« Une voiture est belle si on peut la définir et la reconnaître en ne se servant que de trois lignes », a affirmé Wolfgang Egger, responsable du design chez Audi. Ces trois lignes étant : la ligne basse, la ligne médiane et la ligne haute.
Cette citation a l’avantage de le dire clairement : la ligne est un critère fondamental dans l’appréciation de l’esthétique d’une voiture. La Jaguar type E, la Maserati Ghibli, la Ferrari Daytona… sont d’abord, chacune, une ligne. « Une ligne à couper le souffle », pour parler le langage des journalistes spécialisés.
Jaguar type E
Maserati Ghibli
Ferrari Daytona
Les années 70 furent une époque bénie pour les grands carrossiers. Leurs concepts rivalisaient de créativité. Ils nourrissaient à leur manière le mythe d’un an 2000 voué au triomphe de la modernité. Bertone et Guigiaro, notamment, multiplièrent les projets futuristes. Ils inspirèrent une ligne promise à un grand avenir : la ligne en coin.
Un modèle symbolise à lui seul cette ligne : le concept, signé Bertone et dessiné par Marcello Gandini, Lancia Stratos HF Zéro, présenté à Turin en 1970 :
Appliqué à la série, le principe de la ligne en coin fut loin de n’engendrer que des réussites. Les lignes se tendirent de plus en plus. Fini, les courbes sensuelles et élégantes : la règle (entendez : l’instrument du dessinateur) imposa vite sa règle. La simplicité vira souvent à l’austérité et le minimalisme tomba non moins souvent dans la sécheresse.
Alfa Roméo est sans doute la marque qui illustre le mieux l’influence qu’eut la ligne cunéiforme sur la production automobile des années 70, 80 et, même, 90. Qu’on songe à la Giulietta (1977), à l’Alfa 75 (1985) ou encore à l’Alfa 155 (1992). Toutes taillées "à coups de serpe", comme aiment à le dire les journalistes spécialisés, décidément peu avares d’expressions imagées.
Alfa Roméo Giulietta
Alfa 75
Alfa Roméo 155
La ligne en coin continue d’imprégner le style de nos automobiles. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder, par exemple, les Honda Insight ou CR-Z.
Honda Insight
Honda CR-Z
Pour le rêve, citons aussi la Lamborghini Aventador, qui ne saurait renier sa filiation avec la Countach, une autre réalisation due au crayon inspiré de Gandini.
Lamborghini Countach
Lamborghini Aventador
Les voitures actuelles ont hérité de deux caractéristiques de la ligne en coin : la ligne de caisse remontant vers l’arrière et l’inclinaison très marquée du pare-brise.
Vues de profil, presque toutes nos voitures ont l’air de piler. Ou, si vous préférez, ressemblent à des mocassins Gucci !
Mocassin Gucci
Quelles justifications peut-on trouver à cette quasi unanimité ? L’aérodynamisme ? Sans doute. Mais, ignorant dans ce domaine, je n’en dirai pas davantage. Ce que je vois, en revanche, c’est que la ligne de caisse grimpant vers le coffre permet d’améliorer le volume de celui-ci. Or, on sait que la capacité de chargement est un critère déterminant pour la clientèle actuelle. Et, notamment, pour la clientèle chinoise, ce qui n'est pas anodin.
Renault Latitude. Quel coffre !
Une ligne de caisse ainsi basculée est un défi pour le designer car elle déséquilibre le rapport surfaces vitrées/tôles au profit de ces dernières. Comment habiller des flancs aussi généreux et d'aussi gros popotins ? On allége comme on peut : on abaisse, quand c’est possible, la ligne du toit ; on multiplie les nervures sur les côtés et sur la partie arrière ; on agrandit démesurément les feux ; on ajoute un jonc chromé, une jupe couleur nuit… On remplit, quoi… Et les voitures perdent en esthétique ce qu’elles gagnent en « praticité ».
L'arrière affreusement lourd de l'Alfa Mito
Selon le principe de Egger rapporté plus haut, ces voitures ne sont évidemment pas belles.
Que les CC aient un gros derrière, passe encore : il faut bien que le toit articulé trouve en position cabriolet la place de se loger. Mais que toutes nos voitures soient callipyges, là, je ne marche plus.
Mercedes SL. Modèle après modèle (1954-2002), constatez la montée de la ligne de caisse !
De nombreux modèles anciens nous montrent combien une ligne de caisse basculée dans l'autre sens sert l’esthétique. Voyez la DS cabriolet Chapron, dont la ligne évoquait un fin vaisseau, ou l'Alfa spider et son célèbre arrière en os de seiche…
DS cabriolet Chapron. Un modèle à juste titre très prisé des collectionneurs
L'Alfa spider
De la beauté, sur toute la ligne…