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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 06:05

Oui, j’en ai déjà parlé. Oui, la nostalgie est un vilain défaut. Oui, ce n’est pas bien de dire du mal de son époque. Ce n’est pas bien et c’est très vain. Oui, oui, oui, je sais tout cela. Mais quand même…

Ne serait-on pas en droit d’attendre des artistes que, dans leur manière de se vêtir, ils fassent preuve d’originalité, de liberté, de fantaisie ? Après tout, aucune loi du milieu ne pèse sur eux !

Alors, pourquoi ? Pourquoi eux ? Eux aussi ?

On m’objectera que l’évolution vers la banalité, l’uniformité, la grisaille étant générale, il est logique que les artistes aussi soient touchés. Mais, précisément, un artiste n’est pas un homme comme tous les autres. De lui, on espère l’exception, la surprise – l’inspiration. On veut qu’il soit un modèle – et il fut un temps où, de fait, il l’était. Les peintres osaient – avec plus ou moins de bonheur, certes - mais ils osaient :

 

foujita.jpgFoujita 

 

salvador-dali.jpgSalvador Dali

 

Les musiciens cultivaient une élégance classique et raffinée :

 

igor-stavinsky.jpgIgor Stravinsky par Jacques Emile Blanche. (La pochette est placée bien bas !)

 

arthur-rubinstein.jpg Arthur Rubinstein. A noter, la cravate nouée à l'envers.

 

Les écrivains n’étaient pas en reste :

 

francois-mauriac.pngFrançois Mauriac

 

andre-malraux.jpg André Malraux

 

Et, à la lisière de l’art, il y avait les couturiers qui, faisant profession d’élégance, mettaient un point d’honneur à être remarquables :

 

doucet-jacques.jpgJacques Doucet

 

patou.jpgJean Patou

 

Les écrivains, j’y reviens.

Regardez ces deux clichés. Le premier, qui date de 1923, montre le jury du Prix du Nouveau Monde ; sur l’autre, c’est celui du prix Goncourt en 2007. La dégringolade n’est-elle pas flagrante ? La réalité est là, qui saute aux yeux. Objective, indiscutable. Et, depuis 2007, les choses n’ont fait que s’aggraver.

 

prix-nouveau-monde.jpgDe gauche à droite : Jean Giraudoux, Jean Cocteau, Jacques de Lacretelle, Paul Morand, Bernard Faÿ, Valery Larbaud : du beau linge !

 

g1.jpg

 

J’ai une autre fois évoqué le cas Houellebecq. Il m’est arrivé de publier des photos de Michon, Le Clézio, Echenoz… habillés comme des moins que rien.

 

jean-echenoz-et-pierre-michon.jpgJean Echenoz et Pierre Michon

 

Il y a quelques mois, c’est Quignard que j’ai vu à la télévision, chez François Busnel dans « La Grande Librairie », revêtu d’un vulgaire tee-shirt noir largement échancré.

 

pascal-quignard.jpgPascal Quignard. Tatiana Tolstoï (De l'élégance masculine) classe dans la catégorie des « erreurs répugnantes » le « col ouvert sans foulard si l'on a plus de cinquante ans ». Sage remarque !

 

Les écrivains, créateurs de personnages, devraient pourtant savoir mieux que quiconque le lien qui existe entre l’habillement et la personnalité : l’un dévoile l’autre quand même il cherche à la déguiser. Je sais bien que, depuis Balzac, le roman a évolué ; qu’un certain roman psychologique est mort ; que, durant la seconde moitié du dernier siècle, des romanciers autoproclamés « nouveaux » ont fait tomber de son piédestal le personnage de roman modelé par son passé, reflété son visage, révélé par ses habits.

Oui, oui, oui, je sais tout cela. Mais quand même...

Chacun d’entre nous sait d’expérience que le vêtement parle pour soi ; qu’il fait sens.

Que trahit chez nos écrivains le laisser-aller actuel ? Une grande fatigue ? Un snobisme dévoyé ? Une haine de soi ?

La banalisation extrême de leur mise est indissociable de la perte de prestige de la littérature en France.

Nos écrivains ne savent plus s’habiller. Il faut dire que, dans leurs livres, où, complaisamment, ils se mettent en scène sous la forme de doubles plus ou moins avérés, on se déshabille plus souvent qu’on ne s’habille.

L’écrivain est nu. Qu’il aille se rhabiller ! Vite et bien. 

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 06:52

 

pieds.jpgPhoto de Sean Lee

 

Le pied n’est pas une partie du corps comme les autres. C’est un peu comme s’il avait une vie propre. La preuve, ces orteils dont nous ne contrôlons pas complètement le mouvement. Difficile d’admirer un objet de la sorte, comiquement terminé par cinq excroissances ongulées… Il faut aussi faire avec la forme que la nature nous a donnée : pied égyptien, grec, romain – comme si, par définition, le pied était un corps étranger… Tout le contraire de la main : ma main m’appartient, elle me ressemble. Au creux de ma main, mon avenir a déjà tracé son sillon. Lit-on les lignes du pied ?... Ridicule ! Mon pied n’a rien à m’apprendre ; il ne sait rien de moi. C’est un fruste, un mal dégrossi, juste bon à me soutenir, à me faire avancer. Ma main, elle, est civilisée. On dirait que l’évolution n’a pas marché du même pas pour mes extrémités du haut et du bas : combien de milliers d’années séparent les unes des autres ?...

