La mise de François Fillon ne laisse pas indifférent. Le Figaro l’a récemment qualifié d’ « esthète ». Il y a quelques mois, un jury de spécialistes (mettez des guillemets, s.v.p) l'a sacré « champion du look », juste derrière Rama Yade… et ex aequo avec Daniel Cohn Bendit (quand je vous disais de mettre des guillemets…). Anne Boulay, rédactrice en chef de GQ, n’a pas hésité à parler de lui comme de « l’homme le mieux habillé de France ».
Couleurs, matières, coupes : François Fillon aime, c’est visible, le vêtement. A côté d’un Jean-Louis Borloo ou d’un Xavier Bertrand, il fait figure de louable et rafraîchissante exception. Sa connaissance des codes lui évite de s’en remettre à quelque conseiller en image inculte. Rien que pour cela, on aurait envie de lui dire merci. Epaules naturelles ; cran tailleur ; poches de veste taillées en biais ; ouverture généreuse sur le devant de la veste qui, découvrant un pantalon à taille haute, donne, comme disent les tailleurs, de la jambe : autant de détails qui trahissent le fournisseur, la vénérable et très parisienne maison Arnys.
Avoir un bon fournisseur est une chose. Avoir le goût qui donne un style personnel en est une autre. Que penser, à ce sujet, de François Fillon ? Pas d’audaces dans le choix des costumes (par exemple, pas de franches et larges rayures tennis qui, pourtant, allongeraient la silhouette), ni dans celui des chemises (pas de rayures pyjama) ou des cravates (beaucoup de cravates unies ou à petits motifs). François Fillon prend soin de ne pas s’aventurer hors des chemins balisés de l’élégance classique. Au moins doit-on lui savoir gré de les emprunter. Il ne risque pas d’y croiser beaucoup de ses pairs.
« Pas d’audaces ? » s’étonneront certains. « Mais ces chaussettes rouges ! Mais ce gros chrono porté avec des costumes de ville ! Mais cette veste sans col osée l’autre été à Brégançon lors d’une visite au président ! »
Pour un connaisseur, ces audaces n’en sont pas. Les chaussettes rouges – des Gammarelli -, Edouard Balladur en portait déjà il y a vingt ans. Récemment, on a même vu ces chaussettes de cardinal aux pieds de Michel Charasse, gros bouffeur de curé devant l’Eternel. Tout se perd… Le gros chrono – un Scuderia Ventidue 22 de chez I&MT – accompagnant un costume de ville est un vieux truc d’élégants italiens passé dans l’usage depuis plusieurs années. Quant à la désormais célèbre veste sans col arborée à Brégançon – une « forestière » de chez Arnys -, vous noterez que François Fillon l’avait choisie bleue, ce qui en faisait un simple succédané de blazer. Et ce qui seyait mal, à mon sens, à ce vêtement d’inspiration rurale. Ajoutez le pantalon beige clair et les mocassins Weston chocolat, et vous reconnaîtrez que dans le genre audacieux, on a vu beaucoup mieux.
François Fillon me fait irrésistiblement penser à José Maria Aznar, l’ancien premier ministre espagnol. Si, si. Mettez-lui une moustache. Ou rasez celle d’Aznar.
Même âge, à un an près. Même physique passe-partout. Même regard sombre et fiévreux. Et même goût des beaux habits. Mais Aznar a opté pour une coupe plus ajustée, italienne. Un bon choix. La mise de notre premier ministre est plus conventionnelle. Une mise de notable ou, pour parler comme Fadela Amara, de « bourgeois de la Sarthe ». Admettons toutefois que François Fillon est plus difficile à habiller que son alter ego espagnol à cause, notamment, de son absence de cou… et d’un début de ventre.
On sent François Fillon tiraillé entre son respect de la tradition et son attirance pour la transgression. Cet homme est constamment retenu, contenu. Il est en perpétuel état de vigilance. A la longue, cela doit être épuisant. On comprend que le pilotage d’engins de course soit, pour lui, comme une récréation mentale. En matière vestimentaire, ses dérapages aussi sont contrôlés. Il voudrait bien, mais il n’ose pas. Question, sans doute, de statut et d’éducation. Il n’est pas, lui, un homme de la rupture. Le look BCBG des eighties reste sa référence. Voyez, par exemple, comme il a du mal à renoncer à sa mèche. Quand il chausse des mocassins, ce sont, on l’a dit, des Weston. Il aime le blazer, le jean coupé large, le loden, le pull sur les épaules… Fillon, c’est un peu un Didier Bourdon du clip Auteuil, Neuilly, Passy qui aurait plutôt bien vieilli.
François Fillon a bon goût. A-t-il du goût ? Pour le savoir, on attend qu’il se lâche. Qu’il suive sa pente - pourvu que ce soit à la façon de Gide : en montant. En attendant, son style est emprunté. Emprunté au bon usage et à son fournisseur.