Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 octobre 2014 2 28 /10 /octobre /2014 06:27

Antoine Blondin...

 

En 1950, Roger Nimier publie Le Hussard bleu. En 1952, le critique Bernard Frank, dans un article resté fameux des Temps modernes, appelle « Hussards » trois jeunes écrivains remuants, Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin. Ces hussards bleus de la République des lettres pratiquaient la désinvolture comme un bel art. Au vrai, pas du tout républicains eux-mêmes ! Un an plus tard, Michel Déon, qui fut le secrétaire de Maurras, les rejoindra. Ces quatre-là ont en commun au moins deux choses : le style et la séduction. En ces années, Blondin pouvait encore espérer que l’alcool, dont il abusait déjà, n’abîmerait jamais son visage fin et romantique. En 1952, lorsqu’il publie Les Enfants du bon Dieu, les grands yeux mélancoliques semblent appeler au secours. Et la calvitie menace :


 antoine-blondin-jeune-fin.jpg


 *

 

1972. Voilà deux ans que Blondin a publié Monsieur Jadis ou l’école du soir. Son confrère Michel Tournier, passionné de photographie, a une idée originale : demander à son ami le photographe Edouard Boubat de portraiturer des écrivains, à charge pour ceux-ci d’écrire sur leur visage. Cela donnera un curieux livre, intitulé Miroirs, aux éditions Denoël. Antoine Blondin est un des quatre-vingt-trois écrivains à s’être prêtés au jeu. Voici son portrait photographique :


blondin-boubat.jpg 

 

Quant au portrait de l’écrivain par lui-même, on voudrait le citer en entier. La verve de Blondin s’y donne à plein, et son amour des calembours et des mots à double-fond : « Ce jour-là, rêvant d’une vie toujours recommencée, à l’image de l’amer ou de l’anis, ou du bitter, je me portais aux hublots d’un « bougnat » de hauts bords où j’ai un toit et une ardoise », etc. « Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole », disait Hugo. Marchons dans les calembours de Blondin : ça porte bonheur ! Et admirons le hasard – trop beau pour être vrai – du numéro de téléphone en travers de la braguette qui, dit joliment Blondin, « dénonce une vocation de call boy » ! On ne plaisante pas avec la plaisanterie ; chez Blondin, elle signe la profondeur. Dans la conclusion de son autoportrait, il écrit : « La vraie plaque sensible, c’est derrière ce front amplement dégarni qu’elle se tient. » La calvitie a mis sa menace à exécution.


*

 

Plus tard - il ne nous est pas possible de dire exactement quand -, Blondin se laisse pousser une barbe poivre et sel qu’il prend grand soin de ne pas tailler.


antoine-blondin-barbu.jpg 

 

Comme ça, il ressemble à Verlaine ou à un clochard céleste. Clochard, à demi ; céleste, absolument. Sa soûlographie, qui s’accentue, lui attire les faveurs des médias. Son œuvre intéresse moins les journalistes que son penchant pour la bouteille dont, quelques verres dans le nez, il leur parle avec douceur, le phrasé lent, l’œil pétillant. L’alcool était devenu son enseigne. Quand même, il était décevant : avec lui, pas de scandale à la Bukowski ou à la Gainsbourg. Dans son éternelle veste sport pied-de-poule beige largement (c’est le cas de le dire : il flottait dedans !) passée de mode, il ne se départait jamais d’un air digne, égal. A la fin, sa solitude s’accentua. L’alcool avait achevé d’user son foie et la patience de ses proches. Il partit le 7 juin 1991, à 69 ans. Grâce à Dieu – ou à Bacchus -, il aura abordé la vieillesse sans jamais avoir été un adulte. Avec ça, la sveltesse d’un éternel jeune homme.

« Je suis mince, mon œuvre aussi », aimait-il répéter. La postérité ne juge pas les œuvres au poids. L’œuvre mince de Blondin a tout de même du mal à se faire une place sous son soleil. Citez « Un singe en hiver » et l’on croira que vous parlez du film de Verneuil ou de sa récente transposition théâtrale avec Eddy Mitchell. Il est urgent de lire ou de relire Antoine Blondin pour qu’on dise : Mêm’ pas mort, Monsieur Jadis ! Toujours présent.

Partager cet article
Repost0
20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 07:15

- La longueur exagérée des cravates. Je parle de la longueur « standard », fixée aux environs d'1,50 m. Bien que mesurant 1,90m, je suis assez souvent dans l’obligation de passer une seconde fois, ou de me livrer à d'autres acrobaties, pour que ma cravate effleure le haut de mon pantalon. Autre solution : faire raccourcir ses cravates.