Le pied ne va pas toujours avec la tête. Greta Garbo avait un visage divin et d’interminables pieds que les metteurs en scène s’efforçaient de dissimuler…. Dans Le Testament de Charles Baudelaire, Bernard-Henri Lévy imagine pour l’ « ange » du poète, madame Sabatier, un « pied boudiné au gros orteil renflé et au petit doigt recroquevillé »… J’ai remarqué que, souvent, les plus sublimes mannequins avaient des pieds maigres, hideux. Et que dire du pied des danseuses ? La perversité seule peut expliquer l’obstination des chorégraphes contemporains à exhiber à longueur de spectacles les pieds malmenés, déformés, torturés de ces êtres pleins de grâce.

La gêne que j’éprouve chez le chausseur ne tient pas seulement au fait que, en me servant, il soit à mes pieds, mais aussi que je lui présente l’une des parties les plus intimes – et indignes - de mon anatomie. Ma défiance envers le pied explique que je lui réserve le maximum d’attention : le paradoxe n’est qu’apparent. Le bijou ne vaut rien ? Eh bien ! l’écrin sera tout ! J’entoure mes pieds de belles chaussettes et je glisse le tout dans des souliers de prix que j’ai à cœur d’embellir encore grâce aux soins réguliers que je leur prodigue. La culture joue pleinement son rôle quand elle supplée aux insuffisances et bizarreries de la nature.

« Cachez ce pied que je ne saurais voir ! » Le pied est bête, définitivement bête. Mais, comme l’a justement dit Olga Berluti, « le soulier », lui, « a une âme »

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2 février 2015 1 02 /02 /février /2015 06:38

 

rosace-directeur.jpg

 

Ce croquis du camarade RoSaCe (… à cette désignation, il va voir rouge !) m’a rappelé un article de Julien Neuville publié dans Le Monde en novembre dernier. Son titre : « Pourquoi Barack Obama et Mark Zuckerberg s’habillent-ils toujours pareil ? » Le second explique : « J’aurais l’impression de ne pas bien faire mon travail si je dépensais mon énergie à des choses superflues et frivoles. » Selon cette facebookienne logique, le directeur financier croqué par RoSaCe ne peut être qu’un mauvais directeur financier. De même, Edouard Balladur et François Fillon furent forcément de plus mauvais Premiers ministres que Jean-Pierre Raffarin et Manuel Valls.

Un ex-premier ministre qui, tel François Fillon, pleure la fermeture d’Arnys, voilà qui ne fait pas sérieux. En octobre 2013, Lisa Vignoli rapportait en effet dans Le Monde cette plaisante anecdote : « "C’était en plein imbroglio politique à droite, raconte Serge Moati. Au cours d’un meeting, j’aperçois François Fillon, alors dans l’œil du cyclone. " (…) Spontanément, Fillon salue Moati, puis mime, avec les doigts, les larmes dégoulinant sur son visage. " En riant, je lui ai demandé s’il pleurait à cause de Copé (…) Il m’a répondu : - Non, Arnys " ».

Méfions-nous des généralités. On a certes vu l’élégance être une préoccupation d’hommes oisifs (… à cause des femmes : Wallis Simpson pour le duc de Windsor… sa mère pour l’actuelle prince de Galles !) ou à la profession intermittente (Fred Astaire, Philippe Noiret). Mais que dire alors d’un Gianni Agnelli qui, à la tête d’un empire industriel, n’avait sûrement pas une vie moins remplie que celle de Mark Zuckerberg aujourd’hui ?

Ainsi, pour « réussir », devrait-on, je cite l’auteur de l’article, « se libérer du temps de cerveau disponible » et « s’habiller tous les jours de la même manière ». De « nombreuses théories psychologiques » soutiennent paraît-il cela.

Si elles disent vrai, il nous fait admettre que notre société est très performante puisque la plupart de nos contemporains appliquent déjà ce principe ! Si notre système scolaire est envié par le monde entier, n’est-ce pas parce que nos professeurs, entièrement dévoués à leur travail, n’ont pas de temps à consacrer à des balivernes et portent quotidiennement, tel Mark Zuckerberg, un sweat à capuche et un tee-shirt gris ?

 

Mark-zuckerberg-le-monde.jpgMark Zuckerberg. Source Le Monde

 

Le meilleur médecin que j’aie jamais rencontré prenait grand soin de son apparence. Il savait que la routine n’exclut pas la variété ni même la fantaisie. Il portait toujours une cravate, mais, à chaque fois, elle était différente, harmonieusement accordée au reste de la tenue, qui variait aussi.

Vous m’avez compris : ces « nombreuses théories » qui confortent des comportements monomaniaques et l’aliénation par le travail relèvent pour moi du charlatanisme. Ce qui me gêne peut-être le plus, c’est qu’elles m’offrent une nouvelle preuve de l’indifférence de notre monde à la dimension esthétique et poétique de l’existence.

