« L’Homme moderne » est pour moi un sujet de perplexité. Je parle de la marque, bien sûr, dont je reçois régulièrement les catalogues et les brochures. « L’Homme moderne » ne vend pas seulement des vêtements, mais aussi – je cite Rémy D. Smith, son PDG, dans la présentation de son catalogue Noël 2011 - des « articles high-tech, des objets de collection rares » et, même, des « bijoux et accessoires précieux pour Madame » et des « jeux étonnants pour les enfants et petits enfants. »
Rémy D. Smith parle encore d’articles « extraordinaires ».
Extraordinaires, vraiment ? Ces quelques exemples, circonscrits au domaine du vêtement masculin, vous permettront de vous faire votre opinion.
Pourquoi faire beau quand on peut faire laid ? Tel est, dirait-on, le principe qui préside au choix des produits. Le prix n’est pas en cause : à coût égal, rien n’empêchait de faire plus esthétique. Mais non, tout est laid, de la casquette aux souliers…
Acheter à « L’Homme moderne », c’est entrer dans le monde dangereux de la pensée paradoxale.
Voyez ceci :
… et lisez maintenant le texte qui présente ce produit :
« Tricoté dans une belle maille jersey acrylique (70 %) douce et souple, agréablement réchauffé d’une bonne dose de laine (30 %) pour oublier les frimas, ce pull est aussi un modèle de décontraction élégante : il est habillé d’un jacquard géométrique travaillé dans des tons bleus qui donnent l’impression qu’il s’agit de motifs en denim ! Facile à vivre (…), bénéficiant de finitions soignées avec ses bords–côtes à la base, au col et aux poignets, il sera le compagnon parfait de vos jeans. »
« L’Homme moderne » a un magasin dans ma ville. J’ai jusqu’à présent résisté à la tentation d’en franchir le seuil. Le sentiment que j’éprouve devant cette boutique est assez comparable à celui qui me prend face au « train fantôme » des fêtes foraines. Un mélange d’envie et de crainte, celle-ci finissant toujours par avoir le dessus sur celle-là. Quand je passe devant la devanture, je ralentis le pas. Parfois même, il m’arrive de m’arrêter. Les clients que j’aperçois me fascinent : ils se ressemblent tous. Ce sont des hommes d’au moins 60 ans qui, quand il fait froid, portent une petite casquette placée haut sur la tête, une parka marron, grise ou bleu, un pantalon de velours et des chaussures en polyuréthane généralement noires à bout spatulé. Des « Homme moderne », quoi ! Loin de moi l’idée de me moquer. Ils m’émeuvent plutôt : ils ont l’air si heureux… Ce magasin leur va tellement bien ! Ils sortent avec de grands sacs sombres imprimés « L’Homme moderne fashion » dont ils se serviront bientôt pour faire leurs petites courses au Carrefour Market voisin de leur petit pavillon.
Parfois, des « femmes modernes » les accompagnent, habillées en Damart.
Mais que peut bien vouloir dire « moderne » pour ces clients ? Eliminons d’emblée l’hypothèse de l’ironie : s’habiller avec ironie est une posture bobo-post-moderne qui, si on essayait de la leur expliquer, les laisserait interdits. L’ « Homme moderne » s’habille premier degré. Résolument et définitivement premier degré. Quant aux intentions des responsables de l’enseigne, dont je doute fort qu’ils soient des « Homme moderne », elles ne relèvent de rien d’autre que du marketing. Je pencherais plutôt pour une autre explication : ce blouson de daim, ce jean, cette parka décontractée, ce pull à col polo zippé ont dû être modernes quand ces clients avaient vingt ans. En achetant ces produits, c’est un peu de leur jeunesse qu’ils cherchent à retrouver.
Au vrai, qui, arrivé à 40 ou 50 ans, peut-il être assuré de ne pas pareillement se leurrer ? Quand je passe une chemise Polo Ralph Lauren de couleur, je crois être dans le coup, comme je l’étais il y a trente ans quand ce genre de chemise était à la mode et que j’avais vingt ans. Mais, aux yeux d’un jeune, je suis « has been »… « has been », oui, comme tous ceux qui utilisent encore cette expression !
« L’Homme moderne » n’est pas moderne. « L’Homme moderne » n’est pas classique. « L’Homme moderne » est ringard.