L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Notre époque, qui du haut de sa supériorité technologique toise les époques précédentes, donne naissance à des objets éphémères et laids. Le rêve d’éternité des hommes s’est concrétisé dans de nombreux domaines. L’architecture en fait partie. Face aux assauts du temps, elle a longtemps dressé d’orgueilleux édifices qui cherchaient à égaler la permanence des grandes œuvres de la nature. Il est à craindre que les bâtiments d’aujourd’hui, même signés des plus grands noms, connaissent une postérité moins glorieuse : malfaçons, problèmes techniques, vieillissement prématuré des matériaux nécessitent de rapides et onéreux travaux de rénovation. Le Centre Pompidou, par exemple, a dû subir l'année de ses vingt ans une restauration profonde et coûteuse. La beauté s’est effacée au profit de la prouesse technique. La Tour Eiffel, symbole viril d'une modernité triomphante, a donné le la. Il est de bon ton de se moquer des artistes qui pétitionnèrent contre son érection. Je ne suis pas certain, pourtant, qu’ils aient eu tort : à force de la voir, nous nous sommes habitués à sa présence. A force d’habitude, nous sommes devenus indifférents – et notre indifférence a fini par être prise pour un consentement. Pourtant, si nous nous obligions à la regarder d’un œil neuf, ne fustigerions-nous pas, comme le fit en son temps Paul-Jean Toulet, la « laideur sans espérance » de ce « chandelier toujours sans chandelle » ?
Le domaine du vêtement est, lui aussi, touché. Les habits étaient autrefois conçus pour durer longtemps. Dans L’Avare, Harpagon porte les siens depuis au moins cinquante ans. Certes, c’était Harpagon ! Tout de même, il y a encore quelques décennies, on retaillait, reprisait, rapiéçait, retournait le tissu. Le costume du père passait au fils. Le temps déposait sa patine qui donnait aux choses bien nées un supplément d’âme. Aujourd’hui, on achète et on jette. Voudrait-on conserver, sauvegarder, faire durer qu’on ne le pourrait pas : les vêtements ne sont plus faits pour recevoir de tels soins et hommages. Qu’importe, d’ailleurs! Les esprits sont préparés à cet éphémère perpétuel. Ils ont même fini par le rechercher. Je me souviens d’un ami qui, m’entendant vanter la solidité de mes souliers, me disait qu’il ne me comprenait pas et qu’il préférait, lui, acheter des souliers de moindre qualité – pour avoir le plaisir de régulièrement en changer. La mode ne promeut pas les beaux habits – elle signerait alors son arrêt de mort : on ne se résout pas le cœur léger à jeter la beauté à la poubelle -, mais des habits originaux et nouveaux.
Comme l’affirmait l’élégant T.S Eliot, « l’histoire n’est plus qu’une chronique d’inventions humaines qui ont fait leur temps et ont été mises au panier ; le monde est devenu la propriété exclusive des vivants, de laquelle les morts sont rejetés. »
Un petit tour de rue suffit à nous désespérer : partout, des formes aberrantes, des tonalités grisâtres, des matières synthétiques hideuses - quoique hautement technologiques : tissu aquaphobes, respirants, que sais-je encore… Nous vivons, dit-on, dans une société de l’image. Le spectacle de la rue me convaincrait plutôt du contraire. Si les hommes se souciaient un peu plus de leur image, nos villes ne seraient pas aussi tristes. Quant aux modèles des créateurs, ils ne descendent guère des podiums : de même que les bâtiments de nos architectes novateurs sont rarement agréables à vivre (« L'architecte est celui qui a vocation par son art d'édifier quelque chose de nécessaire et de permanent. / Non pas pour être regardé seulement ou compris, mais pour que l'on vive dedans » disait Claudel), de même les vêtements de nos créateurs sont presque toujours importables.
L’individualisme ambiant accélère le mouvement vers le bas. Chacun s’octroie le droit de faire comme il l’entend. Fi des principes et des usages fixés par l’art et la tradition ! Que chaque Français se prenne pour le sélectionneur de l’équipe de France de football ne prête pas à conséquence ; il en va autrement quand il joue les maîtres d’œuvre, les décorateurs, les arbitres des élégances… Combien ai-je vu de pavillons passables défigurés par d’horribles vérandas, de façades coquettes perdre tout leur charme à cause du remplacement de fenêtres à petits carreaux par des fenêtres simples, d’intérieurs anciens massacrés au nom du sacro-saint gain d’espace ; combien de physiques corrects enlaidis par des vêtements mal coupés, de tenues gâtées par des assortiments hasardeux de couleurs !...
Pour espérer s’améliorer, il faut apprendre – regarder dans le rétroviseur -, faire preuve de modestie.
Dire cela, c’est prendre le risque d’être taxé de « nostalgisme ». La nostalgie, tant célébrée par les poètes, est démodée. Se dire nostalgique, c’est attirer sur soi les moqueries ; c’est passer pour le ronchon de service ; c’est se condamner à la solitude. Notre incontestable suprématie technologique nous abuse, que nous étendons un peu vite à tous les domaines. En matière d’esthétique, le progrès – s’il existe – n’est pas linéaire. Par exemple, qui oserait nier que le style vestimentaire des années 30 soit supérieur à celui des années 70… ou à celui des années que nous vivons ? Si Fred Astaire revenait aujourd’hui, il serait l’homme le plus élégant du monde !
Je suis nostalgique, pas passéiste. Je m’informe, je compare, je trie.
Nos vies en société sont comme nos vies personnelles : elles alternent les bons et les moins bons moments. Pourquoi le moment que je vis serait-il nécessairement plus beau que d’autres que j’ai vécus ? De même, pour quelle raison devrais-je sacraliser mon époque au motif qu’elle est mon époque ? Pour les utilitaires, le paradis terrestre est ici et maintenant. Les esthètes, eux, meurent de froid.