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23 janvier 2015 5 23 /01 /janvier /2015 06:25

Ce billet prolonge celui qu’une autre fois j’ai consacré à Hergé.

 

Quand la tintinophilie vire à la tintinolâtrie, ele ne m'intéresse plus. Ne me demandez pas combien de marches a l’escalier de Moulinsart ni le numéro d’immatriculation de la Lancia Aurelia qui, pilotée par un Italien survolté, traverse en trombe L’Affaire Tournesol. A peine si je sais distinguer les Dupondt à leurs moustaches. Je ne me ruinerais sûrement pas pour posséder l’édition rare d’un album. Je n’ai jamais acheté une statuette en résine d’un de mes personnages favoris. 

Mon amour pour Tintin est d’un autre ordre. Il puise à la source intarissable de l’enfance. Tintin a influencé pour toujours ma représentation de la réalité. Pour moi une canicule, c’est l’asphalte qui fond dans L’Etoile mystérieuse ; une éclipse, c’est Tintin ficelé à son poteau d’exécution qui implore Pachacamac dans Le Temple du soleil. Et chaque fois que je m’apprête à fréquenter un marché aux puces, je rêve d’y retrouver l’ambiance si poétique de celui que parcourt Tintin au début du Secret de la Licorne.

 

tintin-secret-licorne.jpgLe Secret de la Licorne

 

Des BD, il y en a beaucoup. Pourquoi, alors, cette fascination spéciale exercée par Tintin ? Des esprits très brillants ont tenté des réponses. Je n’aurai pas l’outrecuidance de me comparer à eux. Je me contenterai d’une observation fondée sur mon expérience. A mon avis, cette fascination tient beaucoup au dessin d’Hergé, qui a su trouver le point d’équilibre entre réalisme et imaginaire. Les personnages de Blake et Mortimer versent trop dans le premier ; ceux d’Astérix, trop dans le second. Le coup de génie d’Hergé consiste à avoir représenté les adultes avec un regard d’enfant. L’enfant est un caricaturiste-né. Les défauts des grandes personnes lui sautent aux yeux. La vérité peut alors sortir de sa bouche : « Maman, le monsieur a un très gros nez ! » ; « Papa, t’as vu comme la dame est maigre ! »

Si je sais lire les apparences, c’est en grande partie à Tintin que je le dois.

Tintin m’a appris à me méfier des gens qui se déguisent. Ils ont quelque chose à cacher. Je ne parle pas, bien sûr, de Tintin, qui se déguise quelquefois pour arriver à ses – nobles – fins, ni des Dupondt, dont les nombreux déguisements ridicules, censés les aider à se fondre dans le paysage, les désignent au contraire à la moquerie. Je pense à ce génie du mal qu’est Rastapopoulos, qui use d’identités et de panoplies diverses pour accomplir ses méfaits. Rastapopoulos se situe du côté dangereux de l’illusion. Ce n'est pas un hasard si, dans Les Cigares du pharaon, il s’occupe de cinéma et si, dans Coke en stock, il donne un bal masqué sur son yacht.

Notre vêtement doit exprimer notre être profond. Cela aussi, c’est dans Tintin que je l’ai appris. En un sens, un homme stylé donne l’impression d’être toujours habillé de la même façon. Les saisons passent - auxquelles, bien sûr, il s’adapte -, mais sans affecter sa manière. Que quelqu’un vienne à lui dire : « C’est fou comme vos tenues d’été vous changent ! » et le voilà tout décontenancé. Un style est puissant quand il fait oublier les variations contingentes.

Tintin ne porte pas toujours les mêmes vêtements. Il est parfois en polo, ou en chemisette, ou en chemise, ou en pull… On le voit en costume ou en tenue dépareillée ; il arrive qu’il ait une cravate ou qu’il soit coiffé d’une casquette ; son imperméable est souvent droit, parfois croisé à martingale… Les couleurs aussi sont différentes : blanc, bleu, jaune, beige par exemple pour les chemises… Pourtant, l’impression qui domine, c’est l’absence de changement ! En cela, Tintin a du style. Qu’un élément vienne à détonner, le lecteur, à raison, ne suit plus. Hergé a commis une faute en remplaçant, dans Tintin et les Picaros, la culotte de golf de son héros par un jean marron (1). Tintin, tout à coup, n’est plus Tintin. Parce que son style, c’est Tintin même.

Mon personnage préféré n’est pas Tintin ; c’est Haddock. Car plus complexe : humain, faible, soumis à son péché, généreux, enfantin, attaché au passé, mécontent des autres et de lui-même, colérique, dépressif – et sensible à la beauté. Ce dernier point a depuis longtemps retenu mon attention. En son château de Moulinsart, l’aventurier se fait gentleman. Il goûte à une vie de luxe et de calme : « Désormais, s’exclame-t-il au début de L’Affaire Tournesol, il ne me faut rien d’autre que cette promenade quotidienne (…) Ah ! le calme ! Ah ! le silence… Ecoutez-le, ce silence… » Dans Les Sept boules de cristal, il arbore le monocle et, dans Les Bijoux de la Castafiore, il revêt plusieurs tenues « dépareillées-chic » de belle apparence.

