Les dandys et les élégants vieillissent souvent mal. La fatalité en a rattrapé beaucoup. A la ruine financière (Brummell, d’Orsay, Beauvoir, Wilde) s’est ajouté quelquefois la ruine physique (Brummell, Wilde). Le ridicule ne tue peut-être pas, mais, chez ces hommes d’exception, il annonce souvent la fin. Exilé à Caen, Brummell, dont l'esprit alors vaguait, se toqua de sa perruque : « Il n’ôtait plus son chapeau dans la rue quand on le saluait, de peur de déranger sa perruque », raconte Barbey (1).
Gravure de Brummell à Caen, en 1838. "Eheu ! Quam mutatis " (Hélas ! Quelle transformation !), dit la légende.
Il faut voir dans quel accoutrement Barbey lui-même, devenu vieux – il avait 77 ans –, reçut Edmond de Goncourt : « Il est vêtu d’une redingote à jupe qui lui fait les hanches comme s’il avait une crinoline, et porte un pantalon de laine blanche qui semble un caleçon de molleton à sous-pieds (2). » En 1916, le jeune Paul Morand se moque avec talent de l’élégance démodée de Boni de Castellane : « Boni de Castellanne rentrant ses mentons dans son buste ; bottes vernies, jaquette brodée, gants blancs à baguettes noires, grosse cravate, gilet clair, l’air trop lavé, oxygéné de sa personne ; « blanchi », comme disent les cuisinières d’un légume ébouillanté (3). » Un enterrement littéraire de première classe !
Fred Astaire et Cary Grant sont deux acteurs de référence en matière d’élégance. Pourtant, sur le tard, l’un comme l’autre se sont laissés aller à de coupables négligences. Pour dissimuler sa calvitie et habiller son crâne volumineux, le premier recourut à un désastreux postiche, ses tenues restant néanmoins remarquables, malgré quelques concessions à la mode du temps.
Fred Astaire à 87 ans. Photo : Richard Schulman.
Le second finit par ressembler à un quelconque retraité américain fortuné. Il s’empâta, chaussa de trop grosses lunettes d’écaille, porta des vestes aux épaules trop étroites, semblant oublier que la grosseur de sa tête exigeait, au contraire, une compensation de carrure.
Le duc de Windsor et Gianni Agnelli restent deux icônes du style. Avec l’âge, le duc se voûta et l’Avvocato forcit. Ni l’un ni l’autre ne renoncèrent toutefois à ce qui fit leur légende : les dérapages contrôlés – autrement dit : les trouvailles raisonnées. L’ennui, c’est qu’ils dérapèrent de plus en plus et contrôlèrent de moins en moins. Il manquèrent, dans l’audace, de ce tact dont Cocteau a si bien dit qu’il consistait à « savoir jusqu’où aller trop loin. »
... et vieux beau. 1976, Saint-Moritz.
Brodequins d'alpiniste et costume croisé...
La jeunesse fait passer des audaces ; la vieillesse aussi. Mais ce ne sont pas les mêmes. Par exemple, un jeune homme ne sera pas forcément vulgaire avec une chemise largement décolletée et un homme âgé arborera sans risquer l'affectation canne et chapeau.
Le phénomène n’épargne pas les femmes. Prenons Coco Chanel, parce que, pour Françoise Dolto, elle représentait une possible figure de dandy au féminin (4) et parce qu’elle continue d’incarner une certaine image de l’élégance à la française. Eh bien ! Elle aussi vieillit mal, parce que trop maquillée, parce que trop teinte, parce que trop bijoutée – en un mot, parce que trop Coco-Chanelisée. Elle-même se plaisait pourtant à répéter : « Une femme élégante doit pouvoir faire son marché sans faire rire les ménagères. Ceux qui rient ont toujours raison. »
On aimerait croire qu’une pratique de toute une vie de l’élégance et qu’une connaissance ancienne des règles préservent des égarement dus à l’âge. C’est compter sans le mystérieux travail de sape de la vieillesse - ce naufrage.
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1. Du dandysme et de George Brummell, Barbey d’Aurevilly.
2. Journal, Edmond et Jules de Goncourt.
3. Journal d’un attaché d’ambassade, Paul Morand.
4. Le Dandy, solitaire et singulier, Françoise Dolto.