- L'absence d'ardillon de ceinture sur la plupart des pantalons PAP. Qu'est-ce que l'ardillon de ceinture ? C'est cette petite bride qui « surgit de la ceinture du pantalon » (Julien Scavini) dans laquelle se glisse un autre ardillon, celui de la boucle de ceinture.

- La folie du chichetaille basse des pantalons, longueur insuffisante des chemises et des vestes... Je l'ai suffisamment dit pour n'avoir pas besoin d'insister.

- L’absence, dans les voitures, d’un « espace » pour loger le parapluie. C'est peut-être un détail pour vous, mais, au pays du Chouan, ça veut dire beaucoup. 

- La dureté des pédales d’embrayage. Ca casse la chaussure ! Pas de problème, en revanche, pour écraser le champignon !

- La ceinture de sécurité. Combien de vestes lustrées et de chemises prématurément usées à cause d’elle ? Pourtant, quand j’évoque ce problème, j’ai l’impression étrange qu’il ne concerne que moi.

- La largeur de nos voitures. Deux logiques s'affrontent : celle des propriétaires de parkings urbains soucieux de rentabiliser à tout prix (... enfin, au prix le plus fort !) leur espace et celle des concepteurs de voitures en quête de plus d'habitabilité. Résultat : sur les parkings, les voitures se poussent des portes... au risque de se faire du mal puisque, autre bizarrerie actuelle, les carrosseries ne sont plus protégées ! 

- L’absence de portemanteau dans la plupart des cafés. Où mettre son manteau ? Sur une chaise, après l’avoir discrètement plié ? Sur ses genoux ? Sûrement pas, en tout cas, sur le dossier d’une chaise en s’en servant comme d’un cintre !

- L’impossibilité en province de se procurer de belles chaussettes. Les mi-bas sont quasi introuvables. Merci à l’internet et, bien sûr, aux Chaussettes rouges !

Le langage formaté des vendeurs : « sympa, cette veste » (…manquerait plus qu’elle morde !), et cette façon qu’ils ont de vous donner des conseils pour améliorer votre apparence alors que leur mise est là pour vous montrer ce qu’il ne faut pas faire. 

Partager cet article
Repost0
10 octobre 2014 5 10 /10 /octobre /2014 06:34

schnock-couv.jpg

 

Je vous ai conté une autre fois mes déboires avec Schnock.

Pour aller vite, un journaliste de cette revue m’a un jour contacté pour me demander des renseignements sur le sujet qu’il avait choisi de traiter. Je lui ai répondu du mieux que j’ai pu. L’article publié, je découvris non sans agacement qu’il était essentiellement composé d’extraits de ma réponse et d’articles de mon blog, le nom de celui-ci n’étant pas même cité, contrairement à la promesse qui m’avait été faite.

Mon billet de dépit n’est pas resté sans suite.

Très vite après sa publication, la rédactrice en chef de Schnock m’envoya un mail pour me présenter ses excuses et pour m’assurer que mon nom serait ajouté aux remerciements du prochain numéro. Elle me confie bientôt qu’elle aimerait me rencontrer et me propose dans la foulée d’écrire pour sa revue. Je ne dis pas oui, je ne dis pas non ; je dis que ma situation de provincial risque de compliquer les choses.

Deux semaines plus tard, je lui soumets à tout hasard une idée d’article. J'attends trois semaines sa réponse. Mon idée l’intéresse à condition que j’y apporte des modifications. Je lui dis que je n’ai pas attendu son avis pour écrire mon article (… trois semaines tout de même !) et qu’elle le trouvera en PJ.

Une semaine s’écoule. Elle finit par m’écrire et me promet de me contacter « d’ici vendredi ».

Vendredi arrive. Rien. Puis un autre vendredi, puis un troisième vendredi… Ce silence est lassant. Je décide de le rompre ; j’envoie à la rédactrice en chef oublieuse un message dans lequel j’essaie à peine de dissimuler mon impatience sous un peu d’humour : « Vous m’aviez promis une réponse " d’ici vendredi "… mais, prudemment, vous ne m’aviez précisé ni la semaine ni le mois ! »

La réponse, cette fois, ne se fait pas attendre. Il faudrait que j’allonge et que j’élargisse. Bien !

Quelques jours plus tard, je lui envoie une nouvelle version de mon texte dûment « élargie et allongée ».

Depuis – c’était il y a sept mois -, silence radio...

... Vous auriez raison de condamner mon attitude accommodante. Je confesse, dans cette histoire, m’être laissé aveugler par la vanité : la perspective de collaborer épisodiquement à Schnock n’était pas faite pour me déplaire. Pour cela, j’ai trop rapidement chassé de mon esprit une première indélicatesse. Me voilà doublement puni : le nom de mon blog n’a jamais été ajouté aux remerciements de la revue ; par ses négligences et son silence final, la rédactrice en chef m’a joliment humilié !

