la plupart des hommes ont soit un corps négligé, formé et déformé par les contingences, qui ne paraît avoir que peu de rapport avec leur esprit et leur nature, soit un corps<br /> dissimulé sous le masque du sport qui lui donne l'apparence des heures où il prend congé de lui-même. »<br /> L'Homme sans qualités, Robert Musil.
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L
<br /> <br /> Physiques et décennies : j'ai l'idée d'en parler dans un futur billet.<br /> <br /> <br /> <br />
G
Bonjour le Chouan, juste une petite missive pour vous dire à quel point vous êtes dans le vrai.<br /> <br /> Sartorialement votre,<br /> G.<br /> <br /> Ps: en revanche j'espère de tout coeur que cette allusion faite par un de vos lecteurs à l'AF est une ânerie...
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