La France est trop petite pour Jacques Attali. Il pense à l’échelle du monde, pour lequel il rêve d’un gouvernement unique. Le présent est trop étroit pour Jacques Attali. Il lui faut le temps tout entier, dont il a raconté « les histoires » dans un livre (1). L’avenir lui appartient. Le lire est même devenu sa spécialité. Aucun sujet n’échappe à son omniscience prophétique : l'économie, l'éducation, les médias… et même la mode !
Concentrons-nous un moment et recueillons quelques-uns des aperçus originaux que, sous le titre « La Mode et la rue », il a livrés dans un récent Express (n° 3091) :
« La rue (…) se fait entendre depuis longtemps dans la mode. Elle inspire des créateurs et leur dicte ses choix (…) Ce qui vient ira beaucoup plus loin, car la rue imposera ses couleurs et ses formes, sans même avoir à passer par le filtre et la reconnaissance des acteurs officiels de la mode. La rue trouvera, trouve déjà, de nouvelles façons de faire connaître à la rue ce qui lui plaît, de faire savoir où et comment le fabriquer au mieux et le moins cher. Elle mêlera, comme le fait la musique, des inspirations venues de tous les coins du monde. Elle remettra en question toute l’organisation de cette industrie autour de quelques signatures, de quelques défilés, de quelques saisons, de quelques mouvements. Sans que les fabricants aient besoin de prendre le risque de lancer des collections pour tester les envies du public. La rue fera alors (…) exploser bien des codes, en particulier dans le domaine si conservateur du vêtement masculin. »
Notre oracle a la prudence d’une madame Irma confirmée. Pas de dates qui engagent, mais des généralités proférées sur le ton sentencieux ad hoc. La postérité pourra dire s'il avait raison ou tort. Mais je doute qu'on le lui demande : on aura mieux à faire.
Gageons que Jacques Attali, qui fut un très proche collaborateur de François Mitterrand (2), exerçait déjà auprès de celui-ci ses dons d’extralucide. Les puissants ont leurs voyants. François Mitterrand ne dérogeait pas à la règle. La célèbre astrologue Elisabeth Tessier révéla – preuves audio à l’appui – que François Mitterrand la consultait lors de la guerre du Koweït. Rétrospectivement, on a froid dans le dos… Avec Jacques Attali à sa gauche et Elisabeth Tessier à sa droite, « Dieu » était bien entouré !
« Faire exploser les codes » : Jacques Attali fait ce qu’il dit. La preuve, sa tenue favorite consiste en une veste classique mais portée sur une chemise sans col. Cette audace, qui lui donne, au choix, un petit air de gourou, de sexologue lacanien ou de mage hindou, présente surtout l’avantage de l’affranchir du conformisme petit bourgeois de la cravate. C’est dans cette tenue peu protocolaire que, le 23 janvier 2008, il est venu remettre au président de la République son fameux rapport sur « la libération de la croissance française »… Mais Jacques Attali n’a que faire des contraintes du protocole. Ni, hélas ! des leçons de l’élégance.
Il faut toujours se méfier des esprits supérieurs qui prennent la rue pour modèle.
__________________________________________________________________________________
1. Et des histoires à cause de ce livre, Jacques Attali en a eu ! Le Canard enchaîné l’accusa à juste titre de plagiat.
2. Avec son très controversé Verbatim, il se rêva Commynes. Il fut Triboulet.