Mon article ne méritait peut-être pas d’être publié. Mais, au moins, j'aurais aimé qu’on me le dise.

Cette leçon valait bien que j’en fasse tout un fromage, non ?

Dans ses Mémoires, le chef chouan Jean Rohu raconte comment les nobles regardaient de haut les Chouans qui, comme lui, étaient d’extraction roturière. Un jour, Georges Cadoudal l’envoya porter une lettre au général d’Hervilly. « Je fus bien accueilli par ce général, écrit Rohu, qui me fit passer au salon, où l’on me servit à boire et à manger. (…) Deux messieurs entrèrent dans le salon et (…) l’un d’eux dit à l’autre : " - Qu’est-ce que cela ? – Un Chouan sans doute, répondit l’autre ; on ne voit que cela ici. " »

Les grands d’aujourd’hui ont changé d’état et de figure. Il en est qui hantent les salles de rédaction et les salons de mode... Ceux-là sont cool, mal rasés, mal coiffés, vous tutoient, vous appellent tout de suite par votre prénom… Mais leur mépris est sans mélange.

Partager cet article
Repost0
1 octobre 2014 3 01 /10 /octobre /2014 06:59

Chère jeune lectrice,

 

Vous m’avez écrit : « (…) j’avais pris en irritation le fait qu’on puisse nous définir à cause de nos vêtements – surtout, le fait qu’on ne puisse pas se taire, et qu’on soit obligé de donner des informations sur nous-mêmes en nous habillant ; bref, que la seule neutralité possible – la nudité – soit un engagement encore plus évident que le silence, qu’il n’y ait pas de non-langage possible. » Vos remarques m’ont troublé. L’enfer serait donc notre apparence, qui nous livre forcément en pâture au regard et au jugement d’autrui.

La nudité n’est certes pas la solution, n’en déplaise à quelques naturistes naïfs qui recréent, hors de portée des voyeurs, d’impossibles édens. Des camps ! Il fut un temps très lointain où, c'est vrai, la nudité était belle : « L’homme et sa femme étaient nus, sans se faire mutuellement honte », nous dit Le Livre. La suite est désolante. J’ai beau la savoir inévitable, à chaque fois que je lis ce récit, j’espère qu’un miracle va, là – sous mes yeux -, la changer. Mais non. La femme et l’homme mangent de l’arbre ; ils découvrent, piteux, qu’ils sont nus ; Dieu châtie les inconséquents, et, comme saisi de pitié, il s’improvise tailleur et les revêt de « tuniques de peau ».

Voilà comment s’habiller devint le propre de l’homme. Les animaux, impeccables dans cette très regrettable affaire, échappèrent logiquement au courroux divin (… hormis le serpent, ce Judas, que Dieu condamna à ramper) ! A eux l’innocence de la vie à poil ! Qui veut humilier un animal n’a qu’à le déguiser en homme. Voyez les singes qu’au cirque on costume pour faire rire. Mais qui veut humilier un homme l’oblige à se dévêtir – à se mettre en tenue d’Adam !

Exit, donc, la nudité. Face à cette maudite nécessité de se vêtir, quelle attitude alors adopter ? La suite de votre message en propose une. Vous dites, je vous cite : « Il m’arrivait de rechercher le style le plus banal, le plus neutre, le plus minimal qui soit. » Votre choix a sa cohérence, mais c’est le choix d’un(e) vaincu(e) ! A l’autre extrémité, il y a l’orgueilleux qui renverse la malédiction à son avantage exclusif. Par l’extravagance de ses tenues, celui-là va au-devant du jugement de ses semblables. Ses fanfreluches sont son armure. Admirez-le, il fera semblant de ne pas vous voir ; moquez-le, il vous plaindra de le jalouser. On pourrait aussi concevoir une solution rationnelle : puisque s’habiller est notre lot commun, faisons-le tous de la même manière ! Au vrai, l’idée eut déjà cours ; elle fut même mise en œuvre à des époques et sous des climats divers à des fins plus ou moins louables. Pas de différences, pas de jugement, serait-on enclin à penser. Mais c’est faux. Habillés pareillement, Mao et Chou En-Laï sont tout de même dissemblables : le second seul est élégant.

