L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
Le col boutonné (dit « américain ») n’est pas à la mode. Les fashionable actuels ne jurent que par le col italien que – c’est amusant – nos amis transalpins disent « français ». Ce col aurait-il eu le même succès s’il s’était appelé chez nous comme chez eux ? J’en doute, tant nos snobs parent de mille attraits tout ce qui vient – ou est censé venir – d’Italie.
L’histoire du col américain est tellement connue que j’aurais quelques scrupules à la raconter à mon tour. Je me bornerai donc à citer les deux auteurs qui l’ont fait le mieux : James Darwen et Bernhard Roetzel.
James Darwen : « Le vrai col boutonné fut lancé par les joueurs de polo américains pour éviter que les extrémités du col ne leur reviennent dans la figure lorsqu’ils galopent gaiement sur le terrain. John Brooks, un nom d’origine anglaise, cela va de soi, de Brooks Brothers, étonnante oasis de bon goût en plein New York, développa ce style vers 1900, rachetant ainsi une bonne partie des inélégances vestimentaires pour lesquelles cette jeune et bouillonnante nation s’est fait malheureusement connaître (1). »
Bernhard Roetzel : « John Brooks, directeur d’une maison de confection, aurait remarqué, lors d’un match de polo en Angleterre, que les pointes des cols de chemise étaient attachées à des boutons sur le haut de la poitrine pour éviter qu’elles viennent leur battre le visage. Inspiré par cet exemple, il fait confectionner à son retour chez lui des chemises à col boutonné. (…) Cette légende (…) a peut-être été imaginée de toute pièce et colportée par les Anglais pour pouvoir prétendre que cette géniale invention américaine n’est en fait qu’une copie d’un original insulaire. En effet, ni ce qu’on appelle aujourd’hui communément un polo, ni la chemise que portent les pratiquants de ce sport (…) ne présentent la plus lointaine ressemblance avec le modèle à col boutonné (2). »
Quand, pour une histoire de col de chemise, un Anglais règle leur compte aux Yankees et qu’un Allemand fait de même avec les Anglais, le Français que je suis est aux anges !
Pour être réussi, le col américain doit satisfaire à plusieurs critères. Il doit être assez grand – ses pointes assez espacées et son angle assez ouvert pour qu’un nœud de cravate puisse éventuellement y prendre place. Les tombants doivent impérativement former une vague. A cette fin, les boutons seront légèrement remontés.
Rares sont les modèles qui répondent à ce strict cahier des charges. La softrollcollar de Brooke Brothers reste la référence. Ralph Lauren n’a jamais atteint – à ma connaissance - la même perfection. Recourir au sur mesure serait onéreux et inutile : la chemise à col boutonné fait partie de ces vêtements plus réussis en Pap qu’en sur mesure.
Comment et avec quoi la porter ? Une donnée intangible doit être gardée à l’esprit : la chemise à col boutonné est une chemise de détente. Pour cette raison, on ne la choisira jamais blanche (3) et elle n’accompagnera jamais un costume. On me rappellera que Gianni Agnelli le faisait bien. Je vous rétorquerai que - primo – vous n’êtes pas Gianni Agnelli et que – deusio – je n’imagine pas que vous ayez l’âme d’un suiveur. Vous n’imiterez donc pas davantage sa curieuse manie d’en déboutonner le col (4).
Le chemise à col boutonné complètera parfaitement, en revanche, les tenues dépareillées (veste sport ou blazer + pantalon de velours par exemple). Le choix des rayures et des carreaux est conseillé : les Américains ont judicieusement ajouté des boutons à la Tattersallsheck anglaise. On la portera volontiers sous un pull ou un cardigan ; une cravate pourra en fermer le col (la cravate de tricot semble avoir été faite pour elle !), à moins qu’on préfère y glisser un foulard… ou ne rien mettre du tout. La tenue du col permet, en effet, cette notable exception. Autre spécificité due au statut particulier de cette chemise : elle est la seule qui autorise une poche de poitrine.
Dans leurs ouvrages respectifs, James Darwen et Bernhard Roetzel se retrouvent sur un point : cette chemise constitue l’une des seules contributions positives américaines à l’art de bien s’habiller. Comment pourrais-je ne pas être d’accord avec ces éminents spécialistes ? Cela dit sans aucun antiaméricanisme primaire. Of course.
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1 – James Darwen, Le Chic anglais, Hermé.
2 – Bernhard Roetzel, L’Eternel masculin, Könemann
3 – Anecdote personnelle : à vingt ans, après avoir appris qu’une chemise à col américain ne pouvait pas être blanche, j’ai eu l’idée de transformer le col de mes Golden Arrow immaculées en une sorte de col anglais fait maison. Voici comment : j’ai supprimé les deux boutons attachant les pointes et j’ai cousu, au pied du col, un seul bouton. La cravate nouée, je n’avais plus qu’à boutonner les deux extrémités sur cet unique bouton – et le tour était joué !
4 - Je ne suis pas loin de voir dans cette initiative la manifestation d’une sorte de repentir : ainsi déboutonné, le col se rapproche d’un col classique, ce qui rend plus acceptable le port d’un costume.