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17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 06:48

La chose est connue : le comportement d’un homme change selon son habillement. Des études très sérieuses (mais a-t-on jamais entendu parler d’études qui ne le soient pas ?) ont prouvé que, par exemple, les automobilistes habillés en costume se montraient moins irascibles que les autres. La conscience que nous avons de notre apparence se répercute sur notre relation à autrui. Le jeune banlieusard en jogging qui, à chaque pas qu’il fait, semble repousser de l’épaule un ennemi virtuel choisit de s’exclure ; au contraire, l’homme qui prétend à une certaine élégance témoigne, par son respect des codes, d’une adhésion tacite à l’ordre établi. Les disciples d’Oscar Wilde, qui jurait qu’il fallait être fou pour ne pas juger sur les apparences, s’en tiendront là. D’autres débattront à l’envi et liront dans l’attitude agressive du premier l’expression d’une souffrance et, dans la bonne conscience apparente du second, une insupportable provocation. Les fleurs de rhétorique exhalent un parfum qui peut faire perdre la raison.

Un historien du vêtement saurait nous renseigner sur les interactions complexes qui existaient entre la vêture de nos aïeux et leurs manières de se tenir, de bouger – voire de penser. Le sujet dépasse largement mes compétences. Je me contenterai d’évoquer quelques gestes perdus – puisque indissociables de pratiques vestimentaires aujourd’hui obsolètes. La littérature, la peinture, la photographie et le cinéma offrent sur la question de précieux témoignages.

Une simple paire de gants permettait de se distinguer : « Des Hermies avait une manière à lui de retirer ses gants et de les faire imperceptiblement claquer en les roulant », Huysmans. Simplement tenus dans une main, les gants ont longtemps permis aux hommes de se donner une contenance.

Tom Purvis pour Austin Reed
Tom Purvis pour Austin Reed

Un poing ou une main posés sur la hanche visait au même effet ; ce geste entraînait quasi automatiquement un relevé martial de menton et dégageait la taille, flattait la ligne des minces, exaltait un cintrage.

Barbey d'Aurevilly par E. Lévy, 1881
Barbey d'Aurevilly par E. Lévy, 1881

On pouvait encore, tel Boni de Castellane, glisser les pouces dans son gilet – geste empreint de désinvolture et de provocation :

Boni de Castellane, Nadar, 1923
Boni de Castellane, Nadar, 1923

Aux poignets des élégants, les boutons de manchette devenaient des armes de séduction subtile. « Voir un homme défaire ses boutons de manchette est aussi sensuel que le bruit de la fermeture à glissière dans le dos d’une petite robe noire » prétendit même un chroniqueur de mode. Farid Chenoune renchérit : « Le port de ces boutons était essentiel au fini d’une main masculine et leur présence aux poignets donnait à sa chorégraphie (tenir une cigarette, poser son visage dans une paume, consulter sa montre) un charme sans doute perdu à jamais » (Des modes et des hommes).

A propos de montre – un autre geste perdu, et plein de poésie, consistait à sortir son garde-temps du gousset pour consulter l’heure. Il y avait encore l’ajustement du monocle, cet accessoire étrange que j’ai récemment évoqué.

Autant de gestes qu’on voudrait saluer d’un coup de chapeau – tel celui par lequel les hommes bien élevés saluaient les femmes de leur connaissance. Adieu chapeau, adieu salut !…

Coupés d’un environnement propice, certains usages encore en vigueur perdent tout leur charme. On dirait Frankenstein qui, découvrant sa créature, remarque que les rares « merveilles » obtenues « ne produisent qu’un contraste plus horrible » avec la laideur du reste… Glisser la main dans la poche de son veston peut être très gracieux si le costume est bien coupé et le geste naturel. De même, dans un contexte idoine, tenir son manteau plié sur l’avant-bras ajoute à l’allure ou nouer prestement sa cravate tient du tour de magie. Mais allez donc glisser une main dans la poche d’une veste genre Slimane, nouer une cravate slim, poser une parka en polyamide sur votre avant-bras…

Chaque époque suscite ses propres usages. La nôtre n’échappe pas à la règle. Nous aussi nous avons nos façons de faire indissociables de notre mode de vie. Aujourd’hui, on enfile son pull, on tire son portable de sa poche pour consulter, la tête dans les épaules, ses messages, on chausse des lunettes retenues par un lacet… Je doute toutefois qu’un futur Chouan des villes évoque un jour ces pratiques avec regret.

