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12 septembre 2009 6 12 /09 /septembre /2009 21:40

Pour beaucoup, ces mots sont équivalents. Le bon goût serait en quelque sorte un pléonasme consacré par l’usage. Les choses sont, je crois, plus complexes. Le bon goût présuppose qu’il y en a un mauvais. Il implique une norme que le plus grand nombre ignore. Cette ignorance crée une discrimination que les tenants du bon goût ont beau jeu de tourner à leur avantage. Se savoir du bon côté donne de l’assurance. On méprise l’ignorant ou on a de la compassion pour lui. Mais cette compassion est-elle autre chose qu’un mépris déguisé en bonne conscience ?

Le bon goût est, il faut le dire, affaire de classe, voire de caste. On joue entre soi à un jeu dont on se garde bien de divulguer les règles à autrui. La conscience d’être bien né fait croire au destin. Les choses sont ce qu’elles sont. Que pouvons-nous contre elles ? La justification du destin est commode : elle dédouane de toute remise en question. Elle reporte la responsabilité sur une entité supérieure et intimidante. Ne chatouillons pas le destin ! Les tragédies  sont pleines de héros morts pour avoir essayé de discuter avec lui.

Leur mépris le plus grand, les tenants du bon goût le réservent à ceux qui tentent, maladroitement, de les imiter. A ceux-là, ils préfèrent les ignorants qui, au moins, ont le tact (le bon goût ?) de rester à leur place. Encore, la divulgation des règles d’un jeu ne signifie-t-elle pas qu’on sache y jouer : il y a l’art et la manière ! Et être le préféré du destin depuis des siècles donne une belle avance. «  Ils pourront bien voler nos secrets, ils n’auront jamais nos manières ! »

Le goût, c’est autre chose. L’homme qui a du goût s’élève indifféremment contre le bon goût et le mauvais goût. Il se moque de la mesquinerie du premier. Il peut être sincèrement touché par la naïveté du second. Il surprend, il étonne. S’il provoque, ce n’est jamais volontairement. Il laisse la provocation aux truqueurs sans imagination, qui se contentent, pour se faire remarquer, d’inverser les codes. En ce sens, il est un antimoderne. Il s’efforce de juger les choses en elles-mêmes, sans se préoccuper de savoir si elles viennent d’hier, si elles sont d’aujourd’hui ou si elles ont une chance d’être à la mode demain. Sa boussole, c’est la beauté. L’homme de goût est un sourcier. « Le goût, a dit Delacroix, fait deviner le beau où il est ». On aimerait que, à l’instar de la beauté selon Cocteau, il agisse même sur ceux qui ne le constatent pas.

Le bon goût est-il une étape obligatoire sur le chemin du goût ? Les gens de goût sont, il est vrai, souvent bien nés. Ils connaissent les règles du jeu et ce sont d’excellents joueurs. Mais, détestant l’ennui, ils inventent leurs propres règles. Reconnaissons, alors, leur courage : il en faut pour s’extraire volontairement du clan des élus du destin ! Là où le bon goût répète, le goût innove. Là où le bon goût exclut, le goût propose, flatté d’inspirer des imitateurs. Mais, affaire d’individualité, le goût transcende les milieux : Coco Chanel, parangon du goût, était née dans une ferme.

Parlant d’elle, je vous dois un aveu : l’idée de cet article m’est venue après avoir lu un de ses aphorismes : « Le bon goût, a-t-elle dit, ruine certaines valeurs de l’esprit. Le goût tout simple par exemple. » Je ne saurais mieux dire. Ni mieux conclure.