 

haddock-boules-de-cristal.pngLes Sept boules de cristal

 

haddock-bijoux-castafiore.jpg Les Bijoux de la Castafiore

 

Hélas ! La méchanceté des choses (2) a, à chaque fois, raison de son rêve de tranquillité. Son beau vase de Chine et son miroir florentin se brisent mystérieusement ; son ami Tournesol est enlevé ; la Castafiore attire les paparazzis chez lui…

Mon temps passe. Je vieillis. J’adapte du mieux que je peux mon vêtement à mon âge. Les héros d’Hergé n’ont pas eu à se donner cette peine. Pour ces bienheureux, le temps a arrêté son vol. Tintin est toujours un adolescent et Haddock, un homme entre deux âges. Cette bande dessinée a acquis l’intemporalité des œuvres classiques. Elle s’est détachée de sa période d’origine. Qui oserait prétendre qu’avec ses éternels cols durs Tournesol est démodé ? Les générations se succèdent. Tintin parle à mon fils d’une autre façon qu’il m’a parlé. Mais il lui parle ! Les années fuient. Je ne lis plus à cinquante-cinq ans Tintin au Tibet comme je le lisais quand j’étais enfant. Mais je continue de le lire !

Quand je suis triste, je me replonge dans ces livres d’images et ma tristesse se transforme en amicale nostalgie (3).

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1. Pierre Assouline explique, dans Hergé : biographie (Plon) : « La modernisation de l’apparence de Tintin (…), par complaisance vis-à-vis du producteur d’un des deux dessins animés adaptés de l’album, représente le seul moyen de rendre ce personnage à l’allure si désuète acceptable auprès du grand public américain. Mais pour qu’il y ait tout de même une continuité visuelle, les pantalons ne seront pas bleu délavé mais marron, solution bâtarde qui s’avère du pire effet. »
2. J’ai fait mienne cette belle expression de Liane de Pougy.
3. Pour les tenues dans Tintin, se reporter à l’étude qu’en a faite le regretté Paradigme de l’élégance ! 

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16 janvier 2015 5 16 /01 /janvier /2015 06:38

Le blog des Chaussettes rouges m’a permis de découvrir il y a quelques semaines les « Croquis sartoriaux » de RoSaCe. Heureuse découverte ! Le rire, ou le sourire, nous viennent d’autant plus facilement que, même quand nous ne les avons pas vécues, les situations croquées ne nous sont pas étrangères. Dans ce petit monde de la mode ou du style, la réalité est souvent caricaturale.

RoSaCe maîtrise son sujet. Son souci du détail ravira l’amateur et renseignera l’apprenti. Mais cette connaissance approfondie du sujet traité est bien le minimum qu’on puisse attendre d’un auteur de « croquis sartoriaux ». Elle ne retiendrait pas longtemps notre attention si elle n’était accompagnée d’autres qualités qu’il convient de mentionner.

RoSaCe a eu la bonne idée de faire intervenir l’entourage de ses « coquets ». L’identification est ainsi facilitée. J’aime beaucoup les scènes familiales, qui sentent le vécu. (Cliquez pour agrandir.)

 

Marinella final

 

rosace monsieur madame

 

La satire est présente  – ici, la vanité...


 

Hublot final-copie-1

 

… là, le snobisme :


 

aristo final-copie-1

 

- mais elle n’est  jamais cruelle. Ou presque jamais.

A sa façon, RoSaCe est un moraliste. Il nous parle de nos mœurs ; il observe notre société. Son angle : l’apparence. L’angle est aigu… et le regard aussi. Le « caractère » qu’il s’est choisi, c’est, je l’ai dit, le « coquet », dont il s’amuse, avec finesse, à mettre en scène(s) les ridicules. Ses croquis joyeux et expressifs ressemblent souvent à des illustrations de proverbes, d’adages, d’expressions toutes faites…

On ne se voit pas comme on est :


 

corriere final-copie-1

 

On est toujours le ringard de quelqu’un :


 

ringard-final-copie-1

 

Les cordonniers sont les plus mal chaussés :


 

Kemal Final-copie-1

 

Le diable se cache dans les détails :


 

rosace-detail.jpg


 

Qui se ressemble s’assemble :


 

3freres

 


Il était une mauvaise foi :


      
vieux sprezz

 

 

La satire est parfois plus acérée. Par exemple, notez comment, dans le dessin qui suit, celui que raille madame, sûrement son conjoint, est significativement absent – néantisé -, à moins qu’il ne soit chosifié, je veux dire réduit à l’état de beaux vêtements sur le mannequin de la vitrine d’un tailleur. La remarque innocente de l’enfant révèle l’infantilisme de son père :



Maman final-copie-1

 

 

Dans cet autre croquis, que je trouve très réussi, la notion d’anticonformisme est habilement prise au rebours ; les seules convenances que nous supportons sont celles… qui nous conviennent :


 

rosace convenances-copie-1

 

Le « politiquement incorrect » est ici effleuré.  Il est ailleurs plus marqué :


      rosace-bossuet.jpg


      
viril

 

Mais j’aimerais que ces « audaces » soient plus fréquentes et que RoSaCe ose plus souvent nous dire d’où il parle !