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commentaires

P
Très bon et très juste billet. C'est amusant ces gestes générés par nos accessoires et tenues, tirer sur un poignet mousquetaire, pincer son noeud de cravate, fermer et ouvrir son bouton de veste selon que l'on soit assis ou debout, de même pour cette attitude et ce maintien qui changent au gré de notre tenue vestimentaire. Tout cela étant assez inconscient, de l'ordre du tic pour les gestes, inconscient et de l'ordre du jeu social pour l'attitude.
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J
Cher Chouan,<br /> <br /> Original et très juste billet rappelant l’importance des gestes en matière d’élégance et de distinction. <br /> Mais fichtre ! Pourquoi conclure sur cette idée qu’aujourd’hui, enfiler un simple pull-over ou chausser des lunettes, serait par principe un geste quelconque et sans allure ?<br /> <br /> Le geste en effet, quel qu’il soit, n’est rien en lui-même. C’est celui qui fait le geste qui lui confère ou non allure, grâce, élégance ou majesté. Non seulement il me semble possible d’enfiler un pull-over ou chausser des lunettes - sans lacet, nous sommes bien d’accord ; mais ce détail touche à l’objet, non au geste - avec élégance et distinction, mais j’irai jusqu’à dire que tout geste peut être fait avec style, élégance ou panache. Y compris un geste de cuisinier. Rappelons-nous à ce sujet l’anecdote rapportée par la marquise de La Tour du Pin Gouvernet, émigrée dans le fin fond d’une campagne américaine pendant la Révolution et réduite par les dures réalités de cette existence précaire à exercer elle-même les geste les plus humbles :<br /> <br /> « Un jour de la fin de septembre, j'étais dans ma cour, avec une hachette à la main, occupée à couper l'os d'un gigot de mouton que je me préparais à mettre à la broche pour notre dîner. Betsey n'étant pas cuisinière, on m'avait confié le soin de la nourriture générale, dont je cherchais à m'acquitter de mon mieux, aidée par la lecture de La Cuisine bourgeoise. Tout à coup, derrière moi, une grosse voix se fait entendre. Elle disait en français: «On ne peut embrocher un gigot avec plus de majesté » Me retournant vivement, j'aperçus M. de Talleyrand. »
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L
Cher JLS,<br /> "Tout geste, dites-vous, peut être fait avec style, élégance ou panache." Je suis plus réservé que vous. Peut-on être élégant, par exemple, en enfilant son pull ? Quand je le fais, ma maladresse vaut celle de Jacques Demy qui se débat avec le sien dans "Jacquot de Nantes" d'Agnès Varda !<br /> L'anecdote narrée par la marquise de La Tour du Pin est savoureuse. Mais quand on se reporte au texte, on peut lire les choses différemment. Talleyrand savait, en effet, qu'il s'agissait de la marquise avant même que celle-ci se retourne : "Arrivés la veille à Albany, ils (Talleyrand et Beaumetz) avaient appris où nous étions." La flatterie n'est donc pas à exclure !<br /> Je profite de cette réponse pour vous remercier de votre commentaire à mon message d'adieu. Je sais bien que je ne mérite pas vos compliments; n'empêche qu'ils me touchent bigrement !<br /> Amitiés,<br /> Le Chouan
S
Merci pour cette belle méditation sur les gestes perdus.
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J
Cher Chouan,<br /> <br /> Merci de votre réponse à mon commentaire sur ce sujet des « gestes ». J’ai cependant l’impression que nous nous sommes mal compris, peut-être parce-que je n’ai pas été assez précis.<br /> <br /> Bien entendu, votre modestie vous pousse à insister : « Peut-on être élégant, par exemple, en enfilant son pull ? Quand je le fais, ma maladresse vaut celle de Jacques Demy qui se débat avec le sien dans "Jacquot de Nantes" d'Agnès Varda ! ». C’est vous qui le dites, certes. Mais vous êtes ici seul juge et c’est une bonne raison de ne pas vous croire, car vous savez bien que l’on est mauvais juge de soi.<br /> <br /> Dans un entretien donné à « For the discerning few » en mars 2012, Yukio Akamine a dit ceci : « Il y a du style dans tous nos actes. Par conséquent, même la manière dont je place ma serviette lorsque je suis à table définit mon style. L’élégance peut être trouvée dans les gestes des gens les plus simples. Au Japon, par exemple, il y a des manières de tenir ses baguettes qui sont très élégantes ». Je partage totalement le point de vue de M. Akamine. Cependant, si c’est maintenant moi qui doit tenir les baguettes… M. Akamine pourra rire ! (Comme c’est un gentleman, il fera mine de de rien voir).<br /> <br /> Je ne voulais donc pas dire que tout le monde enfile son pull ou chausse ses lunettes avec élégance. Peut-être faut-il en effet distinguer « le mouvement » et « le geste ». Quand je disais que « le geste n’est rien », je voulais dire « le mouvement n’est rien » ; tout le monde fait plus ou moins les mêmes mouvements pour enfiler son pull, chausser ses lunettes, tenir des baguettes. Et certains, quoiqu’ils fassent, feront toute leur vie des mouvements maladroits, malaisés, disgracieux. D’autres, qu’ils dansent la valse, embrochent un poulet ou placent leur serviette, seront toujours élégants et stylés. Pourquoi ces différences ? Comment les expliquer ? La nature ? La sensibilité ? L’éducation ? La volonté ? Un peu de tout cela sans doute, dans des rapports aussi complexes qu’il y a d’individus…<br /> <br /> Je corrige donc : « Tout geste peut être fait avec style, élégance ou panache ; mais pas par n’importe qui. »<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> JLS<br /> <br /> NB : d’accord avec vous en revanche sur l’interprétation possiblement « flatteuse » des propos adressés par Talleyrand à la marquise.

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