On s’attendrait à ce que les surréalistes, chantres de la révolution, aient chargé leur mise de témoigner pour eux de leurs aspirations subversives. Ce qui étonne, au contraire, c’est, presque toujours, le classicisme de leur apparence. Dans son Journal inutile, Paul Morand les qualifiait de « bourgeois déguisés en voyous ». Entendu au sens figuré, le propos ne manque pas de pertinence, mais, au sens propre, c’était plutôt des voyous (enfin, des provocateurs) habillés… en bourgeois.
Le surréalisme influença de nombreux arts. Je limiterai mon propos à la littérature ; encore ne chercherai-je pas, dans ce seul domaine, à être exhaustif. Je me contenterai de présenter quelques individualités ayant appartenu plus ou moins longtemps au mouvement en insistant sur ce qu’elles peuvent avoir de révélateur.
A tout seigneur tout honneur : commençons par le fondateur du mouvement, celui que ses détracteurs ont surnommé « le pape du surréalisme » : André Breton.
Les surréalistes se prêtaient de bonne grâce aux séances chez le photographe. C’était leur côté « poseurs ». Les portraits d’André Breton sont nombreux, qui le montrent le plus souvent solennel et sérieux. Sérieux… comme un pape ! Il était de ces hommes que leur corpulence fait imaginer plus grands qu’ils ne sont. Son visage, démesuré, renforçait cette impression. Visage léonin, couronné d’une crinière que, s’il était permis d’oser cet adjectif pour parler du premier des surréalistes, on qualifierait volontiers de romantique…
Georges Bataille, proche un temps du mouvement, ne le rata pas : « (…) un représentant d’une espèce innommable, animal à grande tignasse et tête à crachats, de Lion châtré. » Brassaï non plus, mais en plus drôle : « (…) il ressemblait à un Oscar Wilde, qu’une brusque substitution glandulaire aurait rendu plus énergique, plus mâle. »
A quelques audaces près, la mise frappe par son caractère conventionnel. Au compte des « folies » (au demeurant peu emballantes), citons le manteau de cuir ou la cravate à rayures sur une chemise à pois :
La tenue de prédilection reste néanmoins le costume et, plus exactement, le costume croisé.
Filons la métaphore cléricale, et passons aux « cardinaux ». Cela fait, conscient des insuffisances d'un tel classement.
Tristan Tzara, fondateur de Dada rallié au surréalisme, avait trouvé dans le monocle et la mèche retombant sur le front des moyens de se distinguer. Il le fallait : sans cela, sa physionomie n’aurait pas retenu les regards. Un monocle de mondain et une mèche à la Barrès : la provocation est assez claire ! Où l'on voit que l'ironie appliquée à l'apparence n'est pas une invention « postmoderne » !
Sur son portrait le plus célèbre, signé Robert Delaunay, Tzara arbore une longue écharpe « simultanée » dessinée par Sonia, la femme de Robert. L’occasion pour le peintre de faire, en somme, une double peinture : un portrait figuratif et une composition simultanée.
Tristan Tzara par Robert Delaunay
Autre cardinal : Louis Aragon.
Jeune, Aragon fut pendant quelques années un des compagnons les plus proches du très élégant Drieu La Rochelle. Dominique Desanti, biographe du second, écrit : « Pierre et Louis admirent chacun dans l’autre ce qu’ils aiment en eux-mêmes : l’élégance désinvolte, le dandysme insolent. » Et tous les deux, en ces années-là, sont disciples de Barrès, l’auteur du Culte du moi. Breton et Soupault ont témoigné d’un Aragon narcissique – Breton : « (…) il aime, en parlant dans les cafés, à ne rien perdre de ses attitudes dans les miroirs » ; Soupault : « (…) il ne pouvait s’empêcher de se regarder dans toutes les glaces et dans tous les miroirs. » Sur ce très beau portrait signé Man Ray, il porte un costume trois pièces ; ses cheveux sont gominés ; la pose de trois quarts dévoile la finesse du profil :
La légende d’Aragon dit qu’il eut deux amours, sa femme Elsa et le Parti communiste, l’un le tenant autant que l’autre. Les yeux d’Elsa étaient peut-être profonds mais ils n’étaient pas tendres. Etrangement, le regard d’Aragon finit par être l’exact reflet de celui de sa femme.