Au chapitre des réserves, notons encore la présence de quelques fautes d’orthographe et la présentation informatisée des phylactères. Une graphie manuscrite régulière s’accorderait mieux, il me semble, avec les dessins.

Voilà que je finis sur le négatif…  au risque de laisser mon lecteur sur une fausse impression. Mais mon lecteur est intelligent ; il oubliera mes rares réserves et retiendra mes nombreux éloges. Surtout, s’il ne connaît pas encore les « Croquis sartoriaux », il ira voir ici ou  pour se faire sa propre opinion (1).

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1. Un grand merci à RoSaCe pour sa disponibilité et sa gentillesse.

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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 07:13

Hier, par hasard, je suis tombé sur le blog d’un monsieur que je préfère désigner par ses trois initiales. DHG : ça vous dit quelque chose ? Moi, rien, absolument rien, jusqu’à cette vilaine chute dominicale…

- Au fait ! - Eh bien, un jour, sans doute en manque d’inspiration, ce monsieur s’est livré à une mauvaise action : il s’est approprié le travail d’un de ses confrères, et ce confrère, c’est moi. Il a honteusement pillé un de mes billets.

La comparaison des textes parle d’elle-même. Voici le mien, que j’ai publié le 8 février 2011 sous le titre « C'est pour ma femme » :


« Plus je regarde les magasins de vêtements pour femmes et plus je suis heureux d’être un homme. Quelle uniformité ! Des faiseurs de tendance décident des formes et des couleurs pour chaque saison. Difficile, pour nos compagnes, d’échapper à l’implacable machine de la mode, à moins de s’habiller vintage ou sur mesure.

Voilà plusieurs années que ces faiseurs de tendance ont banni la couleur : entre gris clair et gris foncé, le choix est limité. C’est ainsi que depuis de nombreuses saisons ma femme a l’air d’être ma veuve. Le pire, c’est qu’elle y a pris goût. Et que le deuil lui va plutôt bien.

Cette année, les choses devaient commencer à changer. On allait voir ce qu’on allait voir : du beige partout. Véronique Lorelle écrivait récemment dans Le Monde : « (…) après de longues saisons de gris et autres couleurs passe murailles, le beige sonne comme une alternative presque positive. » Elle ajoutait, pleine d’espoir : « Il serait le prélude à davantage de « vraies » couleurs. » L’espoir fait vivre. La sortie d’un aussi long tunnel se devait d’être progressive. Une confrontation trop brutale avec les couleurs aurait pu abîmer des rétines déshabituées depuis si longtemps à elles. Mais, en attendant, on n’a pas vu grand-chose. Quelques audacieuses ont bien opté pour du beige – mais un beige terne, vite sale, peu flatteur pour le teint.

Les diktats de la mode touchent aussi les hommes. C’est vrai. Mais dans une moindre mesure. Ils restent même sans effet sur les tenants de l’élégance classique que nous sommes. Les pseudo révolutions de style peuvent bien se succéder. Elles ne viennent pas jusqu’à nous. Si, parfois, nous nous informons sur elles, c’est surtout pour nous conforter dans l’idée que nous faisons bien de ne pas y prendre part. » Etc.


Et voici le texte que DHG a publié - fautes comprises - le 20 décembre 2013 sur son blog ; les emprunts sont en rouge :


« Plus je regarde les magasins de vêtements pour hommes et plus je suis heureux d’avoir du style de l’assurance, du courage et être un élégant sans concession. Les magasines et stylistes faiseurs de mode et tendance décident des formes et des couleurs pour chaque saison. Pour les fashion-victime difficile d’y échapper à l’implacable machine de la mode. La mode, elle est au service des fantasmes des créateurs et journalistes de mode, ce n’est pas un art, même s’il faut un artiste pour la créer. Ils ne s’inspirent pas assez de la vie et ne dialoguent ni avec la rue, ni avec les hommes.


Voilà plusieurs années que ces faiseurs de mode slim-fit ont banni la couleur : Le monochrome a envahi nos rues, noir, gris foncé et une pointe de blanc, le choix est limité. C’est ainsi depuis plusieurs saisons. La France va mal et les français s’endeuillent. Le pire, c’est qu’ils y on prit goût et le deuil par temps de crise leur va bien. Mais, nous avons tous les jours dans nos rues, les créations pour hommes anorexiques de style boléro d’Heidi Slimane. Une horreur.


2013 cet année, les choses ont commencé à changer. Lander Urquijo a ouvert un atelier à Paris. L’espoir fait vivre. La sortie d’un aussi long tunnel se doit d’être progressive. Une confrontation trop brutale avec les couleurs aurait pu abîmer des rétines déshabituées depuis si longtemps à elles. Mais, en attendant, dans la rue on n’a pas vu grand-chose. Quelques «audacieux» qui optent pour une pointe de couleur.


Les diktats de la mode restent sans effet sur les tenants du style et de l’élégance que nous sommes. Les pseudos révolutions de style peuvent bien se succéder. Elles ne viennent pas jusqu’à nous. Si, nous nous informons sur elles, c’est surtout pour nous conforter dans l’idée que nous faisons bien de ne pas y prendre part.

