Mon précédent article m’offre l’occasion de revenir sur un point que j’avais déjà abordé il y a plusieurs mois (cf. Des grands tailleurs ). Il concerne l’évolution du métier de tailleur.
On a pu joliment écrire, à propos du groupe des Cinq, qu'il fut "le chant du cygne" des tailleurs. Mais le cygne n'était peut-être pas... blanc comme neige : ce groupe, par ses innovations discutables (deux collections l'an, suppression de certaines poches, utilisation de couleurs pastel pour les costumes et les vestes, introduction du sac à main pour l'homme...), ne contribua-t-il pas à brouiller l'image d'une profession en perte de vitesse ? Quoi qu'il en soit, les couturiers, stylistes et « créateurs » ont remplacé les tailleurs. Le prêt-à-porter dicte sa loi. On ne peut que se réjouir du regain d’intérêt suscité récemment par la grande mesure. Mais ce phénomène, qui ne touche qu’une élite, ne saurait nous faire oublier que la profession de tailleur est sinistrée. Combien de tailleurs aujourd’hui en France ? Et combien d’apprentis ?
Certains tailleurs eux-mêmes – et parmi les plus en vue – font du mal à leur profession en venant sur le terrain des stylistes. Comme ceux-ci, ils multiplient les « trucs » et les « astuces » qui ne peuvent séduire qu’une clientèle superficielle et sans culture : bas de pantalon trop étroit, revers de pantalon exagérément hauts, boutonnières et coutures contrastantes, cravate sur mesure assortie à la doublure de la veste, etc. Agissant ainsi, ils s’inscrivent dans le cycle de la mode, comme les tailleurs du groupe des Cinq le firent avant eux. Quand la mode changera, ils suivront le changement – et perdront tout crédit. Car ils suivent. Si encore ils précédaient ! Un tailleur digne de ce nom se reconnaît à sa coupe. Une belle coupe, ça ne fait pas un pli – et ça ne prend jamais de rides ! Il travaille selon les règles de l’art. Il n’a que faire d’attrape-nigauds tape à l’œil, prétentieux et souvent inesthétiques.
La confection et la demi-mesure ont beau jeu, quant à elles, de multiplier les finitions dites « sartoriale » que permet la technique. Ce faisant, elles pensent s’approprier à peu de frais le lustre qui leur manquait. Mais leur lustre faisandé n’impressionne que les ignorants.
A ce mélange des genres, la confection a tout à gagner. Et la mesure tout à perdre.