Jeune, André Gide cultiva le genre artiste fin de siècle. Il se chercha, interrogea beaucoup son miroir, joua des rôles. Pour cela, on le jugea comédien, et, a posteriori, il eut l’honnêteté de reconnaître la justesse de la critique : « Je m’occupais beaucoup de mon personnage ; le souci de paraître précisément ce que je voulais être : un artiste, allait jusqu’à m’empêcher d’être, et faisait de moi ce qu’on appelle : un poseur. »
Poseur, pourtant, il n’oublia jamais de l’être. Il s’abandonna complaisamment à l’image du grand écrivain. Ainsi, sur ce célèbre cliché où, à sa table de travail, il quête une inspiration que son stylo est prêt à saisir au vol (1).
Rue Vaneau, 1945. Photo : Laure Albin Guillot
Ou sur cette autre photo :
Un jour, confronté à un de ses portraits où il fixait l’objectif, il eut cette heureuse formule : « Je me regarde me regardant. » Le propos n’étonne pas de la part de l’auteur du Traité de Narcisse.
Pour un « poseur », la cigarette est une précieuse alliée. Cocteau se servait d’elle pour mettre en valeur ses belles mains aux doigts interminables. Gide ne jouissait pas d’un semblable atout : ses mains étaient quelconques, plutôt épaisses, aux doigts rentrés. Chez lui, c’est plutôt la main qui met en valeur la cigarette. Celle-ci pointe généralement au sommet d’un avant-bras négligemment levé. Le geste est réussi, faussement naturel.
Un grand écrivain, ça ne sourit pas. Les photos sur lesquelles Gide montre ses dents sont exceptionnelles.
L’écriture est une chose sérieuse, une quête qui, certains jours bénis des dieux, hisse celui qui s’y livre au-dessus des mortels.
Imagine-t-on André Gide, tel, ici, Frédéric Beigbeder, posant torse nu pour une publicité ?
Un grand écrivain aspire à montrer, sinon sa supériorité, du moins sa différence. Un artiste – ce que voulait être Gide au temps d’André Walter, et ce qu’indéniablement il fut -, ça ne s’habille pas comme le vulgaire. L’esprit créateur doit imprégner ses tenues. Gide multiplie les tentatives avec un sens esthétique très sûr. Il porte ses manteaux en capes…
a recours aux foulards :
Ses couvre-chefs, cocasses et variés, sont devenus légendaires…
… et ont inspiré des imitateurs :
Son allure et son élégance sont certaines.
Il était de bonne taille et eut la bonne idée de rester mince toute sa vie. Il avait le goût du confort et des étoffes luxueuses ; Léautaud, qui lui rendit visite le 16 juin 1945, note dans son journal : « (Gide) habillé d’un merveilleux complet gris chiné clair, à l’aspect tout neuf. »
Il me faut enfin dire un mot de son beau visage aux méplats accusés. Les étages cérébral, affectif et instinctif – pour employer le jargon des morphopsychologues – s’équilibrent, je trouve, harmonieusement. Cette architecture remarquable lui permit d’affronter sans grand dommage les handicaps de la calvitie et du port obligé de lunettes.
Celui qu’André Malraux appela « le contemporain capital » connaît depuis longtemps le purgatoire. La métaphore est cocasse appliquée à un écrivain qu’on compara souvent au diable ! Evoquer son apparence m'a permis de l'en faire sortir. Pour un instant... et par la porte étroite de l'élégance (2).
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1. Quoiqu'à y regarder de près, je ne sois plus très sûr qu'il tienne un crayon dans la main...
2. La plupart des clichés qui illustrent ce billet sont extraits d'André Gide, un album de famille, Gallimard, 2010.