Jules Berry (1883-1951)
Il incarna une flopée d’escrocs avec une gourmandise qui donne faim ! Il aimait forcer le trait – « surjouer », comme on dirait aujourd’hui. Il accentuait à l’envi le grincement particulier de sa voix. Son phrasé était ponctué de fausses hésitations, ce qui faisait dire aux mauvaises langues qu’il ne connaissait pas bien son texte. Il jouait de ses mains avec exubérance, comme le font les prestidigitateurs afin de distraire l'attention des spectateurs et dissimuler les secrets de leurs tours : mains virevoltantes sortant souvent du cadre ; main s'ornant d'une cigarette ; main négligemment glissée dans une poche du veston…
Ses tenues collaient à son personnage. Presque toujours très bien mis – une élégance précieuse, assez spectaculaire, qu’on pourra juger datée. Une élégance à la Sacha Guitry - cet autre monstre sacré qui, lui aussi, ignorait l’understatement -, mais en moins ostentatoire tout de même.
Le rôle du diable dans Les Visiteurs du soir lui alla à merveille. Bien mieux, il faut le reconnaître, que l’habit dont on l’affubla pour ce film, qui lui faisait la jambe maigrelette.
Personnage à l’écran, Jules Berry l’était aussi dans la vie. Il multiplia les conquêtes et se ruina au jeu. Un de ses amis était François André qui possédait plusieurs hôtels et casinos, dont le George V. Jean-Claude Brialy raconte que cet homme richissime « offrit à vie une suite de cet hôtel » à Jules Berry, que les huissiers poursuivaient constamment. « Lorsqu’ils débarquaient au George V, écrit Brialy, l’un des concierges, qui tenait son instruction de M.André, les accompagnait jusqu’au dernier étage de l’hôtel, dans une chambre minable, sous les combles. Un grabat et un cintre. " Voilà les seuls effets de M. Berry, messieurs. " Les huissiers dépités repartaient la queue basse, tandis qu’au second étage, dans sa suite, le pacha Berry fumait ses cigares et buvait son champagne en charmante compagnie (1). »
Il y a quelques années, la maison Arnys a baptisé du nom de « Berry » un manteau inspiré d’un de ceux que porta le comédien à l’écran. Une heureuse initiative.
Maurice Chevalier (1888-1972)
Le type même du « vieux monsieur chic ». Très à l’aise avec son corps. Des vêtements bien coupés qu'une fois enfilés il oubliait tout à fait. Un grand naturel et une totale décontraction.
Le canotier fut sa signature de scène. Son fournisseur était anglais. Par parenthèse, on pourrait écrire une étude sur le rôle que de nombreux chanteurs, chez nous et ailleurs, firent jouer à leur couvre-chef.
Momo faisait attention aux détails qui font la différence : pochette, nœud pap’ – qu’il portait très bien -, chaussettes colorées – jaunes, par exemple, avec des pied-de-poule noir et blanc. Mais il lui arrivait de commettre des bourdes. Voyez ces photos où pochette et cravate ou nœud pap’ sont assortis :
Il demanda à être inhumé dans son costume de scène, un smoking bleu nuit, son canotier posé sur la poitrine.
Charles Boyer (1899-1978)
Le cheveu gominé ou calamistré, le sourcil haut, la paupière lourde, l’œil humide, la bouche sensuelle, une voix caressante : Charles Boyer fut l’archétype du french lover – évolution hollywoodienne du latin lover à la Rudolf Valentino. Au reste, comme celui-ci, petit et atteint de calvitie précoce.
Homme instruit – il étudia la philosophie à la Sorbonne.
Sa carrière américaine fut brillante. La légende prétend qu’on ne le vit jamais mal habillé. Certains portraits de ce temps la démentent. Oublions-les. Retenons-la.
James Sherwood nous apprend qu’à l’instar de Gary Cooper ou de Cary Grant il s’habillait à Savile Row (2).
En vieillissant, Boyer perdit en sensualité ce qu’il gagna en distinction. Ses traits s’affinèrent. Coiffé souvent d’un discret postiche, il joua les grands bourgeois et les aristocrates. Dans Madame de... par exemple – un chef d’œuvre de Max Ophüls -, il campe un général attaché au ministère de la guerre. Il est marié à la gracieuse Danielle Darrieux (peut-on être plus gracieuse qu’elle dans ce film ?) qui va succomber au charme de l’élégant Vittorio De Sicca.
Sa fin fut tragique. Son fils se suicida. Il fit de même, deux jours après que sa femme fut décédée d’un cancer.
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1. J'ai oublié de vous dire... Jean-Claude Brialy, XO Editions.
2. Savile Row, James Sherwood, L'Editeur.