 

mao.jpgMao Tse Toung


Chou-en-lai.jpgChou En-Laï

 

On peut aussi suivre la mode. La mode rassure et divertit. Ne brille-t-elle pas pour vous, qui êtes si jeune, d’un éclat invincible ? « Il vaut mieux suivre la mode, même si elle est laide, disait Chanel. S’en éloigner, c’est devenir aussitôt un personnage comique. » Quoique je ne sois pas bien sûr que toutes les modes nous préservent du ridicule !... Autre moyen dont nous disposons et qui se situe, en quelque sorte, à l’opposé du « non-langage » dont vous rêvez : charger son vêtement de parler pour soi. Le choisir en fonction de son sens, réel ou supposé. Daniel Halévy, par exemple, portait toujours une veste de velours marron. « Le velours, expliqua-t-il un jour à Roger Martin du Gard, est ce qu’il y a de commun aux destinées humaines. Ces destinées sont différentes et j’estime ces différences, je les aime même, mais il y a une souche commune qui est la vie laborieuse, artisanale, dont le vêtement de velours que portent le garde-chasse, le chasseur, le charpentier, peut être tenu pour le signe. » A tant faire que d’être jugé, autant que ça le soit pour une bonne raison, non ? Ayons soin toutefois que le signe n’obscurcisse pas trop la chose signifiée ! Henri de Régnier, expert en symboles, ne se trompa pas, en tout cas, sur le sens de la tenue de Halévy : « Il y a chez ce descendant des Bréguet de l’artisan, écrivit-il dans un de ses Cahiers. Je le revois sur la plage de La Baule, avec sa barbe de prolétaire, son complet de velours, son caban à la Péguy, esprit distingué d’ailleurs. »

Se vêtir, c’est choisir, et choisir, c’est s’exposer. Cette évidence peut irriter, mais à quoi bon perdre son énergie à pleurer sur la fatalité ? Moi, ma façon de faire avec tient en quelques mots… et se répète d'un billet à l'autre de ce blog dont je sais que vous avez fait récemment la découverte ; c’est de m’inventer, dans le respect des traditions et d’autrui, une silhouette personnelle et avantageuse (… enfin, autant que je peux en juger et que la chose est possible !) qui me permette, sans honte, de me regarder dans la glace. Dit plus brièvement encore – et même d’un mot, pris dans le sens où Balzac l’entendait : c’est de m’habiller !

« La brute se couvre, le sot se pare, l’homme élégant s’habille ».

… Et c’est ainsi, chère jeune lectrice, que la vie élégante est grande et que Balzac est son prophète !

Et moi je suis votre ami.

 

Le Chouan

Partager cet article
Repost0
22 septembre 2014 1 22 /09 /septembre /2014 07:09

 

« Enfin la maladie, qui rend tout plus sordide,
Et le corps fatigué qui se mêle à la terre,
Le corps jamais aimé qui s’éteint sans mystère »

Michel Houellebecq, La Poursuite du bonheur

 

Fin août, Arte a diffusé un téléfilm de Guillaume Nicloux intitulé L’Enlèvement de Michel Houellebecq. L’œuvre est étrange et inclassable ; elle m’est surtout apparue poignante en raison de la dégradation physique de son acteur principal, Michel Houellebecq lui-même.

Son visage est émacié, ses yeux sont creux, sa mâchoire supérieure n’a plus de dents (1), ses membres sont grêles. Sa fragilité lui donne quelque chose d’un enfant. Il parle bas, quoiqu’à de rares moments sa voix s’élève. On s’étonne alors de son coffre et de l’énergie que recèle encore ce pauvre corps à la dérive.

Ses portraits les plus récents font peur. En comparaison, le Houellebecq du film a presque l’air en bonne santé. « Il était dans un état de délabrement qui effrayait, l’un des hommes les plus vieux que j’aie jamais vus. » Ces lignes de Georges Bataille qui évoquent Antonin Artaud à son retour de Rodez s’adaptent étonnamment bien à celui qu’est devenu Houellebecq. Je le soupçonne d’ailleurs de cultiver la ressemblance en jouant, notamment, de ses cheveux, qu’il laisse longs.


 hoellebecq-artaud.jpgMichel Houellebecq, août 2014    

 

artaud-houellebecq.jpgAntonin Artaud

 

Dans plusieurs scènes du film, Michel Houellebecq pratique l’autodérision : la scène où on le voit s’initier au fight est hilarante, comme celle où, positivement imbibé, il se met en colère, le visage dissimulé derrière un masque de carnaval…

La dérision et l’autodérision ont envahi nos modes de vie. L’art contemporain en est plein. On déboulonne les statues, nos idoles se déboutonnent. On aime à se rappeler avec Montaigne que, si haut qu’on soit assis, ce n’est jamais que « sur son cul » et, avec la génétique, qu’on diffère à peine du singe. On se vautre dans le physiologique. La porte des toilettes, qu’on ne ferme plus, laisse voir le seul trône à la mesure de l’homme moderne.