 

Messieurs! Les hommes les plus élégants n’ont pas de faiblesse. »

 

Les débuts d’année incitent à la magnanimité. Et puis, je me suis relevé sans mal de ma chute. Je me contenterai donc de demander à DHG, dont j’ai la preuve qu’il me lit, de retirer de son blog l’article litigieux. Mais qu’il le fasse ! 

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5 janvier 2015 1 05 /01 /janvier /2015 07:21

L’idée de ce billet m’est venue à la lecture d’une chronique de Julien Scavini dans Le Figaro. Sous le titre « Un revers qui a de l’étoffe », Julien Scavini traite de cette drôle de boutonnière qui, prise dans le revers, transforme une veste droite à trois boutons en veste droite à deux boutons.


scavini-boutonniere-revers.jpgDessin Julien Scavini

 

« Les premiers à avoir tenté l’artifice, rappelle Scavini, furent, dans les années 40, les Américains. » Et puis les tailleurs italiens s’en emparèrent. Les élégants de ce pays, qu’on nous donne en modèles, se plaisent encore à arborer cette bizarrerie.

Ces dits « modèles » semblent persuadés que le trop est l’ami du beau. Veste trop cintrée ; revers de pantalon trop hauts ; revers de veste trop larges ; col de chemise trop écarté ; pantalon trop court… En ce moment, ils adorent glisser leurs gants dans la poche-poitrine de leur manteau et négliger de boucler correctement leurs souliers monkstrap


boutonniere-revers.jpgTrop, c'est trop. Source : Agnelli-esque

 

lino-leluzzi-monks.jpgSouliers double-boucle portés par l'inénarrable Lino Leluzzi. Source : Sodandy

 

« Sprezzatura ! Sprezzatura ! » s’écrient nos chroniqueurs savants, prompts à s’enflammer pour tout ce qui sort de la botte. Mais ils parlent trop vite. La sprezzatura telle que l’a définie Castiglione (Le Livre du courtisan) est le contraire de l’affectation. Paradoxale par nature, c’est son invisibilité même qui la rend visible, mais seulement à l’œil de l’initié. C’est l’art qui se cache – le grand art donc, qui n’a pas besoin d’une approbation vulgaire pour se convaincre de sa valeur. C’est un faux naturel plus naturel que le vrai. La sprezzatura donne à l’élégance des ailes, c’est-à-dire de l’esprit.


castiglioneL'extraordinaire portrait de Castiglione par Raphaël

 

Aucun mot français, dit-on, ne saurait l'exprimer. Nous avons pourtant à notre disposition « grâce », « distinction », « désinvolture »… Nous avons surtout « nonchalance », ce très beau mot, aux sonorités si douces, si riches… si nonchalantes. Répétez ce mot, imprégnez-vous-en et vous saurez (comme il convient de savoir les choses, c’est-à-dire en les sentant) ce qu’est la sprezzatura.

Les astuces de snobs narcissiques n’ont rien à faire avec elle. Toute mise qui témoigne de la monomanie de son porteur non plus. L’exubérance des Italiens est sa pire ennemie. Quand je cherche des exemples de sprezzatura, les premiers noms qui me viennent à l’esprit ne sont pas italiens. Je pense à Philippe Noiret et au nouage de son papillon; à Fred Astaire et au boutonnage de son gilet dans Drôle de frimousse ; au prince Charles et à sa manière d’enfoncer ses mains dans les poches de sa veste… En général, la fluidité des soies et des lainages aide à son expression.

La sprezzatura n'aime pas les suiveurs. Elle est inventive même quand elle imite. Elle ne vole pas; elle s'approprie. Chacune de ses manières est unique.

Les Fables de La Fontaine pourraient en fournir un équivalent littéraire : la sprezzatura à tous les vers ! Ne me demandez pas d’expliquer. Fabrice Luchini, qui a perçu l’impondérable, a eu tort de chercher à le traduire en mots : adieu, pieds ailés !

… J’ai demandé l’autre jour à mon tailleur, arrivé il y a longtemps de Venise, son avis sur la boutonnière prise dans le revers. Sa réponse a fusé, implacable : « Une ineptie ! » 

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24 décembre 2014 3 24 /12 /décembre /2014 06:54

 

creche

 

On se connaît maintenant assez pour qu’à quelques jours de Noël j’ose vous confier un de mes scrupules intimes. Un assez récent échange entre Alain Finkielkraut et Emmanuel Carrère (émission Répliques, France Culture) l’a ravivé. Mais il ne m'a jamais quitté, même durant toutes ces années où j’ai parlé avec vous d’élégance.

