Antoine Blondin...
En 1950, Roger Nimier publie Le Hussard bleu. En 1952, le critique Bernard Frank, dans un article resté fameux des Temps modernes, appelle « Hussards » trois jeunes écrivains remuants, Roger Nimier, Jacques Laurent et Antoine Blondin. Ces hussards bleus de la République des lettres pratiquaient la désinvolture comme un bel art. Au vrai, pas du tout républicains eux-mêmes ! Un an plus tard, Michel Déon, qui fut le secrétaire de Maurras, les rejoindra. Ces quatre-là ont en commun au moins deux choses : le style et la séduction. En ces années, Blondin pouvait encore espérer que l’alcool, dont il abusait déjà, n’abîmerait jamais son visage fin et romantique. En 1952, lorsqu’il publie Les Enfants du bon Dieu, les grands yeux mélancoliques semblent appeler au secours. Et la calvitie menace :
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1972. Voilà deux ans que Blondin a publié Monsieur Jadis ou l’école du soir. Son confrère Michel Tournier, passionné de photographie, a une idée originale : demander à son ami le photographe Edouard Boubat de portraiturer des écrivains, à charge pour ceux-ci d’écrire sur leur visage. Cela donnera un curieux livre, intitulé Miroirs, aux éditions Denoël. Antoine Blondin est un des quatre-vingt-trois écrivains à s’être prêtés au jeu. Voici son portrait photographique :
Quant au portrait de l’écrivain par lui-même, on voudrait le citer en entier. La verve de Blondin s’y donne à plein, et son amour des calembours et des mots à double-fond : « Ce jour-là, rêvant d’une vie toujours recommencée, à l’image de l’amer ou de l’anis, ou du bitter, je me portais aux hublots d’un « bougnat » de hauts bords où j’ai un toit et une ardoise », etc. « Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole », disait Hugo. Marchons dans les calembours de Blondin : ça porte bonheur ! Et admirons le hasard – trop beau pour être vrai – du numéro de téléphone en travers de la braguette qui, dit joliment Blondin, « dénonce une vocation de call boy » ! On ne plaisante pas avec la plaisanterie ; chez Blondin, elle signe la profondeur. Dans la conclusion de son autoportrait, il écrit : « La vraie plaque sensible, c’est derrière ce front amplement dégarni qu’elle se tient. » La calvitie a mis sa menace à exécution.
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Plus tard - il ne nous est pas possible de dire exactement quand -, Blondin se laisse pousser une barbe poivre et sel qu’il prend grand soin de ne pas tailler.
Comme ça, il ressemble à Verlaine ou à un clochard céleste. Clochard, à demi ; céleste, absolument. Sa soûlographie, qui s’accentue, lui attire les faveurs des médias. Son œuvre intéresse moins les journalistes que son penchant pour la bouteille dont, quelques verres dans le nez, il leur parle avec douceur, le phrasé lent, l’œil pétillant. L’alcool était devenu son enseigne. Quand même, il était décevant : avec lui, pas de scandale à la Bukowski ou à la Gainsbourg. Dans son éternelle veste sport pied-de-poule beige largement (c’est le cas de le dire : il flottait dedans !) passée de mode, il ne se départait jamais d’un air digne, égal. A la fin, sa solitude s’accentua. L’alcool avait achevé d’user son foie et la patience de ses proches. Il partit le 7 juin 1991, à 69 ans. Grâce à Dieu – ou à Bacchus -, il aura abordé la vieillesse sans jamais avoir été un adulte. Avec ça, la sveltesse d’un éternel jeune homme.
« Je suis mince, mon œuvre aussi », aimait-il répéter. La postérité ne juge pas les œuvres au poids. L’œuvre mince de Blondin a tout de même du mal à se faire une place sous son soleil. Citez « Un singe en hiver » et l’on croira que vous parlez du film de Verneuil ou de sa récente transposition théâtrale avec Eddy Mitchell. Il est urgent de lire ou de relire Antoine Blondin pour qu’on dise : Mêm’ pas mort, Monsieur Jadis ! Toujours présent.