J’aime bien regarder le dimanche matin On n’est pas couché. Le dimanche matin, oui, car j’enregistre cette interminable émission le samedi soir et je la visionne à mon rythme le dimanche matin. Je fais alors chauffer la touche « avance rapide » de ma télécommande : comme vous, j’imagine, ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les passes d’armes entre les invités et les deux Eric (Naulleau et Zemmour).
J’écoute et je regarde. Laurent Ruquier renifle, glousse, s’esclaffe à ses blagues d’un autre temps. Les invités lui sourient avec un air souvent gêné. Ils sont polis avec leur hôte qui, quand ils se feront étriller par les deux compères, prendra assez hypocritement leur défense – surtout s’ils ont du pouvoir.
Le public est baigné dans une lumière bleue très Avatar. Il s’ennuie souvent, se dissipe, bâille… De jolies filles occupent généralement les premiers rangs. Il y a presque toujours une invitée « sexy » qui, présente dès le début de l’émission, s’installera la dernière dans le fauteuil de l’interviewé(e) : allez savoir pourquoi !
Les nombreux plans de coupe offrent aux téléspectateurs masculins des respirations salutaires et des aperçus agréables : la caméra aime s’attarder sur les jupes courtes, les décolletés plongeants, les talons hauts…
L’apparence des hommes m’intéresse aussi, mais pour d’autres raisons. Elle présente une image assez révélatrice des tendances du moment. L’émission de samedi dernier ne dérogeait pas à la règle. Les teintes sombres dominaient. Comme à son habitude, Laurent Ruquier était vêtu d’un costume noir et d’une chemise blanche. L’invité d’honneur, Bernard-Henri Lévy, portait une tenue identique, mais d’une facture bien supérieure : d’un côté du PAP et de l’autre du sur mesure. Sur mesure aussi les chaussures du second – des mocassins à discrètes talonnettes. Les plans le montrant de profil dévoilaient, à un œil averti, le subterfuge. Quoi de plus normal, après tout, qu’un philosophe veuille prendre de la hauteur ?
Du noir et du blanc encore pour Yann Moix, mais déclinés d’une autre manière : du blanc pour la chemise, du noir pour la cravate. Son cas mérite un arrêt sur image car il illustre à merveille le look dit « bobo ». L'une des dominantes de ce nouveau conformisme vestimentaire très en vogue dans les milieux branchés est la suivante : se montrer dans l’état où l’on est quand on n’a pas fini de s’apprêter. Ainsi Yann Moix arborait-il une cravate dénouée, des manchettes de chemise déboutonnées, des cheveux mal coiffés, une barbe de trois jours… Les époques changent, le snobisme demeure. « En 1822, écrit Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, le fashionable (…) devait avoir quelque chose de négligé dans sa personne, la barbe non pas entière, non pas rasée, mais grandie un moment par surprise, par oubli ».
Sur le plateau, on pouvait repérer quelques autres spécimens de cette étrange ethnie : Jean Teulé, faiseur de livres millionnaire à l'allure cradingue concertée - coeur à gauche, portefeuille à droite et Jaeger Reverso en or au poignet; Arno Klarsfeld, célèbre avocat à roulettes, au visage torturé d'un Raskolnikov; Eric Naulleau, costume noir et barbe timide, et, avec ça, un drôle de gilet et une chemise rose ! Son aspect « nounours » rend touchants ses efforts répétés de coquetterie.
La tenue de l’autre Eric - pas bobo, lui, pour deux sous - défiait, par sa banalité, le commentaire : costume gris, chemise bleu très clair ou blanche, je ne sais plus. Physique ingrat que le sien – il ressemble à un suricate -, mais que sauvent des mains fines et de beaux yeux proustiens.
Au milieu de toute cette tristesse, le pull bleu roi d’Arno Klarsfeld avait quelque chose de réconfortant. Au rayon des couleurs, il y avait aussi la robe rouge d’Amandine Bourgeois. Sur certains plans, le pull bleu de Klarsfeld, la chemise blanche de Moix et la robe rouge d’Amandine donnaient au plateau une touche patriotique qui n’a pas dû déplaire à Zemmour.
Cela dit, malgré sa robe rouge et ses talons aiguilles renversants, Amandine Bourgeois n’était guère convaincante dans le rôle de l’invitée « sexy ». Mais les goûts et les couleurs…