Emmanuel Carrère disait à Alain Finkielkraut à peu près ceci : Je suis quelqu’un de bien ; je n’ai pas tué, je n’ai pas volé, etc. Mais si, pour être parfait, il faut vendre tous ses biens, alors là, je ne peux plus suivre. J’aime trop un certain niveau de confort pour cela. Carrère faisait bien sûr référence à la parabole de l’homme riche ainsi rapportée par Saint Luc : « Un chef juif demanda  à Jésus : " Bon maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? "  " (…) Tu connais les commandements " (…) L’homme répondit : " J’ai obéi à tous ces commandements depuis ma jeunesse. " Après avoir entendu cela, Jésus lui dit : " Il te manque encore quelque chose : vends tout ce que tu as et distribue l’argent aux pauvres, alors tu auras des richesses dans les cieux ; puis viens et suis-moi. " Mais quand l’homme entendit ces mots, il devint tout triste, car il était très riche. »

Je ne suis pas riche mais je possède plus qu’il ne me faut et je donne beaucoup moins que je le pourrais. Ma pente naturelle va vers le superflu dont je ne suis pas loin de penser, après Voltaire (… et ce parrainage n’arrange vraiment pas mes affaires !), qu’il est « très nécessaire ». Je m’invente mille sophismes pour tenter d’excuser ma faiblesse. Je me dis : l’homme ne se nourrit pas seulement de pain ; le luxe est un témoignage du génie humain et, par là, il rend grâce au Créateur; aucune organisation sociale ne résisterait à une application littérale de l’Evangile ; je respecte trop les pauvres pour rien faire qui nuirait à leur vocation de « bienheureux »; les huiles ecclésiastiques ne rechignent pas au luxe ; qui suis-je pour les juger et pourquoi exigerais-je de moi plus qu’elles n’exigent d’elles ?...

Je me mens en toute conscience. Je suis d’autant plus impardonnable que je connais bien cet autre passage de Saint Luc où Jésus dit : « Ne vous inquiétez pas (…) au sujet des vêtements dont vous avez besoin pour votre corps, car (…) le corps est plus important que les vêtements. » Suivant cela, je devrais illico supprimer mon blog, brûler ma garde-robe et m’habiller aussi ordinairement qu’un prêtre ouvrier ! Mais quelque chose en moi m’en empêche. Cela, pourtant, ne devrait pas m’être trop difficile tant l’étalage du luxe m'écoeure et tant j’ai conscience que, vue d’un peu haut (… alors, mon Dieu, vue du Ciel !), toute quête d’élégance est dérisoire. Quand les corps ressusciteront, ils ne seront sûrement pas revêtus de robes de haute couture et d’impeccables costumes trois pièces !...

Plus fort : savez-vous ce que j’ai demandé au « petit Jésus » pour mon Noël ? Un manteau, parfaitement, un manteau… dont, pour la tranquillité de mon âme, je préfère taire le prix.

« Se contredire, quel luxe ! » s’exclamait Cocteau.

Un luxe dont j'aimerais quelquefois... pouvoir faire l'économie.

Joyeux Noël !

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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 06:20

Notre société protéiforme est un constant défi pour le langage. Pour décrire notre réel chaotique, des notions traditionnelles ne sont plus opérantes. Ou le sont beaucoup moins. Craignons toutefois qu’à force de les tourner dans tous les sens, les mots ne finissent par perdre la tête. Et nous avec eux.

Prenez l’anticonformisme. Que peut bien vouloir dire « être anticonformiste » aujourd’hui ? Un de mes commentateurs à qui je posais la question m’a répondu que « le terme coulait entre les doigts ». Il ajoutait : « Quand l’anticonformisme est une réaction primaire à un épouvantail, ce n’est finalement que du conformisme. Et le plus conformiste des conformismes est celui de l’anticonformisme. »

Un Chouan d’aujourd’hui mérite-t-il le qualificatif d’anticonformiste ? A première vue, on peut penser que oui : de fait, il se situe dans la marge. Il détonne. Pensez donc, il porte des cravates, des casquettes, des chapeaux et des gants, des vestes de tweed et des pantalons de velours ou de flanelle, des costumes, des richelieus ou des derbys… A rebours des tendances actuelles, ses tenues ont quelque chose de fermé et de rentré. Il ne passe tout de même pas pour un excentrique – sauf à utiliser le mot dans son sens étymologique : qui se situe dans la marge est forcément « hors du centre » !

Le Chouan a son épouvantail : l’homme actuel, nippé plutôt que vêtu. Un épouvantail… à faire réellement peur aux oiseaux !

Cela dit, si vous demandez à un Chouan des villes ou à un Chouan des champs s’il est anticonformiste, il écarquillera les yeux. Une telle question n’a pour lui aucun sens : son but n’est pas de s’habiller contre quelqu’un, mais d’appliquer des règles qui ont longtemps eu cours et dont il regrette l’abandon. Ses raisons, esthétiques et morales, sont puisées à la source de la tradition.

Parmi toutes les règles qu’il a faites siennes, il en est une, toutefois, qui complique sa vie sociale : son souci du respect humain. Ainsi doit-il composer avec deux exigences contradictoires : être fidèle à une vêture dont l’anachronisme peut attirer l’œil ; ne pas se faire remarquer. La marge de manœuvre de ce marginal est étroite !

