L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
(J’aime la poésie. Je me procure régulièrement des recueils auprès de maisons d’édition confidentielles. L’autre jour, j’envoie un mail au directeur de l’une d’entre elles, poète lui-même, pour lui commander quelques ouvrages. Il me répond que, puisque nous habitons des lieux proches, ce serait « sympa » qu’on se rencontre pour faire connaissance. Je lui propose de passer à son domicile et nous nous accordons très vite sur une date.
« Sympa »… Le mot m’avait bien paru un peu bizarre. Et puis, il y avait cet inexplicable tutoiement que, pour me rassurer, je mis sur le compte de la solidarité que se doivent les derniers amateurs de poésie.
Le jour venu, il fait chaud. Je prends ma voiture muni de ma carte Michelin collector 1971. Le trajet se passe bien. Je quitte la ville pour la campagne. Mais, arrivé près de mon but, je me perds. J’ai beau tourner ma carte dans tous les sens, impossible de trouver l’adresse que je cherche. Heureusement que, prudent et lucide, j’avais emporté, outre ma carte Michelin collector 1971, le portable non moins collector Sagem 2007 de ma femme ainsi que, recopié sur un bout de papier, le numéro de téléphone que mon correspondant m’avait mailé.
Je l’appelle. Il me répond que j’y suis presque et me dit comment faire pour le rejoindre. Il ajoute – je me souviens très exactement de ses mots : « Tu verras sur le bord de la route un mec en pantalon blanc à moitié à poil : c’est moi ! »
« Un mec en pantalon blanc à moitié à poil »…
Je regarde ma veste, ma cravate, mes chaussettes rouges… Le choc des styles va être rude ! Trop tard pour faire demi-tour. Pris de panique, je quitte ma veste, j’arrache ma cravate, j’ouvre deux boutons à ma chemise, j’ôte mes chaussettes balladuriennes et glisse mes pieds nus dans mes richelieus.
Bientôt je le vois. Il me fait des signes. Je me gare, sors de ma voiture. Je lui dis bonjour, il me dit « Salut ! » Il m’invite à entrer chez lui et me laisse le choix entre une chaise ou le canapé. J’opte pour le canapé, sans doute un clic-clac, recouvert d’un drap suspect. Il s’assoit près de moi. J’accepte très volontiers le grand verre d’eau fraîche qu’il me propose. J’ai eu chaud et il fait chaud. Discrètement, je regarde la sueur qui zigzague entre les poils blancs de son torse. Je me dis qu’il aurait pu enfiler une chemise... ou même un marcel. Mais non. Son habillement visible se limite à un pantalon blanc et à des sandales. Ses pieds ne sont pas beaux. Très vite, la conversation se dirige vers un sujet que, manifestement, il affectionne : lui.
… Lui, lui, et encore lui. Je l’écoute poliment. Je lui souris quelquefois. Combien d’heures aurai-je perdues à écouter des gens parler d’eux-mêmes en m’obligeant à prendre un air intéressé ! Je crains – c’est un comble ! – qu’il ne me trouve coincé. Les gens trop à l’aise m’ont toujours beaucoup gêné. Je décroise les jambes et me tourne un peu plus vers lui. Je l’écoute, je l’écoute, je l’écoute… Au bout d’une bonne heure, cet homme n’a quasiment plus de secrets pour moi. Hormis sa vie sexuelle, que m’a-t-il tu ? Quoiqu’à certaines allusions, appuyées de certains regards, il m'ait bien fait comprendre qu’il avait la soixantaine verte et la bagatelle écologique. A la fin, je lui rappelle l’objet de ma venue. Je sors mon chéquier pour régler ma commande. Il me demande si je serais intéressé par une de ses œuvres personnelles que, sans attendre ma réponse, il s’empresse d’aller chercher dans sa bibliothèque. Il revient accompagné d’un chat, l’ami des poètes. Je règle le tout. Il me dit qu’il préférerait que je remplisse mon chèque à son ordre plutôt qu’à celui de sa maison d’édition. Sa comptabilité aussi doit être poétique… Je m’exécute. Je me lève et me dirige vers ma voiture. Il me serre puissamment la main. « J’adore les rencontres, j’ai été très heureux de faire ta connaissance même si, ajoute-t-il, nous ne nous reverrons sans doute jamais. » Je comprends qu’il a compris. Je me surprends à bafouiller un ridicule « Bonne continuation » - une formule dont j'ai horreur. Je démarre et m’en vais. Quelques kilomètres plus loin, je me range sur un bas-côté afin de me rhabiller correctement. Je rentre à la maison et cherche à me consoler de ce moment déplaisant en parcourant les recueils que je lui ai achetés. Le sien retient particulièrement mon attention. Ses poèmes sont sensibles, pleins de retenue et de subtilité.
Le malotru a du talent.)