Alexis Jenni vient de recevoir le Goncourt. L'occasion pour moi de vous présenter un portrait de Michel Houellebecq, le lauréat de l'année dernière. Le Chouan des villes : un blog "décalé" !
Des écrivains portant beau, on en trouva longtemps. Les trois B – Balzac, Barbey, Baudelaire – prirent même l’élégance et le dandysme pour sujets d’essais. Des photographies témoignent de l’attention que, plus près de nous, les trois M – Malraux, Mauriac, Morand – prêtaient à leur mise.
Dans le cérémonial de l’écriture, il arrivait que le vêtement joue un rôle. Superstition ? Pose ? Jeu ? Buffon ne pouvait travailler qu’en jabot et manchettes de dentelle. Gourmont se couvrait d’une robe de bure. Gide affectionnait la robe de chambre – chargeant un drôle de bonnet de lui chauffer les neurones.
Et puis plus rien. Ou si peu. L’écrivain s’est fondu dans la masse. Jean Echenoz pose pieds nus dans des sandales de curé. Pierre Michon porte tee-shirt. Le Clézio a l’air de sortir de chez Célio.
Quand eut lieu la rupture ? Pourquoi s’est-elle produite ? On ne saurait le dire. Hasardons deux hypothèses. 1) La remise en cause du statut de « grand écrivain » - même en France où, pourtant, il jouit pendant longtemps d’un prestige sans équivalent. 2) La domination (chez nous plus qu’ailleurs) de l’écriture de l’intime. Autrement dit et dans tous les sens : du dévoilement. Se montrer paré après n’avoir rien caché de ses plus intimes faiblesses prêterait à sourire. L’écrivain, qui fut roi, est nu.
Prenons Michel Houellebecq. Ses personnages sont généralement peu décrits. Ils sont ce qu’ils montrent. Ils montrent ce qu’ils font. « L’individu semble s’être donné pour mission d’incarner une exagération survoltée du personnage de patron jeune et dynamique (…) Sa chemise est ouverte et sa cravate penchée de côté. » (Extension du domaine de la lutte.) « Le sociologue des comportements (…) portait un jogging Adidas, un tee-shirt Prada, des Nike en mauvais état ; enfin, il ressemblait à un sociologue des comportements. » (Plateforme.)
Maintenant, examinons Michel Houellebecq aussi librement que s’il s’agissait d’un héros de fiction. Lui-même semble nous autoriser cette audace depuis qu’il s’est mis en scène sous son propre nom dans La Carte et le territoire. Sa mise ? Celle de Monsieur-tout-le-monde. Pantalon de velours informe, parka usagée, petit pull à col rond, chemisette, chaussures de marche sans grâce… Pour recevoir le Goncourt, il avait consenti un effort : son pantalon était un Westbury, la ligne haut de gamme de chez C&A. Dans le Dictionnaire du look de Géraldine de Margerie, il pourrait servir d’illustration très convaincante à la catégorie « no look ».
Il ne faudrait pourtant pas croire que le vêtement ne l’intéresse pas. Il dit, dans La Carte et le territoire (enfin, le personnage qui porte son nom) : « Dans ma vie de consommateur, j’aurai connu trois produits parfaits. » Deux de ces produits sont des vêtements : les chaussures Paraboot Marche et la parka Camel Legend. Qu’entend-il par « produits parfaits » ? Des produits qui vous sont fidèles. Des produits qui durent. Un retraité qui aurait sa carte de fidélité chez Décathlon ne parlerait pas autrement.
Visiblement, l’élégance et le style ne font pas partie de ses préoccupations. Dès lors, l’observateur un peu exigeant s’interroge. Ca, le plus grand écrivain français vivant, celui que, selon Arnaud Viviant, « le monde entier nous envie » ? En un sens, il s’habille comme il écrit : avec la même économie de moyens. Mais cette simplicité même finit par intriguer. Elle doit bien cacher quelque chose. On s’étonne. On s’étonne. On cherche le Grand Secret…
Houellebecq recevant son Goncourt. Pantalon griffé Westbury !
Tout se passe comme si Michel Houellebecq avait pris sur lui (c’est le cas de le dire) la banalité de notre époque. Incarner la banalité quand on est tout sauf un être banal requiert du courage. Sur le chapitre du vêtement, il a atteint la perfection. Sur celui des attitudes, quelques progrès lui restent à faire. Proscrire, notamment, l’élocution pâteuse d’un Roquentin nauséeux. Renoncer à la cigarette coincée entre le majeur et l’annulaire (une afféterie d’un autre temps). Peigner les derniers cheveux.
Ces quelques imperfections gommées, nous pourrons proclamer l’héroïcité de ses vertus.
Plus sérieusement, le Grand Secret – si Grand Secret il y a - se cache peut-être dans les poèmes de Houellebecq, où il se livre sans faux-semblants. Le vêtement ne va jamais. Ici, il parle des «habits enfilés dont le contact irrite » ; ailleurs, des « vêtements trop larges (qui) abritent des chairs grises » (La Poursuite du bonheur.)
La chair est triste. Puisqu’il faut bien la couvrir, que ce soit d’habits aussi tristes qu’elle. Elle ne mérite pas mieux.