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commentaires

G
<br /> Ce qui dénote forcément un besoin de paraître bcp plud que d'être. Un talent fou, une vraie vision. Mais aussi la première à basculer dans la...mode.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Plaisant, vraiment.<br /> Une remarque toutefois.<br /> Mzelle Chanel était aussi amoureuse de "faux bijous", de montres tape à l'oeil et de colliers du même acabit...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Vrai ! Agée, Coco Chanel fustigeait à longueur d'interviews télévisées le mauvais goût de ses contemporains. Les images la montraient ultra-maquillée, ultra-teinte et décorée comme un sapin de<br /> Noël. Ca mettait forcément mal à l'aise ! <br /> <br /> <br /> <br />
O
<br /> En fin de compte, il en va du goût, je crois, comme de la création artistique (qui lui est évidemment liée). Tout est, comme vous le dites en commentaire, cher Chouan, question de règles. Il faut<br /> connaître les règles pour savoir s'en affranchir. Ne pas connaître les règles revient à tenter inlassablement de réinventer la roue ; et, partant, à viser une forme d'originalité par définition<br /> inaccessible (puisque d'autres se sont déjà aventurés dans les contrées qu'on croit être le premier à découvrir). A l'inverse, à trop bien les connaître, on finit par faire du moyen un but en soi.<br /> Et à étouffer toute velléité de nouveauté, de surprise, de création en un mot. Et surtout : sans règles, sans limites, point de transgression. (D'un autre côté, dès lors qu'on systématise ce<br /> processus transgressif, on sombre vite dans la caricature...)<br /> <br /> Maintenant, qu'est-ce qui nous pousse à la transgression ? Assurément, Stendhal répondrait : le désir de marquer le monde (la société) de notre empreinte. Baudelaire, lui, répondrait : l'ennui.<br /> Proust serait peu ou prou du même avis, je pense. Quoique. Au XXe siècle, on répondrait sans doute : la nécessité. (Une certaine forme de déterminisme, psychologique, social, ou autre, étant<br /> sous-entendue.) Que répond-on au XXIe siècle ?<br /> <br /> Bref, le bon goût revient à connaître les règles et à les sacraliser. C'est un choix honorable. Même si, au strict plan artistique, on ne fait pas avancer le schmilblick d'un iota. Mais s'habiller<br /> est-il vraiment un art ? Les dandies, artistes ratés par définition, semblaient le penser. Le goût revient donc à jouer avec les règles. Un coup je te les observe, un coup je te les<br /> transgresse.<br /> <br /> En fait, si je devais répondre à ma propre question : "qu'est-ce qui fait qu'on transgresse les règles ou non ?" je répondrais probablement : l'énergie. L'énergie que j'ai ou non en moi de le<br /> faire, à un moment donné, dans un espace donné. Paresseux de nature, j'observe les règles que j'ai mis tant de temps à apprendre. C'est confortable, les règles. On a pensé pour moi, ça m'épargne<br /> d'avoir à le faire à mon tour. Et puis je ne vais pas gâcher tout cet investissement, toutes ces années d'apprentissage (sans compter et le temps et l'énergie que mes parents ont eux-mêmes<br /> consacrés à cet apprentissage) sur un coup de tête, n'est-ce pas ?<br /> <br /> En revanche, certains jours, certain jours où le soleil brille, où les oiseaux chantent, où les filles sont jolies, eh bien... je m'aventurerai peut-être, mettons, à glisser un morceau de tissu<br /> coloré dans ma poche de poitrine. Sans rechercher le moindre rappel de couleur qui plus est. Car je me sentirai empli d'une énergie sauvage, celle du rebelle qui, d'ordinaire, sommeille en moi. (Un<br /> sommeil assez lourd, du reste, merci de vous en inquiéter.)<br /> <br /> En d'autres termes, le goût, pour moi, n'est pas seulement une question d'inné ou d'acquis. C'est affaire de volonté.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> "La volonté", oui, ou ce que Baudelaire appelle "l'effort créateur". Celui-ci n'est-il pas à l'oeuvre dans la toilette du dandy ou, même, de l'homme élégant ? A un certain degré, je crois que si.<br /> <br /> <br />
J
Je dirais même plus, c'est dans les vieux pots que l'on fait... les meilleures soupes. Et puis ce blog commente, comment peut-il s'autocritiquer sinon par nombrilisme ?<br /> <br /> Pour les derniers paragraphes, je suis tout à fait d'accord. Cela rejoins d'ailleurs les théories structuraliste, avec Bourdieu mais aussi Barthes avec son excellent 'les systèmes de la mode'. Le questionnement sur l'opposition entre classe moyenne dont l'embourgeoisement nécessite appropriation du code (vestimentaire) et les aristocrates (pas au sens ancien régime) qui cherchent à le reconstruire est extrêmement instructif! Mais la reconstruction necessite le code comme base; et comme l'histoire du vêtement nous le montre, cette évolutionnisme darwiniste d'un sens est lent, complexe, plus souvent fait de déterminants pratiques qu'esthétiques, bref loin de la mode et de ses errances...
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S
en effet langue magnifique et entrain de plume... le seul problème c'est qu'on aurait aimé un peu plus d'autocritique... parfois il semble que ce blog se veut défenseur du bon gout etabli plus que du gout comme recherche... enfin enfin...
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L
<br /> La recherche, oui, à condition qu'on maîtrise les règles et qu'on s'en écarte en toute connaissance de cause - voir, par exemple, la fin du " pli de manche du prince Charles" : " Les esprits<br /> conservateurs sont souvent à l'origine des audaces les plus fécondes."<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br />
S
Très bel article.
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