Justement, à un moment du film, Michel Houellebecq, soumis à des problèmes gastriques, demande à ses geôliers la permission de s’ « y » rendre. Je crains que la caméra ne l’ « y » accompagne comme – ça me revient d'un coup – elle « y » accompagnait un Hervé Guibert moribond dans une bizarrerie filmique antérieure, La Pudeur et l’Impudeur. Mais non. Ce trash nous sera épargné.

La déchéance qui se met complaisamment en scène n’éveille ordinairement en moi aucune pitié. Les pitreries alcoolisées d’un Gainsbourg, par exemple, avaient le don de m’agacer. Pour être d’un autre ordre, l’autodérision dont fait preuve Houellebecq dans ce film n’en est pas moins déplacée ou – pour utiliser une épithète qu’il affectionne – déplaisante. Malgré tout, je ne peux m’empêcher d’y voir aussi, par-delà l’indignité qu’elle révèle, l’expression d’une profonde – et touchante - détresse.

A un autre moment du film, à l'un de ses geôliers qui l’interroge sur son éventuelle peur de mourir, Houellebecq répond que « c’est suffisant », autrement dit, pour citer Hugo, qu’il a bien assez vécu. Tout à coup, j'ai lu - ou cru lire -  en Michel Houellebecq comme dans un de ses livres ouverts ! A l'heure de l'hédonisme et du corps sain triomphants, cette vie qui confesse sa lassitude et ce corps qui expose sa misère sont notre mauvaise conscience. Le corps ruiné de Michel Houellebecq anéantit nos illusions (2).

_______________________________________________________________________________
1. "Sans dents", Michel Houellebecq, mais millionnaire !
2. Sur Houellebecq, Houellebecq. L'air de rien.

Partager cet article
Repost0
17 septembre 2014 3 17 /09 /septembre /2014 06:20

J’ai quelquefois évoqué ces archives photographiques, filmiques… qui témoignent de modes de vie oubliés. Le document que je vous propose aujourd'hui (merci au lecteur qui me l’a fait découvrir) ne manquera pas d’intéresser ceux qui, comme moi, aiment voyager dans le temps. Les voyages dans le passé sont toujours plus instructifs que ceux que les Futuroscopes du Poitou ou d’ailleurs sont censés nous faire faire dans l’autre sens. Ils nous obligent à ouvrir les yeux sur notre très imparfait présent ; et les yeux ne restent secs que si les cœurs le sont aussi.

André de la Varre a filmé Paris dans les années 60. En regardant son film, mes amis parisiens se sentiront en leur ville comme en terre lointaine. Les femmes portent des robes et les hommes des costumes. On s’habillait alors pour sortir – entendez : non pas seulement pour se rendre dans le monde mais dès qu’on passait le seuil de sa maison : respect de soi et respect des autres ; sens des convenances et, dans les meilleurs cas, recherche de l’élégance. Le vêtement était un indicateur social. Les néons ne défiguraient pas les façades. Les marques de signalisation se faisaient discrètes et n’avaient pas encore transformé la ville en un gigantesque jeu de piste. Ah ! nos panneaux, potelets, marquages au sol, feux aériens !... Une femme voilée traverse l’écran : c'est une religieuse.

Certains se lamenteront de la saleté de nombreux bâtiments ; d’autres, au contraire, se réjouiront que, pas encore « blanchis », ils n’aient pas l’air – selon la formule de Morand – d’être « en carton ».

Un film me revient en mémoire : il s’agit des Belles de nuit de René Clair.


rene-clair.jpgLe très élégant René Clair

 

On y voit un jeune professeur qui, insatisfait de sa vie, remonte le passé à la faveur d’une succession de rêves. Chaque rêve se conclut par le retour d’un vieillard – toujours incarné par le même acteur – qui regrette le bon vieux temps. La satire se développe avec esprit : le film est, je l’ai dit, signé de René Clair ! Malgré tout, je me range du côté du vieillard qui pleure la fonte des neiges d’antan… Certains vieillards qu’on aperçoit dans le film d’André de la Varre me font penser à celui de René Clair : si André de la Varre les avait fait parler, ils auraient sans doute proclamé leur haine de ces années 60 que, par contraste avec les nôtres, nous jugeons si séduisantes. De même, je comprends intimement Julien Green quand, en 1973, il écrit dans Mille chemins ouverts : « Quand, dans mes courses à travers Paris, je me sentais las, je m’asseyais sur un banc et je lisais Job. Il me semble que, maintenant, je ferais encore de même, si l’on pouvait lire dans les rues de Paris d’aujourd’hui. Or, il se trouva qu’un jour je choisis de m’asseoir sur un banc du boulevard de la Madeleine. En 1919, on pouvait faire cela. Les voitures ne me gênaient guère. Elles étaient infiniment moins nombreuses et l’air n’était pas encore empoisonné. »

Le regret du passé est, certes, un lieu commun. Mais existe-t-il un sentiment profondément enraciné dans l’âme humaine qui n’en soit pas devenu un ? « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel », constatait Baudelaire. Passé un certain âge, nous sommes tous le cygne de son poème qui, évadé de sa cage, pleure son « beau lac natal ». Le passé est notre patrie. Il constitue notre identité.

