Jean Gabin (1904-1976)
Avec Annie Girardot dans Le Rouge est mis
Il mériterait à lui tout seul un billet. Philippe Noiret écrit dans ses mémoires : « Jean Gabin (…) était d’une élégance parfaite. Qu’il fût gangster, ouvrier ou grand bourgeois, il était toujours vêtu avec un grand raffinement (…). Nous n’en avons jamais parlé ensemble, mais il aimait cela, c’était visible. Il portait par exemple des pardessus en poil de chameau absolument somptueux, avec des épaules pas du tout marquées, un grand pli dans le dos et une martingale (1).» C’est un manteau de ce genre qu’il porte dans Razzia sur la chnouf. Noiret a souvent dit que le choix du costume était essentiel pour l’aider à entrer dans un rôle. Cette conviction, il se l'est peut-être faite en examinant attentivement les tenues de Gabin à l’écran : rôle de jeune prolétaire des années trente dans Le Jour se lève – choix du blouson de cuir ; rôle de « beau mec » dans Pépé le Moko – choix du foulard et du chapeau à bord très baissé ; rôle d’artiste peintre dans La Traversée de Paris – choix du foulard glissé dans une chemise aux pointes de col relevées ; rôle d’ancien président du Conseil dans Le Président – choix du col cassé ; rôle de retraité de banlieue dans Le Chat – choix du polo boutonné jusqu’au cou et de derbies à semelle de crêpe… Ses personnages ainsi campés – un détail, un accessoire souvent suffisaient -, il n’avait plus qu’à dérouler son jeu. Son métier et son talent faisaient le reste.
Son intérêt pour le vêtement ne se limitait pas à son activité professionnelle. A la ville aussi, il faisait attention. Le comédien Albert Préjean, qui fut un ami de jeunesse, disait qu'il « avait inventé la tenue débraillée mais chic ». « Il descendait, ajoutait-il, la rue Francoeur en pantalon sport ou chemise à col ouvert, les mains dans les poches, la "gapette" rabattue sur le front, "roulant des mécaniques" (...) On nous appelait les rois de la casquette car nous en portions tout le temps, à petits carreaux, bien plates, un peu à la mode voyou. Lui, d'ailleurs, allait choisir ses tissus dans les meilleurs magasins et se les faisait couper sur mesure (2). »
Plus tard, il revêtit des costumes sobres de bourgeois provenant de Camps de Luca. Coupe impeccable. Epaules larges – façon années 50 – et tombantes. Ses tenues de loisir oscillaient entre le gentleman-farmer et l’habitué des champs de course. Il resta jusqu'à la fin "le roi de la gapette", qu'il portait d’une façon très personnelle, reconnaissable entre toutes.
Fernand Gravey (1905-1970)
Fernand Gravey, "roi de l'élégance masculine". Source : lachasseauxerreurs.blog
Un comédien aujourd’hui bien oublié… Il « incarn(a) pendant près de trente ans, dit Farid Chenoune, l’idéal du monsieur bien habillé pour nombre de Français (3). » Jean-Claude Brialy précise de son côté : « C’était un acteur typique de l’avant-guerre, très distingué, très anglais, une copie de Cary Grant (4), avec de petites moustaches et des sourcils qui se levaient à la moindre occasion. Il était très élégant, avait beaucoup d’esprit, portant admirablement le costume et se servant naturellement de la canne et du monocle devant la caméra (5). » Il arbore ces accessoires dans La Maison des bois de Maurice Pialat, un feuilleton télévisé qui est peut-être le chef d’œuvre du réalisateur. Fernand Gravey y incarne avec beaucoup de vraisemblance un marquis très vieille France :
Deux anecdotes : Gravey aimait les femmes. La sienne avait beau le tenir – il savait s’offrir du bon temps. On raconte que, passé un certain âge, il ne dansait jamais sans avoir pris la précaution de glisser une coque à l’endroit que vous imaginez.
Avec la belle (et oubliée) Sylva Koscina. Source : encinematheque.net
Ses héritiers vendirent sa riche garde-robe aux enchères. Je me souviens d’avoir entendu une personnalité raconter qu’elle s’en était porté acquéreur, mais je suis incapable de me rappeler son nom.
Paul Meurisse (1912-1979)
Un majordome très stylé ! Source : toutleciné.com
Paulette Dubost en parle ainsi dans ses mémoires : « (Il) créait un climat spécial : sur son quant-à-soi, très raide, amidonné, il était un bon comédien, oui, mais je n’aurais pas aimé me retrouver dans ses bras. C’était un personnage plus qu’un homme (6). » J’oserais ajouter : c’était un personnage avant d’être un comédien. Son naturel étant la pose – comme aurait dit Corbière -, il échappe aux critères traditionnels de jugement. Son rôle, il se l’était composé jusque dans les moindres détails : diction, gestuelle et, bien sûr, tenue – tout était étudié, répété, concerté. Il jouait à jouer, ce qui ravissait le spectateur amateur d’ironie. Les parodies lui allaient comme un gant – voir la série des Monocle ou encore La Grosse caisse.
La Grosse caisse. Source : toutleciné.com
Comme tout le monde, il avait ses moments d'égarement. Sur ce cliché de Marcel Thomas, pris sur le vif dans une rue de Paris, on dirait un mafieux. Voyez son col de chemise… Une plaisanterie, il faut l'espérer. Tout de même, cette pointe (ou plutôt ces deux pointes) de fantaisie blessent les amateurs d'élégance que nous sommes.
Source : Chasseur d'étoiles , Marcel Thomas, Ed. du Chêne
______________________________________________________________________________________________1. Mémoire 1. Mémoire cavalière, Philippe Noiret, Robert Laffont.
2. Paris Match, n° 1436, déc. 1976.
3. Des modes et des hommes, Farid Chenoune, Flammarion.
4.... J'aurais plutôt dit Clark Gable.
5. Le Ruisseau des singes, Jean-Claude Brialy, Robert Laffont.
6. C'est court, la vie, Paulette Dubost, Flammarion.