Homme mûr, sa mise évoquait davantage le banquier que le hiérarque bolchevique. Pourtant, il aurait été difficile de trouver plus « rouge » que ce cardinal-là ! Un cardinal à l’orthodoxie fanatique. Après la mort d’Elsa, Aragon se libéra. Il avait 73 ans... Il adopta une coiffure à la Léo Ferré, porta quelquefois la moustache, se couvrit de capes et se coiffa d’immenses feutres, finissant par se conformer à l’image traditionnelle que le grand public, qui ne lit pas de poésie, se fait des poètes. Une image plus proche d’un Paul Fort que d’un révolutionnaire…
Le « fou d’Elsa » se transforma sur le tard en folle du Palace. A son bras, de jeunes éphèbes à la différence assumée :
Louis Aragon et Renaud Camus au Palace (Photo Philippe Morillon)
Troisième cardinal : Paul Eluard. Sur celui-ci, je passerai vite : si des efforts sont repérables sur certains clichés qui le représentent jeune, il est clair que, très vite, l’élégance sortit du champ (Duchamp !) de ses préoccupations : tenues sobres et conventionnelles.
Même discrétion chez les deux « évêques » les plus violemment, sans doute, anticléricaux : Benjamin Péret et Philippe Soupault.
Le cas Michel Leiris est beaucoup plus intéressant.
Michel Leiris a plusieurs fois écrit sur l’importance que revêtait à ses yeux l’acte de s’habiller. L’Age d’homme, son plus célèbre ouvrage autobiographique, s’ouvre sur un autoportrait d’une rare cruauté : « Ma tête est plutôt grosse pour mon corps ; j’ai les jambes un peu courtes par rapport à mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches ; j’ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté ; ma poitrine n’est pas très large et je n’ai guère de muscles. » Leiris, c’est un peu l’anti-Narcisse, ou, si vous préférez, l’anti-Aragon : « J’ai horreur de me voir à l’improviste dans une glace car, faute de m’y être préparé, je me trouve à chaque fois d’une laideur humiliante. » Une autodétestation poussée à un tel degré finit par être suspecte : la complaisance n’y aurait-elle pas sa part ? On est d’autant plus enclin à le penser que les portraits de Leiris démentent son propos. En tout cas, l’expression « laideur humiliante »apparaît largement exagérée.
Michel Leiris à l'âge de son autoportrait (Roger Parry)
Leiris charge le vêtement d’atténuer les défauts de sa nature. Grâce à lui, il se supporte… enfin presque : « J’aime me vêtir avec le maximum d’élégance ; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma structure (…), je me juge profondément inélégant. » Et l’Age d’homme se clôt sur cette profonde sentence : « (…) il est nécessaire de construire un mur autour de soi, à l’aide du vêtement. »
Il faut lire dans Frêle bruit le chapitre extraordinaire qu’il consacre aux tailleurs et à « l’affection fétichiste qu’(il a) pour (ses) vêtements ».
Chez les « prêtres », pas grand-chose à signaler.
Avec ses airs doucereux, patelins, Raymond Queneau ressemblait réellement à un prêtre défroqué qui aurait troqué la soutane contre un costume de notaire.
Jacques Prévert – autre prêtre défroqué et inventeur, je crois, de la fameuse périphrase rapportée plus haut (« pape du surréalisme ») - présente une figure plus originale. Il y a deux Prévert. Celui qui s’habille comme un ouvrier et celui qui s’habille en bourgeois. Le premier a l’air de sortir des usines Renault de Billancourt, avec sa casquette de prolo et son polo en jersey boutonné jusqu’en haut. Genre, par parenthèse, assez répandu chez les artistes du temps ; voir, par exemple, Sartre, Doisneau, Brassens… Le second Prévert s’habillait chez les meilleurs tailleurs. Il osait la pochette et se couvrait d’un beau chapeau, malheureusement toujours trop petit. Mais une tenue aussi conventionnelle cadrait mal avec son physique de Pierrot lunaire noyant les aubes navrantes dans l’alcool. Incongruité. Ou provocation.
Jacques Prévert, version 2. Photo Marcel Thomas
D’autres surréalistes ou précurseurs du mouvement auraient mérité d’être cités : Raymond Roussel, Jacques Vaché, Jacques Rigaut, René Crevel… Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que j’ai déjà évoqué ces écrivains suicidés dans deux autres billets.
... Alors, originaux, les écrivains surréalistes ? Pas autant qu'on aurait pu s'y attendre. Elégants ? Oui, quelquefois. Mais ils vécurent en un temps où, chez les écrivains en général, l'élégance était bien représentée : je le montrerai un jour. Pour l’audace et l’invention, ce serait plutôt du côté des peintres qu’il faudrait regarder : je le montrerai aussi. La question serait alors de savoir si les peintres surréalistes ont fait preuve dans ce domaine d’un talent particulier. Il y a, bien sûr, l’extravagance d’un Dali. Mais il y a aussi le conformisme maniaque d’un Magritte…