Qui plus est, un Chouan ne serait pas un Chouan s’il ne cherchait à personnaliser ses tenues – sans quoi l’on n’est jamais qu’un suiveur… habile peut-être ; suiveur tout de même. Le suiveur fait de la règle une lecture militaire. Elle est une fin. Pour un Chouan, elle n’est qu’un moyen. L’ingéniosité et le tact sont ses guides dans sa quête de la trouvaille (léger décalage, jeu d’un accessoire ou d’un contraste…) qui satisfera son goût et comblera son esprit.

Non, le Chouan n’est pas un anticonformiste. Anticonformisme : ce mot aux extrémités systématiquement douteuses n’est pas loin de lui faire horreur. Amputé de ses excroissances, il lui reste encore radicalement antipathique ! Non-conformiste lui sied à peine mieux. Non conforme lui va davantage : le Chouan tel que je l’ai décrit n’est jamais conforme. Conforme, le Chouan ne l’est pas aujourd’hui, mais il ne l’aurait pas été hier, quand prévalaient les normes auxquelles pourtant il se réfère.

J’ai dit que le Chouan composait. C’est exact à double titre : il compose ses tenues et compose avec les autres. Cela fait sans jamais abdiquer sa singularité.

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4 décembre 2014 4 04 /12 /décembre /2014 06:23

Beaucoup d’entre vous ont sûrement déjà acheté et lu ModeMen de Julien Scavini. Je n’ai que trop attendu pour en dire quelques mots.

 

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Pour rendre son propos plus vivant, Julien Scavini a imaginé un jeune homme, Antoine, qui, entrant dans la vie active, comprend qu’il est temps pour lui d’acquérir les rudiments de l’élégance masculine.

Le choix de ce personnage est révélateur du lectorat visé : Antoine est jeune et il est étudiant « en droit ou en finance, en management ou en histoire de l’art ». Le procédé (soufflé par l’éditeur ?) aurait pu être pesant si Julien Scavini n’avait eu la bonne idée de renvoyer souvent Antoine à ses chères études !

Le plan de l’ouvrage est lui aussi révélateur. Il n’a rien de révolutionnaire, et c’est très bien ainsi. Les têtes de chapitres reprennent les catégories traditionnelles, mais l’ordre dans lequel ces catégories sont traitées, qui suit les priorités d’Antoine, témoigne de notre temps. Ainsi, la chemise et le pull viennent en première et deuxième position, et il faut attendre la page 103 pour entendre parler du costume et la page 145 pour que vienne le tour du manteau. A titre de comparaison, De l’Elégance masculine de Tatiana Tolstoï en 1987 ouvrait sur ces deux thèmes.

Certains s’étonneront que la surchemise et le polo prennent place dans le chapitre sur le pull… dans lequel – tristesse du Chouan ! – le «  pull breton » dit « marin » (… ne me dites pas que c’est l’inverse !) n’est pas mentionné.

Quand il rapporte les pratiques vestimentaires de nos contemporains, Julien Scavini fait preuve de beaucoup de tolérance. Ce parti pris quasi maffesolien (j’observe, je constate sans juger ni regretter) donne des notations du genre : « Antoine peut choisir (…) sans autre préoccupation que son goût… C’est selon le goût de chacun… Inutile d’en faire une règle absolue… C’est une question de mode ». Détail significatif : vous ne trouverez pas dans ce guide l’équivalent des « Erreurs répugnantes » de Tatiana Tolstoï ou des « Nadirs de l’horreur » de James Darwen. Le jean, les sneakers et les runners sont évoqués ; le tee shirt a droit à deux pages.

A cette largeur d’esprit, plusieurs explications sont possibles. Julien Scavini est d’un naturel accommodant. N’oublions pas que c’est un commerçant habitué à composer avec les désirs de sa clientèle. On ne peut s’empêcher de penser qu’un autre commerçant – son éditeur – a eu son mot à dire.

Ces concessions à l’air du temps sont d’ailleurs à relativiser. Le point de vue adopté est d’abord celui d’un tenant du classicisme. « L’élégance classique, nous dit la première page, est un ensemble de règles de bon sens pour vous simplifier la vie au jour le jour. »

Les habitués de Stiff Collar  seront ravis de retrouver dans ce guide les points forts du blog. Pas de photos mais des illustrations signées de l’auteur. Je regrette toutefois que la qualité de l’impression ne les mette pas mieux en valeur. Les teintes sombres passent mal et pour tenter de distinguer les « unis »  des  « faux unis » (page 109), il m’a fallu me munir d’une loupe ! Un format plus grand eût été plus heureux. La présentation générale de l’ouvrage sent d’ailleurs très fort la maquette faite sur ordinateur ; ce petit côté « cheap » ne rend pas hommage au travail approfondi de Julien. Car ModeMen n’est pas un guide paresseux ! Les connaissances techniques du tailleur et les informations d’ordre historique du passionné foisonnent. Le blogueur (… illustrateur, tailleur, blogueur, Julien est tout cela à la fois !) n’a pas jugé utile de citer ses confrères ; qu’on permette à l’un d’entre eux de le regretter.

Précis, documenté, correctement rédigé, ModeMen est le meilleur guide sur l’élégance masculine de ces dernières années. Les néophytes comme Antoine y trouveront largement leur compte. Les Chouans exigeants aussi.

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