Ce document nous invite à méditer sur le temps qui passe. Est-elle morte, est-elle encore vivante la jeune femme qui prend le soleil à une terrasse de café ? Les massifs de fleurs sont bien tenus. Les grandes eaux nettoient le bitume après le marché. Le boucher vend sa viande fraîche, la fleuriste ses fleurs du jour. Efforts de l’homme quotidien pour se tenir debout… Les statues de pierre s’offrent en énigmes à qui les regarde. La Joconde fait ce qu’elle sait faire de mieux : elle sourit.

Qui ne serait ému par ces ombres qui défilent dans un silence spectral, effacées par le noir final ? En attendant le désastre, les têtes de mort ont bonne mine !...

« Voyez ces générations d’hommes sur la terre comme les feuilles sur les arbres qui conservent toujours leurs feuilles. La terre porte les humains comme des feuilles. Elle est pleine d’hommes qui se succèdent. Les uns poussent tandis que d’autres meurent. Cet arbre là non plus ne dépouillera jamais son vert manteau. Regarde dessous, tu marches sur un tapis de feuilles mortes. » Saint Augustin.

Partager cet article
Repost0
10 septembre 2014 3 10 /09 /septembre /2014 07:18

Ces dernières semaines, deux images de François Hollande ont frappé la rétine et les esprits.

La première a été publiée par Voici dans son édition du 15 août. Photo volée, qui montre un François Hollande vêtu seulement d’un short, assis en Bouddha sur une terrasse, décoiffé, le corps luisant de crème solaire et de transpiration. Photo ignoble, qui, à juste titre, a révolté plus d’un adversaire de notre président. Carl Meeus du Figaro a pertinemment tweeté : « Les photos de Voici sont horribles pour le chef de l’Etat. Quel autre président a été traité ou est traité de cette façon ? »

Quelque temps auparavant, un reportage de Paris-Match consacré à Nicolas Sarkozy et à sa femme m’avait amusé : miraculeusement, la différence de taille entre l’un et l’autre n’était visible sur aucune photo !


sarko-carla.jpg

 

Vous me direz que Paris-Match n’est pas Voici. Paris-Match aime à sublimer, via photoshop s’il le faut, les grands de ce monde… même quand ils sont petits et replets ! On se souvient des bourrelets gommés du même Sarkozy pagayant presque nu quelque part aux Etats-Unis en août 2007.


sarkozy-bourrelet.jpg

 

Ces retouches m’avaient autant choqué que l’exhibition – volontaire celle-là – de notre président d’alors. Qui s’expose prend des risques. La révélation du trucage fit rire aux dépens des truqueurs. Qu’allait-il faire dans cette galère (… ce canoë) ? Le retour de bâton (… de pagaie) était bien mérité.

Les propos par lesquels la rédactrice en chef de Voici a justifié la publication de l’affreux cliché de François Hollande (j’y reviens !) méritent d’être cités : « Ce sont des photos de vacances banales, qui n’ont rien de dégradant, il n’est pas à quatre pattes par terre. » Une photo de vacances de la sorte, quelle personne douée d’un minimum de délicatesse ne l’enverrait à la poubelle ? La suite de la citation met à nu la qualité morale du personnage. Point besoin d’insister.

Un argument en faveur de la publication était néanmoins recevable : on pouvait avancer que François Hollande l’avait bien cherché ; qu’il était bien placé pour savoir qu’il n’était nulle part à l’abri d’un téléobjectif de paparazzi. Contre ce genre d’engin, nulle crème solaire écran total… nul casque intégral ne sont efficaces. La solution, c’est d’être sage. De mettre entre parenthèses, le temps du quinquennat, bains de soleil... et de volupté.

