« Les ruines d’une maison / Se peuvent réparer ; que n’est cet avantage / Pour les ruines du visage ! » se lamentait La Fontaine. S’il revenait aujourd’hui, il écrirait autrement les choses : la chirurgie esthétique est passée par là, qui a vieilli – ridé – son propos. Lifting, botox font des miracles – ou sont censés en faire – et font croire aux plus naïfs que le vieux rêve de la jeunesse éternelle est enfin à portée de main. Les femmes sont d’abord concernées, qui se voudraient toujours fraîches – mais les aimons-nous flétries ? Elles succombent souvent mais assument rarement. J’ai entendu – de mes oreilles entendu – Arielle Dombasle dire que, non, elle n’avait pas eu recours à la chirurgie esthétique, mais que si, un jour, elle en éprouvait le besoin, bien sûr, elle n’hésiterait pas. Combien de bouches collagénées nous ont servi de semblables mensonges ? Les rohmériens – dont je suis – savent à quoi ressemblait Arielle « avant ».
Arielle Dombasle, Pauline à la plage
Il y a aussi celles qui vous disent – le visage incroyablement lisse alors qu’elles ont allègrement dépassé la cinquantaine - qu’elles aiment vieillir et que pour rien au monde elles n’accepteraient qu’on touche à leurs rides ! Un exemple ? Victoria Abril, 53 ans, récemment interrogée sur le sujet à l'occasion de la sortie du film Mince alors !
Pour beaucoup d’hommes aussi, les marques du temps sont insupportables. La chose n’est pas nouvelle. Dans son Dictionnaire des bizarres, Jean-Claude Carrière présente Baculard d’Arnaud, homme de lettres du XVIIIe siècle, comme une sorte de « précurseur de la chirurgie esthétique » : « (…) il avait le visage chauve et très ridé. Chaque matin, des deux mains, il remontait vigoureusement ses rides jusqu’au sommet de sa tête et, comme une femme fait de son chignon, il les nouait avec un ruban (1).» Pour l’homme moderne, l’apparence est une préoccupation majeure. La confusion des genres a levé des tabous. Comme le dit le titre d’un film de 1998, L’homme est une femme comme une autre. Il use de cosmétiques et fréquente des instituts de beauté maintenant faits pour lui. Les plus hardis sonnent à la porte des chirurgiens esthétiques. Mais quand il s’agit d’assumer, leurs pudeurs sont… toutes féminines. Quand, par exemple, Mireille Dumas demande au réalisateur Francis Veber, alors âgé de 73 ans, la peau du visage plus tendue qu’un tambour, s’il a « fait quelque chose », il jure sans ciller (mais ciller lui est peut-être devenu difficile) que « tout est naturel (2). »
Francis Veber
Entre nous, je serais curieux d’entendre Jack Lang, moins ridé à 73 ans qu’à quarante, la griffe du lion miraculeusement disparue, répondre à la même question. Encore faudrait-il trouver un journaliste assez culotté pour oser la lui poser. Allez donc savoir pourquoi Mireille Dumas, qui l’avait reçu quelques mois avant Francis Veber (3), ne fit pas preuve avec lui de la même curiosité...
Jack Lang, plus ridé hier qu'aujourd'hui
La quête de la jeunesse passe par l’attention que l’homme contemporain prête à son corps. Oubliés, les bourgeois adipeux et ventripotents à la Daumier ou à la Dubout ! On fait son jogging. On fréquente les salles de gymnastique ou de musculation – quand on ne fait pas installer à son domicile, à grand frais, ses propres instruments de torture(s). On sue. On souffre. On aime pousser son cœur dans la zone rouge. On mange bio et équilibré. On boit 100% nature. Ce corps, demeuré apparemment jeune à force d’efforts et de privations, on charge le vêtement de le mettre en valeur. On se montre. On se dévoile. On parade. On se pavane. On est fier d’avoir, comme on dit, repoussé ses limites. C’est ainsi qu’on se jette dans l’illusion… à corps perdu.
Le rêve de la jeunesse éternelle… Mais que vaudrait une éternité qui, si ce rêve venait à se réaliser, ne dépasserait tout de même pas les limites étriquées de nos existences particulières ? Paraître moins que son âge - la belle affaire, si c’est pour finir avec la tête d’un retraité de Monaco ou de Miami ! La barbe, les cheveux blancs, les rides donnent du caractère. J’aime, moi, les nobles visages d’ancêtres et je préfère mille fois l’altière figure d’un de Gaulle âgé au masque de vieil arlequin d’un Jack Lang lifté. L’homme qui a pris l’élégance pour idéal se moque bien de savoir si porter une cravate ou un costume le vieillit. Sa quête est autre et touche, en dépit des apparences (je le précise pour les myopes), au domaine de l’esprit. L’esthétique est une chose trop sérieuse pour être confiée aux chirurgiens. En vouant un culte obsessionnel à la jeunesse, notre société trahit son grand âge. Eh oui, qu'on le veuille ou non, le monde était plus jeune au Moyen Age qu'aujourd'hui ! Et chacun d’entre nous pourrait reprendre à son compte le constat du jeune Musset dans Rolla : « Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux. »
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1. Dictionnaire des bizarres, Guy Bechtel et Jean-Claude Carrière, "Bouquins", Robert Laffont.
2. " Vie privée, Vie publique", France 3, Mireille Dumas, 16/11/2010.
3. " Vie privée, Vie publique", France 3, Mireille Dumas, 25/06/2010.