La seconde image est plus récente. Elle date du 25 août dernier. François Hollande, à l’Ile de Sein, prononce un discours à l’occasion du 70e anniversaire de la Libération. Les éléments sont déchaînés. Un vrai temps de chien. Un vrai temps de Sein. Le président, détrempé, déroule coûte que coûte son discours. Constellés de gouttelettes, les verres de ses lunettes à la Mik Ezdanitoff ont l’air brisé.


hollande-sein.jpg

 

Goguenards, des journalistes ressortent pour l’occasion – l’occasion est trop belle ! - le dicton des marins : « Qui voit Sein voit sa fin. » Visiblement pris de court, les communicants de l’Elysée tenteront cette explication : « Ce matin à l’ile de Sein, le président a fait face aux conditions climatiques difficiles pour honorer la mémoire des 128 résistants Sénans qui ont combattu de 1940 à 1945 par tous les temps et sur tous les terrains. »

Cette justification emphatique et d'assez mauvais goût ne fit qu’aggraver les choses. Le mal était fait, relayé et amplifié par les médias étrangers. Chercher à donner du sens en liant le fond et la forme n’était pourtant pas idiot. Quand, en décembre 1964, André Malraux prononça son fameux éloge de Jean Moulin, le froid pinçait, le vent grondait. Mais sa voix, mais ses paroles, inspirées, épiques, se mêlèrent au vent, s’accordèrent au froid. Tableau saisissant, animé par le verbe magique d’un poète à la hauteur de l’événement – à la hauteur des éléments.


malraux-jean-moulin.jpg    

 

Mettez de Gaulle à la place de Hollande - même lieu, même action... même temps -, et l'image fait légende. Mystère du charisme, pouvoir d'un ton, force des mots.

A Sein, François Hollande réussit le prodige de buter plusieurs fois sur des mots aussi plats que le relief de l’île ! Il avait ce maintien raide, maintenant habituel, qui lui tient lieu de majesté. La pluie ? A force d’en recevoir depuis le premier jour de son quinquennat des hectolitres sur le paletot, il a développé contre elle une résistance surhumaine. Je le soupçonne même d'avoir fini par l'aimer. Ainsi s'expliquerait son refus d'être protégé. Oui, sous le déluge de Sein, il faut imaginer Hollande heureux !

... Valéry Giscard d'Estaing restera dans l'histoire comme le plus jeune président de la Ve République; François Hollande, le pluvieux.

Partager cet article
Repost0
6 septembre 2014 6 06 /09 /septembre /2014 07:16

 

cousu-main.jpgCrédit : Marie-Amélie Tondu

 

J’ai regardé samedi dernier le premier épisode de Cousu main sur M6, émission de télé-réalité mettant en concurrence des couturiers amateurs sous l’œil d’un jury composé d’Amparo Lellouche et de Julien Scavini.

Je n’ai pas été emballé. L’émission souffre d’une absence de rythme. 90 mn pour suivre la confection d’une simple jupe et la « customisation » d’un tee-shirt, c’est long. Quoi de moins spectaculaire et télégénique que le travail de couture ? Travail minutieux, patient et, à bien des égards, ingrat. L’accompagnement sonore censé dynamiser l’ensemble devient très vite insupportable… comme la voix – toujours plus haute, toujours plus forte – de la jolie présentatrice.

Le niveau très hétérogène des candidats est une autre faiblesse. On sait – on croit savoir ? – dès le premier épisode qui seront les finalistes. Les meilleures couturières (au féminin !) ne sont ni les plus pittoresques ni les plus sûres d'elles. Un « biker » nommé Jésus  - rigolard et plutôt rigolo – est là pour faire « le show »; m’est d’avis qu’il restera plus longtemps que ses capacités en couture ne le justifieraient !

Julien Scavini tire son épingle du jeu. Sa participation à une émission de « télé-réalité » m’avait inquiété. Je m’en étais ouvert à lui ; il m’avait rassuré. Pour sûr, son physique proustien, ses costumes impeccables et son nœud papillon détonnent ! Mais c’est tant mieux ! Prions Dieu que Jésus ne le convertisse pas à son look ! Phénomène amusant : à chaque fois que la silhouette de notre ami se dessinait sur l’écran, je croyais voir une de ses figurines qu’un trucage aurait animée ! J’ai particulièrement apprécié la façon dont il délivre ses avis aux candidats : avec mesure… avec grande mesure ! Un dosage très réussi de bienveillance et de fermeté.

Second épisode ce soir, sur M6, à 18 heures.

Partager cet article
Repost0
3 septembre 2014 3 03 /09 /septembre /2014 07:17

Pour ouvrir l’année, ce billet sans conséquence… histoire de me mettre en jambes.

Les mois de juin-juillet ont été riches en grandes manifestations sportives aptes à aiguiser notre fibre patriotique. Il y eut la coupe du monde de football et le Tour de France. J’ai suivi la première plus que le second. Le Tour de France m’intéressait lorsque j’étais enfant. J’écoutais chaque été sa retransmission sur mon petit transistor. Poulidor était mon champion – héros sympathique, modeste, insubmersible. Poulidor et son physique de bon fils, et son accent rassurant, et son nom à surnom(s). On imagine ce qu’un Desnos aurait fait d’un nom pareil :

Pou lit dort
Poulie d’or
Poule y dort…

« Vas-y Poupou ! » criaient les foules – qui ne pouvaient pas en dire autant avec Anquetil. Question d’oreille. Poulidor, pour un cycliste, un nom en or.

Antoine Blondin, maître du raccourci, emballa le tout dans un mot-valise : la « Poupoularité ».

Sur le chapitre des patronymes, l’avantage, aujourd’hui, va aux cyclistes. La plupart de nos footballeurs ont des noms bizarres. Je ne suis jamais bien sûr, par exemple, de prononcer correctement celui de notre gardien de but, « Lloris ». Côté cyclistes, en revanche, cette année nous a réservé une belle surprise avec le dénommé Tony Gallopin. Son prénom en forme de diminutif d’origine étrangère révèle la modestie du milieu ; il le rend d’emblée sympathique auprès du public du Tour de France. Son nom, surtout, est merveilleux. Un « Gallopin » ne peut pas être un méchant homme ! Gallopin perpétue la tradition des cyclistes à noms cocasses : Petit-Breton, Barbotin et, bien sûr, Poulidor.

Ce Tour 2014 nous gratifia aussi d'un Pinot. A notre palmarès des patronymes, nous le placerons juste au-dessous de Gallopin. Pinot, P-i-n-o-t – non « Pinault » comme le milliardaire, mais « Pinot » comme le simple flic !

A quand dans l’équipe de France de football un nouveau Platini (… et pas seulement pour une histoire de nom) ? Platini, pour un footballeur, un nom… en platine !

Les choses se gâtent quand on aborde le chapitre des apparences. Chez les uns comme chez les autres, les apparences sont douteuses… Pauvres cyclistes, qu’on oblige à revêtir des combinaisons aérodynamiques moulantes, multicolores et recouvertes jusque sur les fesses de noms de bienfaiteurs !... Un casque et des lunettes non moins aérodynamiques finissent de les faire ressembler à de drôles d’oiseaux tombés de nids extraterrestres ! La responsabilité des footballeurs est, elle, directement engagée. Personne ne les oblige à s’enlaidir comme ils le font. « Brésil 2014 » fut aussi le festival du tatouage monstrueux et, du point de vue capillaire, la coupe de l’immonde ! Sur le terrain du mauvais goût, aucune équipe, je crois, ne fit jeu égal avec la nôtre.

 

debuchy.jpgDebuchy

 

giroud-benzema.jpgGiroud et Benzema

 

pogba.jpgPogba

 

griezmann.jpgGriezmann

 

Notre maillot, pourtant, avait plutôt belle allure – d’un beau bleu nuit, cintré comme il faut, et agrémenté d’un mignon col Claudine immaculé, censé rappeler le maillot de l’équipe de 1958.

Si j’avais un conseil à donner à l’un de nos footballeurs soucieux de se singulariser, ce serait celui-ci : « Laissez votre peau tranquille ; coiffez-vous correctement ; glissez plutôt votre maillot dans votre short à la façon de vos aînés. Ce simple geste attirera l’attention sur vous et suscitera des imitateurs. »

Les excentricités cutanées et capillaires des footballeurs rappellent celles des héros de la télé-réalité. C’est dire. A côté, les audaces timides des cyclistes ont quelque chose de rafraîchissant : une petite boucle d’oreille par-ci, un minuscule tatouage par-là…

Chaque étape du Tour se termine par un rituel désuet à souhait : la remise des maillots. La bonne grâce avec laquelle les cyclistes s’y plient est touchante. Imagine-t-on l’aimable Benzema, revêtu d’un maillot à pois, sourire entre deux hôtesses très typées miss-du-coin, un petit bouquet à la main ?

Le sort, c’est connu, ne manque pas d’ironie. A quoi tenait, naguère, la popularité de Jean-Pierre Papin ? A son talent, bien sûr, mais aussi à son physique, à son sourire à la Bourvil, et, même, à son nom. Un nom, un sourire, un physique… de cycliste !

Entre la simplicité populaire des cyclistes et le narcissisme puéril des footballeurs, mon cœur ne balance pas. 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2014 3 16 /07 /juillet /2014 07:37

chouan-jpg

 

En guise d’au revoir, ce magnifique texte de La Bruyère :

« Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler. »

Souhaitons-nous donc, pendant nos vacances respectives, de beaucoup… travailler !

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le chouan des villes
  • : L'élégance au masculin : réflexion(s) - conseils - partis pris.
  • Contact

Recherche

Me contacter

lechouandesvilles{at}gmail.com

Liens Amis

Catégories